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"PAYSANNE ET GENS DE PEU"

Lettre envoyée à la direction de France-Culture
Copie à la SPACE
Copie au service de presse de Radio-France

Le 3 novembre 1999

J'accuse Laure Adler de mensonge, de trahison, de tromperie et d'insulte. A l'égard des gens de peu comme des autres, d'ailleurs. Les gens de peu ! J'avais entendu tout autre chose, lorsqu'elle en a parlé cet été.

J'accuse Jean-Marie Cavada et Laure Adler de catégoriser les gens - les vieux, et les jeunes - et de les prendre respectivement pour des croûtons, et des imbéciles.

Je les accuse de nous avoir, fort peu démocratiquement et tout à fait arbitrairement, jeunes et vieux, gens de rien comme gens de peu et gens de beaucoup, confisqué l'accès à la pensée et le soutien par la parole, la saveur capiteuse de l'imaginaire et celle de la belle langue, je les accuse de nous dénier la responsabilité du risque de la compréhension de soi-même et du monde - tous trésors que la défunte France-Culture nous prodiguait volontiers, nous estimant naturellement capables de recevoir de l'or à notre convenance. Je les accuse de s'être acharnés dans l'ombre à faire du plomb de cet or-là. Je les accuse de s'être trompés de chaîne de radio pour faire leurs singeries.

Pourquoi avez-vous fait ça ?

France-Culture, c'est quoi maintenant ? Une purée indifférenciée de magazines indigestes et nuisibles, un feu nourri d'approximations dévalorisantes, dans un vacarme uniforme produit par des gougnafiers qui nous forcent, il faut bien le dire., à fuir ventre à terre. Pour la catastrophe de cette nouvelle grille, des gens de moins peu que moi se sont livrés à une analyse critique plus élaborée que la mienne, approfondie, étayée et sensée, et je ne m'y aventurerai pas. Ce que je constate, c'est qu'avant on n'osait pas avouer qu'on écoutait France-Culture, et qu'aujourd'hui on a honte de l'écouter. Mais pas pour les mêmes raisons. Où a disparu la chaîne du savoir et de la connaissance, de l'esprit et de la réflexion ? Déjà, au bout de deux mois, on observe une perte de savoir-faire nettement sensible chez les acteurs de cette radio triste.

Ne vous étonnez donc pas que cette protestation puisse sembler témoigner d'un jugement obscurci : c'est vous qui en êtes cause, en m'empêchant de donner à mon . propre débat la hauteur que France-Culture me permettait naguère. Ne regardez pas non plus à ma désinvolture vis-à-vis du protocole, ce n'est pas de saison. Je n'ai plus les moyens de devenir un "honnête homme", au sens où on l'entendait au dix-huitième siècle.

Ayant eu connaissance du très édifiant dialogue de Laure Adler avec Jean-Marc Sylvestre ("Décideurs", LCI août 99), je suis accablée par le niveau lamentable des propos par elle tenus, et je prends de plus en plus crûment conscience que ce n'est pas grand chose les maîtres du mondes... Mais ce n'est que l'écorce des choses, Plus grave est cette écœurante adoration affichée sans pudeur envers les Patrons d'entreprise. La Grande Entreprise ! La violence de l'univers concurrentiel ! Parts de marché ! Mais qu'est-ce que ça vient faire ici ? De quoi parlez-vous ? On est où, là, et pour jouer à quoi ?

Ce monde est atteint par un venin mortel : tout devient à vendre, et seul compte désormais le profit qu'on peut faire avec tout, et de préférence avec n'importe quoi qui n'a rien à voir - donc des économies sur la culture, sa transmission la pensée, la santé, l'école, les liens entre les gens, les gens eux-mêmes, que sais-je encore... jusqu'au geste de tendre une main à qui se noie qui se marchande et fait l'objet d'un contrat - pour exagérer à peine. Je refuse absolument ce monde inhumain, et imposé aujourd'hui par ceux qui étaient sur les barricades en mai 68 ! Bravo, félicitations. Finalement je suis bien contente de n'avoir rien vu de cette époque-là, où mon trop jeune âge d'alors m'a épargné cette actuelle pollution.

Laure Adler et Jean-Marie Cavada accumulent bourdes, impairs et maladresses, et foncent tête baissée dans tous les pièges avec leur course à l'audience, amenant la tempête à souffler dans toute la Maison ronde. Mais peut-être n'ont-ils pas de souci à se faire : ils jouent dans le sens de L'Histoire. Et peut-être aussi serons-nous laminés, parce que c'est dans le sens de L'Histoire. Et si aujourd'hui je crie quand même à contre-courant du sens de L'Histoire, c'est pour ne pas nous laisser gaver, comme des oies.

Défendre la vocation de France-Culture, c'est pour moi tenter de raison garder, et aussi notre conscience du droit. Avec du style, si c'est possible. Et je veux croire que les bons, les vrais, les cultivés, les élégants meneurs de la langue, les doux, les respectueux - ceux qui ont toujours manifesté leur exigence de considération envers les gens de peu et les autres -, les pertinents, les professionnels, les compétents, bref les vieux ringards conservateurs et corsetés de la défunte France-Culture - je veux croire que tous ceux-ci qui sont encore dans la place y sont restés afin d'éviter d'abandonner le navire aux mains des flibustiers.

Et puissent les vandales éprouver quelque difficulté à trouver le sommeil.

Chantal, paysanne et gens de peu

Membre de l' Association des Auditeurs de France Culture



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