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Benoît Beyer

19/02/2004
09:27
Le Moyen Age sans Le Goff...

... mais dans son sillage.

Ceci pour les amateurs d'histoire médiévale qui fréquentent (y en a-t-il ? oui, je crois) ce forum.

En espérant que nous aurons très bientôt une belle émission sur France Culture à propos du livre de Jérôme Baschet.

Bien à vous,

Benoît

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Le Moyen Age, somme toute
Jérôme Baschet développe l'idée d'un Moyen Age dynamique, qui a porté la
modernité.
Libération, jeudi 19 février 2004
http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=4&srid= 5&ida=4064

Livres

Histoire
Le Moyen Age, somme toute
Jérôme Baschet développe l'idée d'un Moyen Age dynamique, qui a porté la
modernité.

Par Jean-Baptiste MARONGIU
jeudi 19 février 2004

Jérôme Baschet
La Civilisation féodale.
De l'an mil à la colonisation
de l'Amérique
Aubier, 566 pp., 28,50 €.

u'une vision historique novatrice relève d'un point de vue, de l'historien
comme de la société où il vit, on ne l'apprend certes pas aux spécialistes
du Moyen Age, dont la discipline a dû outrepasser l'enthousiasme romantique
et les sarcasmes des Lumières envers leur époque de prédilection. L'écoute,
pour ne pas dire l'oreille de celui à qui l'histoire est destinée, fait
aussi partie des ressorts décisifs d'un nouvel envol interprétatif. De ce
double déplacement ­ de lieu et de destinataire ­ joue à merveille Jérôme
Baschet dans la Civilisation féodale, non pas au sens métaphorique mais très
concrètement. En effet, Baschet enseigne depuis 1997 au Mexique, à
l'Universitad Autónoma de Chiapas, située à San Cristobal de la Casas
(d'abord à plein temps, maintenant six mois par an, l'autre semestre étant
consacré à ses cours à l'EHESS), et a écrit son livre pour expliquer aux
étudiants mexicains que c'est le Moyen Age qui est parti à la conquête du
Nouveau Monde et qu'il faut dès lors chercher dans la civilisation médiévale
les clés de l'originalité européenne passée et de l'hégémonie occidentale
actuelle. Né en 1960, spécialiste d'histoire sociale et d'iconographie
médiévale, Jérôme Baschet emprunte ainsi à son directeur de thèse, Jacques
Le Goff, l'idée d'un «long Moyen Age» allant du IVe au XVIIe siècles, pour
démontrer enfin que la modernité elle-même y a trouvé son essor.

Organisé en deux parties (et demie), soutenu par un important recours à
l'image, la Civilisation féodale est un ouvrage d'une architecture très
sophistiquée sous des apparences de simplicité didactique. Dans un premier
mouvement, le Moyen Age est classiquement approché par le biais événementiel
(personnages, luttes et batailles, faits, gestes et dates...) mais moins
pour rechercher les ruptures que les continuités historiques. En revanche,
Baschet aime s'arrêter sur les fractures interprétatives, les divergences
entre historiens autour d'un même noeud historiographique. D'ailleurs, il y
a autant de Moyens Ages significatifs que de grands historiens, par exemple,
ceux de Duby, Barthélemy, Le Goff, Schmitt, Guerreau, Gauvard... Cependant,
en ce domaine, le relativisme n'a pas droit de cité et les apports ne sont
en rien équivalents. Baschet choisit, expose, partage les acquis des uns et
des autres en y ajoutant, et parfois en y opposant, son point de vue, jamais
scolaire ni soumis, mais toujours attentif à ne pas user de la facilité de
celui qui parle en dernier. La deuxième partie, structurale, s'éloigne des
sentiers battus. Baschet, un peu en historien des mentalités, reconstitue
les structures fondamentales de la société médiévale revisitant une série de
thèmes transversaux : le temps, l'espace, le système moral, la personne
humaine, la parenté, l'image. Enfin, une section ­ liminaire mais donnant
tout son sens à la démarche ­ est consacrée aux premières heures de la
conquête et de la colonisation des Amériques, à cet aboutissement ultime
d'un âge historique en voie d'épuisement.

Loin de sa légende noire, le Moyen Age n'est pas une période de stagnation
mais de grand dynamisme : la population double et l'économie y devient
commerciale bien que restant fondamentalement agricole ; les pouvoirs
balancent entre la réalité locale de la souveraineté seigneuriale et
l'institution royale, guère plus que symbolique mais centrale ; les villes
prennent de l'importance, en réalisant une alliance inédite entre noblesse,
chevaliers et représentants des couches montantes, artisanales et
commerçantes. Le pouvoir est partout et l'Etat nulle part, de même que les
échanges et les commerces sont omniprésents mais le marché n'existe pas.
C'est la grande différence d'avec la modernité.

Structurant la société dans son entier, l'Eglise est la clé de voûte du
système mais aussi son moteur, et donne sa cohérence à une poussée vers
l'avant qui ne cesse de regarder en arrière. Avec le temps, elle maîtrise
l'espace, du plus proche et plus concret de la paroisse et du cimetière à
celui de l'au-delà, essentiel pour des individus qui placent leur
accomplissement ailleurs que sur terre. Jérôme Baschet est formel : s'il
fallait trouver un autre nom pour indiquer la société féodale, le plus exact
serait encore celui de Chrétienté. En charge de la personne comme de la
communauté, l'Eglise (et non pas la religion) y est l'instance la plus
puissante, non dénuée d'une certaine capacité d'articulation des contraires.
Mais elle se veut universelle, ce qui ne signifie pas tolérante, bien au
contraire (on a pu parler, non sans raison, de société de persécution Ñ de
l'hérétique, de la sorcière, du juif...).

Beaucoup d'avancées médiévales ont été attribuées à la modernité, alors
qu'elles en ont rendu possible l'éclosion. L'humanisme et l'esprit critique,
par exemple, sont à repenser dans le cadre de l'élargissement aux laïcs de
la culture des clercs, qui finalement conduit à un renforcement de l'emprise
de l'Eglise sur la société. De même, l'invention de la perspective en
peinture réorganise la saisie de l'espace, mais elle laisse entière la
prégnance du lieu, alors que notre image écran est absolument délocalisée.
Certes, la société médiévale a fait de la représentation une des conditions
de son déploiement, mais il vaut mieux parler à ce propos de civilisation
d'imagination plutôt que de l'image, du moment que chacun d'entre nous voit
probablement en un jour autant d'images qu'un homme du Moyen Age n'en voyait
au cours de sa vie. Mais c'est toute la Civilisation féodale qui autorise
ces allées et venues fascinantes. Jérôme Baschet voulait en faire la
synthèse : de manière très médiévale, il a réussi une somme.

© Libération

 
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