COPIE DE TRAVAIL DU JUGEMENT ; REMISE PAR LE GREFFE LE 07.09.2007

Ministère Public c/LUBRINA
17ème chambre
N° d'affaire : 0518123030
Jugement du : 7 septembre 2007 n': 3

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur l'action publique :

Le 30 juin 2005, la société nationale de radiodiffusion Radio France, représentée par son président directeur général Jean-Paul CLUZEL et Laure CLAUZET épouse VEINSTEIN dite Laure ADLER ont déposé plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction de ce siège du chef d'injure publique envers particulier au visa des articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881.

Ils exposaient qu'un groupement de personnes se présentant comme le "Rassemblement des auditeurs contre la casse de France Culture" procédait depuis plusieurs mois à des attaques violentes contre la direction de cette chaîne, dénonçant le mépris dont ferait preuve celle-ci vis à vis des journalistes et du public du fait de la mauvaise qualité des programmes.

Ils se plaignaient du caractère injurieux d'un dessin adressé par ce groupement au personnel de Radio France et à des personnalités extérieures à cette société à l'occasion d'une invitation à une "rencontre-buffet' qui devait se tenir le 4 juin 2005, dessin qui représentait la Maison de la Radio et une série de jeunes femmes toutes identiques figurant, selon les plaignants, Laure ADLER portant des banderoles sur l'une desquelles on pouvait lire le slogan suivant :

« VIVRE ET PENSER COMME DES PORCS ».

Attendu qu'Antoine LUBRINA est poursuivi devant ce tribunal sur le fondement de l'article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 qui définit l'injure comme "toute expression outrageante, termes de mépris ou invective quine renferme l'imputation d'aucun fait" ;
Attendu que tant au cours de l'enquête et de l'information qu'à l'audience, le prévenu, président de l'association "Rassemblement des auditeurs contre la casse de France Culture", a reconnu être le "concepteur" de l'invitation à une "rencontre-buffet" le 4 juin 2005 organisée par son association et du dessin incriminé qui l'accompagnait et en assumer la paternité ; que tant le dessin que les propos qu'il contient lui sont dès lors imputables ;

Attendu qu'il a par ailleurs reconnu que ce tract avait été diffusé non seulement aux membres de son association mais également à des personnalités extérieures et à des producteurs, réalisateurs et journalistes de France Culture ; que le caractère public de la diffusion de ce document au sens de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 n'est donc pas contesté ;

Attendu qu'à l'occasion de son interrogatoire à l'audience, Antoine LUBRINA a également déclaré que c'était bien Laure ADLER qui était représentée sur le dessin, mais a revendiqué le droit à la caricature ;

Attendu qu'il y a lieu de rappeler que les dessins sont bien visés par l'article 23 de la loi sur la liberté de la presse, au même titre que tous les supports de l'écrit, de la parole ou de l'image ;
Attendu que les règles servant de fondement aux présentes poursuites doivent être appliquées à la lumière du principe à valeur constitutionnelle et conventionnelle de la liberté d'expression ;
Que l'exercice de cette liberté fondamentale comporte aux termes de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales des devoirs et des responsabilités et peut être soumise à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique et qui doivent être proportionnées au but légitime poursuivi ; qu'il s'ensuit que des restrictions peuvent être apportées à la liberté d'expression si celle-ci se manifeste de façon gratuitement offensante pour autrui, sans contribuer à une quelconque forme de débat public susceptible de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain ;

Qu'il importe dès lors d'analyser le dessin dont s'agit ; que celui-ci était l'un des six, joints à l'invitation à une « "rencontre amicale suivit (sic) d'un buffet » ; que parmi les cinq autres caricaturant Laure ADLER qui ne sont pas poursuivis, l'un la représente alors qu'elle jette dans une corbeille des ouvrages de Platon, Shakespeare, Dante, Cervantès... et tient le propos suivant : « Pas assez branchouille ! La culture ce n'est plus le patrimoine ! », tandis qu'elle apparaît sur un autre alors qu'elle passe en revue une série de personnages un index pointé vers eux et proclame : « licencié, viré, licencié, reviré, mis à pied... !!? »
Que le dessin incriminé met en scène, quant à lui, huit jeunes femmes représentant Laure ADLER manifestant devant la Maison de la Radio, pour celles en premier plan en jupe très courte, et brandissant des pancartes avec les slogans suivants :

« Oui à l'AGCS, au G7, à la pensée unique ! »
« Vive l'actu, la promo, le tout-direct »
« A bas le patrimoine ! Vive l'interrogation de soi ! »
« Non aux fictions, aux émissions élaborées ? »
« Vive le MEDEF ! »
« Vivre et penser comme des porcs ! »

Que ce dernier slogan figure sur la banderole en arrière plan du dessin ; qu'il est à noter qu'il est le seul à être considéré par les plaignants comme injurieux ; que ceux-ci ne poursuivent pas en effet la représentation de la personne de Laure ADLER comme constitutive à son égard d'une injure, celle-ci n'étant visée que pour l'identification de sa personne ;

Attendu que le prévenu a indiqué à l'audience qu'il n'était pas dans ses intentions d'injurier quiconque ;

Qu'il sera rappelé néanmoins que l'intention de nuire est présumée en matière d'injures, dès lors que celles-ci visent une personne déterminée ;

Qu'il a également soutenu que le slogan "Vivre et penser comme des porcs" était une référence à un ouvrage du philosophe Gilles CHATELET ;

Mais attendu qu'aucun guillemet n'assortit l'expression querellée sur le dessin, Antoine LUBRINA ayant concédé à la barre qu'il s'agissait d'une erreur ; qu'à ce titre, rien ne permet de distinguer ces propos de ceux portés sur les autres dessins ; que de même, aucune référence sous forme par exemple d'astérisque n'est faite à cet auteur sur la banderole ou en bas du dessin ; que par ailleurs, il n'est pas démontré que l'ouvrage paru en 1998 et évoqué dans un bulletin de l'association quelques mois auparavant ait connu, de même que son auteur, une notoriété telle qu'elle permette immédiatement son identification en tant que tel par les destinataires du dessin ; qu'enfin, il résulte de la lecture de ce livre versé aux débats qu'à aucun moment France Culture n'y est évoqué ;

Que dès lors, même si le qualificatif de "porc" n'est pas directement appliqué à lui, l'utilisation de ce terme qui ne saurait être pris ici au sens littéral de mammifère ongulé omnivore mais dans son sens figuré et familier d'individu sale, grossier, débauché, à propos d'un slogan censé être prôné par l'intéressée constitue bien à son égard une expression blessante et méprisante caractéristique de l'injure au sens de l'article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Que la liberté d'expression et le droit de critique ainsi que le droit à la caricature reconnus au prévenu, spécialement en sa qualité de président d'une association ayant selon ses statuts pour but de "réfléchir sur les causes du démantèlement des programmes de cette radio et il d'agir auprès des pouvoirs publics pour rétablir la qualité à France Culture", peuvent certes justifier l'emploi de termes vifs au sujet de l'action de la responsable d'une chaîne de radiodiffusion oeuvrant dans le domaine de la culture voire autoriser dans certaines conditions, quelques excès de langage dans l'expression d'un point de vue ; que si une licence plus grande peut lui être reconnue à ce titre s'agissant de la mise en cause d'une personnalité publique pour une association militante, cette liberté et ce droit de critique ne sauraient pour autant permettre le recours aux termes de mépris délibérément blessants dénoncés en l'espèce et qui contribuent à faire dégénérer la contradiction en échanges d'insultes incompatibles avec la tenue que l'on est en droit d'attendre du débat d'idées dans une démocratie ;

Que le délit d'injure publique est donc caractérisé à l'égard de Laure ADLER ;

Qu'en revanche, si le bâtiment abritant Radio France apparaît en arrière plan du dessin incriminé, avec mention expresse de France Culture, aucune attaque personnelle et directe, susceptible de constituer une injure n'est portée à l'égard de cette société, seule Laure ADLER étant représentée comme revendiquant les propos injurieux ;

Que la société nationale de radiodiffusion Radio France sera en conséquence déclarée irrecevable à agir en l'espèce ;

Attendu qu'en l'absence d'antécédents judiciaires du prévenu, celui-ci sera condamné à une peine d'amende assortie du sursis ;

Sur l'action civile :

Attendu que le préjudice moral subi par Laure ADLER sera justement réparé par l'allocation d'un euro à titre de dommages et intérêts, conformément à sa demande ;

Attendu que l'équité ne commande pas, eu égard à la situation respective des parties, de faire application en l'espèce au profit de la partie civile des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;

PAR CES MOTIFS

Déclare la société nationale de radiodiffusion RADIO FRANCE représentée par Jean-Paul CLUZEL irrecevable en son action ;

Déclare Antoine LUBRINA coupable du délit d'injure publique envers particulier, en l'espèce Laure CLAUZET épouse VEINSTEIN dite Laure ADLER ;

Le condamne à la peine d'amende de MILLE EUROS (1.000 euros) ;

Vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal :

DIT qu'il sera sursis totalement à l'exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles.

Reçoit la constitution de partie civile de Laure CLAUZET épouse VEINSTEIN dite Laure ADLER ;

Condamne Antoine LUBRINA à lui payer UN EURO à titre de dommages et intérêts ;

Rejette la demande de Laure CLAUZET épouse VEINSTEIN dite Laure ADLER au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
 

Remarques

- L'article 475-1 concerne le fait de condamner ou non l'accusé à rembourser les frais de constitution de partie civile des plaignants.

- Dès le verdict connu, Antoine Lubrina a interjeté appel.


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