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Hommage à Michel Bydlowski

Le 21 février 1998, Michel Bydlowski, producteur du Panorama de France Culture se donnait la mort en sautant depuis son bureau du 6ème étage de Radio France, peu de temps après avoir animé une dernière émission. Dix ans plus tard, les auditeurs n'ont oublié ni son talent, ni la qualité de l'émission.

Emission d'actualité littéraire et artistique, le Panorama, ou plutôt Panorama (sans article), est une des émissions les plus célèbres et les plus regrettées de France Culture. Créée en 1968, l'émission, d'abord baptisée Panorama culturel de la France, avait la particularité de passer à la moulinette critique plus de 2000 livres par an. Un véritable débat contradictoire entre érudits et universitaires permettait alors à tout auditeur curieux de se tenir informé d'une très vaste production éditoriale, essais confidentiels et petits éditeurs inclus. On était alors bien loin des 50 livres à la mode qui font les gros titres et l'ordinaire annuel des dîners en ville et des médias d'aujourd'hui.

Produit depuis 1973 par Jacques Duchateau, Panorama était présenté en alternance par divers producteurs, selon un principe cher à France Culture (du moins à l'époque), mais principalement cependant par Jacques Duchateau et Michel Bydlowski. Pour finir, ce dernier s'était vu confier la lourde responsabilité de l'émission à la rentrée d'octobre 1997, compte tenu de la mise à la retraite de Jacques Duchateau. Après le décès de Michel Bydlowski, la plupart des collaborateurs réguliers de Panorama, dont les voix étaient si familières à l'auditeur, ont été hélas "remerciés" entre 1998 et 1999.

Parmi les auditeurs, il y a un certain consensus sur le fait que Michel Bydlowski a probablement produit les meilleurs moments de Panorama, notamment par sa capacité à éviter que les débats toujours très animés, les joutes intellectuelles, ne tournent à la foire d'empoigne stérile. Sa manière élégante et cultivée de présenter les livres avant d'ouvrir le débat était également à des années lumière de la tendance, propre à certains journalistes pressés, à recopier la quatrième de couverture ou à se contenter d'anecdotes triviales sur les auteurs. Lorsqu'on interroge ses anciens collaborateurs, on se rend compte que cette qualité d'émission reposait sur un travail acharné : Michel Bydlowski préparait chaque émission avec soin, se documentait et lisait tous les livres qu'il devait présenter. Le star system radiophonique, avec un producteur célèbre qui prend le micro et des assistants ou stagiaires qui lisent les livres à sa place n'était alors pas vraiment le genre de la maison.

Grammairien de formation, mais également poète à ses heures, producteur d'autres émissions sur France Culture, Michel Bydlowski, laisse à ses collègues le souvenir d'un homme cultivé, courtois, passionné, incisif, drôle aussi. Certains auditeurs se souviendront peut-être de poissons d'avril mémorables au sein de Panorama. On n'oubliera pas non plus qu'à ce moment, les fabuleux Décraqués de Bertrand Jérôme à 13h30 faisaient partie de Panorama.

Ce suicide d'un producteur sur son lieu de travail représenta un choc terrible à la fois pour les proches et aussi au sein de la station. Les opinions des témoins de l'époque sont diverses mais on en retiendra quand même que France Culture entrait alors dans une longue période de réformes brutales et de conflits, le tout sur un arrière plan politique de cohabitation Chirac / Jospin. Un audit critique de la station avait été remis en février 1997 à la présidence de Radio France, le directeur de France Culture, Jean Marie Borzeix, avait été remercié après 14 années de services et la nouvelle direction Gélinet annonçait : "France-Culture change de peau. C'est la réforme la plus importante depuis 1963, date de sa création". Objectif avoué : des programmes moins "élitistes" et un "rajeunissement" des contenus en direction des moins de 25 ans. Bref, l'ambiance générale était tendue. Quant à Michel Bydlowski, la nouvelle direction le mettait dans la situation inconfortable d'être responsable de Panorama, mais sans avoir les mêmes pleins pouvoirs sur l'émission que son prédécesseur. Pression psychologique supplémentaire, le départ annoncé de Jacques Duchateau avait provoqué une pétition d'une centaine de personnalités, inquiètes pour l'avenir de cette émission phare.

Les auditeurs et les producteurs de cette époque craignaient une "France-interisation" de la station : ils n'ont pas été déçus. Pendant les dix années suivantes, les directions successives de France Culture allaient, sous le prétexte commode de modernisation, s'employer à briser l'âme de la station, en supprimant les meilleures émissions, en renvoyant les producteurs les plus qualifiés ou les plus originaux, et en renonçant peu à peu à la plupart des spécificités de France Culture (primauté des émissions élaborées, système des producteurs tournants, érudition et transmission des connaissances…). Les auditeurs distraits qui trouvent ces propos exagérés peuvent écouter par exemple la matinale du 17 janvier 2008 : à 7h27, il y est longuement question de Monaco, de Paris Match et de la couleur du slip de la belle mère d'un homme politique. Couleur chair ou couleur dorée, telle était la question. Voilà où nous en sommes en 2008. C'est sans doute ce que la station, qu'on nomme pour rire France Culture, appelle le décryptage des médias.

Michel Bydlowski aimait, paraît-il, rechercher le bon côté des choses. Mieux vaut donc éclater de rire en écoutant sur la nouvelle France Culture ces politologues de salon de coiffure et ces bateleurs d'estrade, qui s'agitent comme des haricots sauteurs à chaque éternuement du locataire de l'Elysée. Si l'on définit l'Homme cultivé comme un homme libre, qui ne se laisse pas dicter son agenda par l'actualité, il n'y a plus rien de tel à France Culture.

Né le 20 janvier 1946, Michel Bydlowski, aurait aujourd'hui 62 ans.


DDFC
21 février 2008



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