
A propos de France Culture
Pour l'essentiel, ce qui a changé c'est précisément
ce qui faisait à la fois le charme, la qualité et la spécificité
de cette radio:
1. Son rapport au temps qui nous permettait de nous inscrire dans la
durée
2. Son rapport à la culture qui nous rendait véritablement
habitant cosmopolitique du monde humain
Les émission longues semblent disparaître. Aurons nous
encore la possibilité d'écouter huit heures sur Kafka, cinq
heures sur Aron, 20 heures d'entretiens sur fond de chant de baleines avec
Bachelard, nous parlant de son tilleul, de "la flamme d'une chandelle",
de son grenier, de sa table d'existence, rendu si vivant à partir
des fabuleuses archives de l'INA, etc.? D'ailleurs les voix d'archives
semblent rares.
L'anti-conformisme de la chaîne résidait entre autres dans
son rythme qui permettait enfin de reprendre sa respiration face au trépident
du quotidien. Désormais, le rythme des émissions, des voix,
des styles en fait une radio certes branchée sur l'hypercontemporain,
mais déconnectée de l'humain. La modernisation de la nouvelle
grille ce sont les Temps modernes version Charlot, mécaniquement
aliéné par l'accélération de la fréquence
de la chaîne et de ses boulons… Si l'on avait voulu désespérer
Billancourt on ne s'y serait pas pris autrement.
Le fascinant de France culture, "canal historique", c'était
l'extraordinaire éventail des sujets traités. On se laissait
envoûter par les émissions sur l'Odyssée, sur le Birobidjan;
les Peuls ou New York, avec des sujets allant de l'antiquité aux
dernières revues politiques. Le choix des thèmes, étendu
dans le temps aussi bien que dans l'espace (culturel) permettait d'échapper
au conformisme du regard médiatique qui réduit le temps et
le monde à l'actualité, la "vraie", entendez par
là celle des salles de rédaction du journal TV de huit heures.
L'arrivée sur cette Radio de personnages fades et médiatiques
y contribue.
L'exemple du Panorama remplacé par La suite dans les Idées
le montre de manière éloquente. Parfois intéressante
et souvent bien préparée l'émission a cependant ceci
d'affligeant que les thèmes traités, le choix même
des sujets et des invités collent l'actualité et participent
donc du même conformisme généralisé. Dans ce
présentisme, nos horizons ne sont en rien élargis;
loin des vastes espaces que nous avons vocation à habiter, nous
voilà ramenés par la peau du cou à une petite et misérable
brèche de présent journalistique, les questions posées
étant directement dictées par l'actualité politique
de l'instant; comme si nous n'étions contemporains que de cette
immédiateté; comme si nous ne pouvions en discuter autrement
qu'en termes imposés par cette novlangue, "seule langue dont
le vocabulaire diminue chaque année" (Orwell); rien d'autre
à faire surtout que de nous y adapter. Cette hypernormalisation
de la chaîne passe donc par un rétrécissement temporel
sur un présent lui même rétréci puisque mutilé
d'une de ses dimensions, le présent du passé, d'autant plus
fondamentale que l'humanité se compose de plus de morts que de vivants
(Comte). Paradoxalement l'émission exprime une forme de bonne conscience
critique qui ne semble même pas se rendre compte qu'en collant au
zeitgeist, à l'esprit du temps, elle se fait collabo
du présent s'inscrivant pleinement dans "la montée
de l'insignifiance" dont parle C. Castoriadis. Son anti-élitisme
aux prétentions démocratiques (la pensée critique
contre la culture) semble adhérer à la vulgate bourdivine,
si bien diffusée par les Inrockuptibles dont l'animateur
est issu: la culture c'est d'abord ce qui distingue, c'est ce que les autres
n'ont pas. Bon sang, mais c'est bien sur! Supprimons la culture, il n'y
aura plus d'inégalités symboliques. Reste à savoir
s'il restera une humanité.
Faut-il souligner que ce présentisme porte surtout atteinte au futur?
Comme on fait son rêve, on fait sa vie, écrivait Victor Hugo.
L'esprit réaliste et anti-utopique de l'époque, triomphe
donc tristement à France culture mais je n'aimerai pas vivre dans
le monde non rêvé et donc non désirable auquel nous
prépare symboliquement cette émission, choisie uniquement
comme exemple.
Paul (janvier
2001)
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