Archives 2003-2008 du forum de discussions sur France Culture Le forum de discussions sur FRANCE CULTURE du site DDFC est fermé mais vous pouvez accéder en lecture aux 35.000 messages d'auditeurs archivés, ainsi qu'aux fameux SMILEYS et DÉCALCOS. Mention légale : les textes, idées et contenus présentés ici n'engagent que leurs auteurs à titre personnel et non le propriétaire du site DDFC.
|
||||
Retour à la liste des messages | |
Benoît Beyer 19/02/2004 09:27 |
Le Moyen Age sans Le Goff... |
... mais dans son sillage. Ceci pour les amateurs d'histoire médiévale qui fréquentent (y en a-t-il ? oui, je crois) ce forum. En espérant que nous aurons très bientôt une belle émission sur France Culture à propos du livre de Jérôme Baschet. Bien à vous, Benoît ************************************************************ Le Moyen Age, somme toute Jérôme Baschet développe l'idée d'un Moyen Age dynamique, qui a porté la modernité. Libération, jeudi 19 février 2004 http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=4&srid= 5&ida=4064 Livres Histoire Le Moyen Age, somme toute Jérôme Baschet développe l'idée d'un Moyen Age dynamique, qui a porté la modernité. Par Jean-Baptiste MARONGIU jeudi 19 février 2004 Jérôme Baschet La Civilisation féodale. De l'an mil à la colonisation de l'Amérique Aubier, 566 pp., 28,50 €. u'une vision historique novatrice relève d'un point de vue, de l'historien comme de la société où il vit, on ne l'apprend certes pas aux spécialistes du Moyen Age, dont la discipline a dû outrepasser l'enthousiasme romantique et les sarcasmes des Lumières envers leur époque de prédilection. L'écoute, pour ne pas dire l'oreille de celui à qui l'histoire est destinée, fait aussi partie des ressorts décisifs d'un nouvel envol interprétatif. De ce double déplacement de lieu et de destinataire joue à merveille Jérôme Baschet dans la Civilisation féodale, non pas au sens métaphorique mais très concrètement. En effet, Baschet enseigne depuis 1997 au Mexique, à l'Universitad Autónoma de Chiapas, située à San Cristobal de la Casas (d'abord à plein temps, maintenant six mois par an, l'autre semestre étant consacré à ses cours à l'EHESS), et a écrit son livre pour expliquer aux étudiants mexicains que c'est le Moyen Age qui est parti à la conquête du Nouveau Monde et qu'il faut dès lors chercher dans la civilisation médiévale les clés de l'originalité européenne passée et de l'hégémonie occidentale actuelle. Né en 1960, spécialiste d'histoire sociale et d'iconographie médiévale, Jérôme Baschet emprunte ainsi à son directeur de thèse, Jacques Le Goff, l'idée d'un «long Moyen Age» allant du IVe au XVIIe siècles, pour démontrer enfin que la modernité elle-même y a trouvé son essor. Organisé en deux parties (et demie), soutenu par un important recours à l'image, la Civilisation féodale est un ouvrage d'une architecture très sophistiquée sous des apparences de simplicité didactique. Dans un premier mouvement, le Moyen Age est classiquement approché par le biais événementiel (personnages, luttes et batailles, faits, gestes et dates...) mais moins pour rechercher les ruptures que les continuités historiques. En revanche, Baschet aime s'arrêter sur les fractures interprétatives, les divergences entre historiens autour d'un même noeud historiographique. D'ailleurs, il y a autant de Moyens Ages significatifs que de grands historiens, par exemple, ceux de Duby, Barthélemy, Le Goff, Schmitt, Guerreau, Gauvard... Cependant, en ce domaine, le relativisme n'a pas droit de cité et les apports ne sont en rien équivalents. Baschet choisit, expose, partage les acquis des uns et des autres en y ajoutant, et parfois en y opposant, son point de vue, jamais scolaire ni soumis, mais toujours attentif à ne pas user de la facilité de celui qui parle en dernier. La deuxième partie, structurale, s'éloigne des sentiers battus. Baschet, un peu en historien des mentalités, reconstitue les structures fondamentales de la société médiévale revisitant une série de thèmes transversaux : le temps, l'espace, le système moral, la personne humaine, la parenté, l'image. Enfin, une section liminaire mais donnant tout son sens à la démarche est consacrée aux premières heures de la conquête et de la colonisation des Amériques, à cet aboutissement ultime d'un âge historique en voie d'épuisement. Loin de sa légende noire, le Moyen Age n'est pas une période de stagnation mais de grand dynamisme : la population double et l'économie y devient commerciale bien que restant fondamentalement agricole ; les pouvoirs balancent entre la réalité locale de la souveraineté seigneuriale et l'institution royale, guère plus que symbolique mais centrale ; les villes prennent de l'importance, en réalisant une alliance inédite entre noblesse, chevaliers et représentants des couches montantes, artisanales et commerçantes. Le pouvoir est partout et l'Etat nulle part, de même que les échanges et les commerces sont omniprésents mais le marché n'existe pas. C'est la grande différence d'avec la modernité. Structurant la société dans son entier, l'Eglise est la clé de voûte du système mais aussi son moteur, et donne sa cohérence à une poussée vers l'avant qui ne cesse de regarder en arrière. Avec le temps, elle maîtrise l'espace, du plus proche et plus concret de la paroisse et du cimetière à celui de l'au-delà, essentiel pour des individus qui placent leur accomplissement ailleurs que sur terre. Jérôme Baschet est formel : s'il fallait trouver un autre nom pour indiquer la société féodale, le plus exact serait encore celui de Chrétienté. En charge de la personne comme de la communauté, l'Eglise (et non pas la religion) y est l'instance la plus puissante, non dénuée d'une certaine capacité d'articulation des contraires. Mais elle se veut universelle, ce qui ne signifie pas tolérante, bien au contraire (on a pu parler, non sans raison, de société de persécution Ñ de l'hérétique, de la sorcière, du juif...). Beaucoup d'avancées médiévales ont été attribuées à la modernité, alors qu'elles en ont rendu possible l'éclosion. L'humanisme et l'esprit critique, par exemple, sont à repenser dans le cadre de l'élargissement aux laïcs de la culture des clercs, qui finalement conduit à un renforcement de l'emprise de l'Eglise sur la société. De même, l'invention de la perspective en peinture réorganise la saisie de l'espace, mais elle laisse entière la prégnance du lieu, alors que notre image écran est absolument délocalisée. Certes, la société médiévale a fait de la représentation une des conditions de son déploiement, mais il vaut mieux parler à ce propos de civilisation d'imagination plutôt que de l'image, du moment que chacun d'entre nous voit probablement en un jour autant d'images qu'un homme du Moyen Age n'en voyait au cours de sa vie. Mais c'est toute la Civilisation féodale qui autorise ces allées et venues fascinantes. Jérôme Baschet voulait en faire la synthèse : de manière très médiévale, il a réussi une somme. © Libération |
|
Retour à la liste des messages |