Archives 2003-2008 du forum de discussions sur France Culture

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Agnès

23/05/2007
21:46
C'est en lisant qu'on devient liseron V

Petite synthèse, mais riche de trouvailles, pour ouvrir un nouveau fil :
• Liens avec les fils et les synthèses précédents :

http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=28 061 Liseron IV
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=24 191 Liseron III
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=18 119 Liseron II
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=12 745 Liseron I
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=15 08 Un peu de littérature

http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=29 869 Synthèse IX
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=28 061 Synthèse 8
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=26 057 Synthèse 7 et ce qui s'ensuit.
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=24 191 synthèse 6
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=23 040 synthèse 5
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=20 825 synthèse 4
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=16 993 synthèse 3
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=14 941 synthèse 2
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=14 004 synthèse 1

Paris en littérature : (LN)
Marie-Claire Bancquart
- Paris "Belle Epoque" par ses écrivains - Adam Biro - 1977
- Paris "fin-de-siècle" - La Différence - 2002
- Paris des surréalistes - La Différence - 2004
- Paris dans la littérature française après 1945 -La Différence – 2006

ROMANS et Nouvelles

Marcel Aymé : Oeuvres romanesques illustrées par Topor. (A)
La Jument verte
Le Puits aux images
Le Nain (nouvelles)
La Vouivre
Muriel Barbery : L'Élégance du hérisson (A)
Léon Bloy : Histoires désobligeantes (Paddy, LN)
Belluaires et porchers (Paddy, LN)
Je m'accuse (Paddy, LN)
Gabriel Chevallier : Clochemerle (Paddy)
Laurent Gaudé : Le Soleil des Scorta
Pierre Michon : L’Empereur d’Occident (Pascale)
Bernhard Schlink : Amours en fuite (A)
Montherlant : Les Jeunes filles (Pascale)
Oswald Wynd : Une_Odeur_de_gingembre (A)

Autobiographie burlesque
Gérald Durrell, Ma Famille et autres animaux, chez Gallmeister

À ne surtout pas lire...
Pompidou : Anthologie de la poésie française
Emile Zola : Fécondité (sauf avec intention documentaire ou humoristique)

 
GT

23/05/2007
22:06
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Tu as bien fait de corriger : je voyais notamment "l'anthologie de la poésie" de Pompidou, et je préfère comprendre qu'elle fait partie des ouvrages à l'index.
 
Agnès

23/05/2007
22:27
Une intéressante hypothèse

que j'ai copiée sur le blog de Pierre Assouline, je suis tombée dessus en cherchant autre chose, et je vous la colle en deux fois pour ne pas faire trop paquet :

1. L’affaire Haddock
par Jérôme Dupuis
Lire, juillet 2004 / août 2004

Pour créer les célèbres jurons du capitaine Haddock, Hergé aurait directement puisé dans le plus sulfureux pamphlet antisémite de Céline. Révélations et réactions.

Petite devinette. Qui a prononcé les jurons suivants: «Vampires des cavernes! Cromagnons salaces! Valets de cirque! Pourchasseurs de martyrs!»? Le capitaine Haddock? Perdu. Louis-Ferdinand Céline. Pourtant, à première vue, tout semble séparer Tintin et Bardamu, le château de Moulinsart et la tanière de Meudon, le très lisse Hergé et le terrible Céline. C’est dire si la thèse proposée ici par Emile Brami risque d’atterrer bien des tintinophiles, faire doucement sourire les lecteurs de Céline et, au-delà, étonner tous les amoureux des mots. Résumons d’une phrase: pour créer les célèbres jurons du capitaine Haddock, Hergé aurait puisé directement dans les pages de Bagatelles pour un massacre, le sulfureux pamphlet antisémite de Louis-Ferdinand Céline interdit de publication depuis la guerre! Lecteur distancié, exigeant et sans concession du père de Voyage au bout de la nuit, auteur l’an dernier d’une passionnante promenade dans la vie et l’œuvre de Céline*, Emile Brami étaie sa découverte d’une étude statistique et d’éléments puisés dans la vie d’Hergé. Prudent, il estime n’avoir, pour l’heure, aucune certitude absolue, mais parle d’un «extraordinaire faisceau de présomptions». Avant de rassembler le fruit de ses recherches sur les liens Céline-Hergé dans un ouvrage qui paraîtra à l’automne aux éditions Ecriture, Emile Brami a accepté de livrer la primeur de sa découverte aux lecteurs de Lire.

Dans quelles circonstances avez-vous été amené à établir un lien entre Bagatelles pour un massacre et les jurons du capitaine Haddock?
EMILE BRAMI. Tout à fait par hasard. Pour les besoins de mon livre sur Céline, j’ai relu toute son œuvre. Un jour, à mon bureau, j’étais en train de parcourir distraitement Bagatelles pour un massacre, l’esprit ailleurs, dans un état propice aux associations d’idées. Au détour d’une phrase dans laquelle Céline prend à partie les prolétaires anglais, je suis tombé sur ceci: «[…] fellahcieux, Incas à plumes, coolies, benibouffes, anthropogans, cafans rouges, orthocudes, Karcolombèmes […]» Cela m’a littéralement sauté aux yeux: c’était du Haddock! Il suffisait de remplacer les virgules par des points d’exclamation. En continuant, je suis tombé sur d’autres chapelets d’injures comme, par exemple: «Vampires des cavernes! Cromagnons salaces! Valets de cirque!» J’ai d’abord terminé mon Céline, qui est paru en septembre 2003, et me suis mis à creuser cette piste. J’en ai parlé au biographe d’Hergé, Pierre Assouline, qui m’a encouragé, car cette «découverte» ou cette intuition, comme on voudra, corroborait en partie sa vision du père de Tintin. N’étant pas tintinophile, j’ai travaillé avec un œil frais et mon but n’est en aucun cas de détruire le mythe. Au terme de mon enquête, je ne possède aucune certitude absolue mais je dispose d’un extraordinaire faisceau de présomptions.

Comment avez-vous procédé?
E.B. Il convient tout d’abord de bien regarder les dates. La parution de Bagatelles pour un massacre et la première mention du capitaine Haddock dans le travail d’Hergé sont contemporaines. Les deux se situent en 1938. Dans sa biographie du père de Tintin, Benoît Peeters cite en effet un carnet de 1938 où le capitaine apparaît pour la première fois. Hergé travaille donc au personnage de Haddock au moment où sort Bagatelles. Le capitaine fait officiellement son apparition dans les aventures de Tintin avec Le crabe aux pinces d’or, dont la publication débute en 1940, dans le quotidien belge Le Soir, rebaptisé par les Bruxellois Le Soir volé, car il était aux ordres de l’occupant allemand. J’ai donc relevé tous les jurons de Haddock dans cet album. Si l’on exclut ceux relevant du lexique de la marine («Marins d’eau douce!», «Mille sabords!», etc), propres à la profession du capitaine, on s’aperçoit que sur les trente-cinq jurons restant, quatorze se trouvaient dans Bagatelles. Si certaines de ces insultes communes à Céline et à Hergé sont assez classiques («parasite», «renégat»), d’autres coïncidences sont vraiment troublantes: «Aztèque», «noix de coco», «iconoclaste» … On trouve déjà le célèbre «Sapajou» dans Bagatelles, qui fera son apparition dans la bouche du capitaine Haddock dans L’étoile mystérieuse, l’aventure suivant immédiatement Le crabe aux pinces d’or. Quant à l’emblématique «ornithorynx», il apparaît à la page 68 de Bagatelles pour désigner Yubelblat, le médecin juif, patron de Céline à la S.D.N.


 
Agnès

23/05/2007
22:29
La suite

Justement, qu’en est-il dans les albums suivants de Tintin?
E.B. Je me suis surtout intéressé à la naissance du personnage de Haddock, car je pense que, très vite, Hergé, qui est un créateur, s’est démarqué de l’influence initiale de Céline et a inventé un système autonome. Il est intéressant d’observer, comme l’avait noté le linguiste Jacques Cellard dans un article paru à la mort d’Hergé, en 1983, que la toute première bordée d’injures du capitaine, dans Le crabe, est à très forte connotation raciste. Elle s’adresse à des Arabes, lors d’une fusillade dans le désert. Il les traite de «Macaques!», insulte que l’on trouve déjà dans Bagatelles. Dans ce même album, «Canaque!» et «Cannibales!», présents eux aussi dans le pamphlet de Céline, ont également des relents racistes.


Les deux auteurs font-ils la même utilisation des jurons?
E.B. Comme Céline, Hergé procède en détournant le sens des jurons, jouant essentiellement sur les sonorités. Ce qui n’était pas une insulte le devient sous la plume de l’écrivain ou dans la bouche du capitaine. Prenez «Bachi-Bouzouk»: cela ne renvoie pas à grand-chose pour un enfant, mais sa sonorité le transforme en invective. Et, à ce titre, Bagatelles est un formidable laboratoire à jurons. Remarquez aussi que, comme chez Céline, les bordées d’injures du capitaine fonctionnent selon des litanies, des périodes très longues, très particulières. Il est désormais établi que Haddock, c’est Hergé sans son costume, Hergé désinhibé. «C’est moi quand j’ai besoin de m’extérioriser», confiait-il dans ses célèbres entretiens avec Numa Sadoul. Mais, au fil des ans, plus le personnage du capitaine prendra une importance considérable aux côtés de Tintin, plus le registre de ses invectives deviendra technique.

- Dans ses entretiens avec Numa Sadoul, Hergé a pourtant situé l’origine des jurons de Haddock beaucoup plus tôt, en 1933: sur un marché de Bruxelles, il aurait entendu une marchande de quatre-saisons invectiver une cliente en la traitant de «Pacte à quatre!», allusion à l’alliance entre la France, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie…
E.B. Cela me paraît un peu court, d’autant que cette scène aurait eu lieu cinq ans avant l’apparition de Haddock dans ses carnets. Cela dit, l’un n’exclut pas l’autre. Hergé, qui avait un goût très belge pour l’invective, a pu être amusé par cette expression, puis, quelques années plus tard, puiser dans Bagatelles. Et si c’est effectivement le pamphlet de Céline qui l’a inspiré, on imagine bien que cela n’est pas très facile à avouer…

- Mais Hergé avait-il lu Bagatelles pour un massacre?
E.B. On n’en sait rien. Hergé n’était pas un très grand lecteur, sauf lorsqu’il se documentait pour ses albums. Mais on a pu lui en conseiller la lecture. Dans les années trente, il évoluait dans une mouvance très à droite, naturellement antisémite, qu’un tel livre ne pouvait pas choquer. L’abbé Wallez, le patron du Vingtième Siècle, qui publiait Tintin, était un catholique ultraconservateur, admirateur de Mussolini. Il a eu une grande influence sur Hergé qui l’a toujours soutenu, même lorsque l’abbé a été emprisonné à la fin de la guerre. Le père de Tintin avait pour amis Raymond De Becker, Paul Jamin, Paul Werrie, qui ont tous collaboré activement avec les Allemands. Selon son biographe, Benoît Mouchart, qui a pu avoir accès au journal intime de Jacques Van Melkebeke, autre proche d’Hergé à partir de 1940, celui-ci cite très souvent Céline. Par ailleurs, l’écrivain belge Pol Vandromme m’a confié que ce petit milieu avait accueilli avec enthousiasme la parution de Bagatelles, d’ailleurs édité par un Belge, Denoël. Rien d’étonnant à cela, car, au-delà des convergences idéologiques, Céline avait en commun avec la communauté wallonne un goût prononcé pour le parler fleuri (un peu comme Achille Talon ou Benoît Poelvoorde, dans un tout autre registre). A sa sortie, Bagatelles a connu un succès considérable en Belgique tout comme en France, où il a été porté aux nues par Brasillach et Rebatet.

- Et puis il y a Robert Poulet…
E.B. Ce célèbre critique littéraire et écrivain belge, très marqué à droite et qui finira sa carrière à Rivarol, constitue le lien le plus direct entre Hergé et Céline car il était un ami du premier et un très proche du second. Il a publié plusieurs critiques dithyrambiques de Bagatelles pour un massacre. Sa réaction à la publication du livre a été immédiate. Le pamphlet de Céline est mis en vente début janvier 1938, le premier de ses articles paraît dans La Nation belge du 8 février 1938. On peut y lire: «A ce degré d’abondance, il me semble que la trivialité devient noble, pure l’obscénité et raisonnable la frénésie» (les adjectifs «noble», «pur» et «raisonnable» sont habituellement appliqués à Hergé plutôt qu’à Céline), ou encore «Il [Céline] ne s’appuie pas sur le vocabulaire, mais sur la puissance et la rapidité incroyable de ses tournures», ce qui deviendra le principe même des injures de Haddock. Cet admirateur éperdu de l’œuvre célinienne avait sorti, en 1931, un roman, Handji, chez Denoël, maison d’édition qui publiera l’année suivante Voyage au bout de la nuit. Reçu régulièrement à Meudon par Céline, Robert Poulet en tirera un livre d’entretiens intitulé Mon ami Bardamu. En le brocardant un peu, Céline en fera même l’un des personnages de son ultime roman, Rigodon, qui débute ainsi: «Je vois bien que Poulet me boude… Poulet Robert condamné à mort… il parle plus de moi dans ses rubriques… autrefois j’étais le grand ceci… l’incomparable cela… maintenant à peine un petit mot accidentel assez méprisant.» Enfin, il sera celui que Gallimard choisira pour mettre au point l’édition posthume du Pont de Londres, la suite de Guignol’s Band.

- Quelles étaient les relations entre Poulet et Hergé?
E.B. Les deux hommes étaient très proches. Poulet apparaît à trente reprises dans la biographie d’Assouline! Après la guerre, Hergé l’aidera, notamment en finançant l’achat de son appartement en banlieue parisienne. A la mort d’Hergé, Poulet rendra d’ailleurs hommage à la fidélité et à la générosité de son ami dans Rivarol, en écrivant qu’il «fut la providence des inciviques» condamnés à la Libération. Or, le critique belge avait été enthousiasmé par Bagatelles pour un massacre. On peut donc parfaitement imaginer qu’il en ait conseillé la lecture à Hergé. Peut-être saurons-nous un jour si le livre s’est trouvé, à un moment ou à un autre, dans la bibliothèque d’Hergé, ou ressurgira-t-il un témoignage, une lettre, une trace, qui le confirmeront…

- Malgré les centaines d’études parues sur Hergé et Céline, personne n’avait fait le rapprochement avant aujourd’hui?
E.B. Je me suis posé la question. En fait, à ma connaissance, deux livres ont établi un rapprochement très allusif entre Céline et Hergé. Dans L’anarchisme de droite, Pascal Ory fait de Céline l’exemple type de ce pseudo-anarchisme petit-bourgeois, mais aussi, il situe précisément le père de Tintin sur le plan idéologique en écrivant qu’ «il y a donc une politique d’Hergé» et que «Le sceptre d’Ottokar [est un de] ces traités en douceur du paternalisme catholique»; quant au capitaine Haddock, il est présenté ainsi: «L’histoire que l’anarchiste de droite préfère relire est celle de ce capitaine à nom de poisson, ce loup de mer dévoyé aux fréquentations douteuses. […] Transmué châtelain, le capitaine Haddock ne remet plus les pieds sur un bateau. Derrière les murs de son domaine il peut s’adonner tout son saoul à son goût pour les eaux-de-vie fortes, l’enrichissement de sa collection d’injures et la misogynie, bref tous les attributs des officiers à la retraite.» Albert Algould, dans son Petit Haddock illustré, recueil commenté de tous les jurons du capitaine, cite Céline parmi les inspirateurs possibles des injures, mais au milieu d’une douzaine de «polémistes» où l’on trouve aussi bien Vallès que Juvénal, Dada que Guy Debord. Dans les deux cas, le lien demeure extrêmement diffus et ni l’un ni l’autre ne soupçonnent l’influence directe de Bagatelles. Dans sa biographie d’Hergé, Assouline, pourtant bon connaisseur de Céline, cite Bloy, Béraud et Léon Daudet, mais pas l’auteur du Voyage au bout de la nuit. Benoît Peeters non plus ne le mentionne pas.

- Comment expliquer cela?
E.B. Nous sommes dans deux univers aux antipodes l’un de l’autre. D’un côté, une bande dessinée pour enfants ayant un gentil boy-scout comme héros et, de l’autre, la part la plus sombre de l’humanité exprimée dans un langage outrancier. Et puis, nous avons affaire à deux personnalités que tout semble opposer: Hergé, le dandy toujours impeccable, qui maîtrise parfaitement ses sentiments, et Céline, qui se complaît dans son image de clochard, mettant «sa peau sur la table» à chaque livre. Enfin, il y a le caractère difficilement accessible des pamphlets de Céline. Bagatelles pour un massacre, L’école des cadavres et Les beaux draps ne sont pas, comme on le dit souvent, interdits par la loi, mais seulement interdits de réédition par Céline lui-même, aujourd’hui par sa veuve, Lucette Destouches, qui vit toujours. Et puis, au-delà de toutes ces raisons, peut-être y a-t-il quelque chose de profondément choquant, de presque monstrueux, dans ce rapprochement. Comment imaginer que trois générations de Français ont peut-être appris à lire à leur insu dans le pamphlet antisémite du siècle?
* Céline, Editions Ecriture. Emile Brami est également le fondateur de la librairie D’un livre l’autre, rendez-vous mondial des céliniens (6, rue Bréa, Paris VIe)

Et voilà ! Qu'en dites-vous ?



 
Agnès

23/05/2007
22:38
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Patrick tu es un coeur !

 
A.

23/05/2007
22:47
Quelques éclaircissements

Patrick est un ange prce qu'il a expédié d'un clic & ad patres ma première version de la synthèse, beuguée , pour en afficher une toute belle & sans erreurs (ce qui explique le désormais sibyllin message de GT).

 
w

24/05/2007
10:26
Un régal !

Agnès, je viens de me dé-lec-ter de ces passages sur les avec un appétit d'enthomologiste.

 
paddy

24/05/2007
14:10
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

J'adore Tintin et encore plus le capitaine Haddock. Et franchement je ne crois pas que "macaques" soit un terme raciste dans ce contexte de jeu sur les sonorités. La police antiraciste du langage m'ennuie profondement, surtout quand on voit toutes les abominations qui s'impriment par ailleurs


 
Agnès

24/05/2007
17:31
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Mais Patrick, j'adore les jurons et les injures (cf les Racontars arctiques). Je ne crois pas que cette étude soit de l'ordre de la censure. c'est seulement un rapprochement particulièrement intéressant. En l'occurrence, si Hergé a détourné les injures de Céline - à une période où celui-ci avait perdu tout contrôle de lui-même - pour en faire le mode d'expression favori de Haddock, c'est tant mieux. c'est du délire transformé en jeu !
 
Nazdeb

24/05/2007
18:08
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

C'est savoureux et instructif !



 
w

25/05/2007
10:18
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Vient d'être porté à mon attention, même si ce fil n'est pas idéal :
«Tintin chez les philosophes», une rediffe le samedi 8 août 2005 de l'émission du 1er janvier 2005 :
Par Raphaël Enthoven, avec des lectures de textes par les comédiens Anne Brissier et Georges Claisse.

La plupart des lecteurs de Tintin font, en le lisant, de la philosophie sans le savoir.
Du Congo à l’Europe de l’Est, qu’il traverse la Chine, l’Amérique, le Tibet, le Sahara, sous la Terre ou sur la Lune, Tintin, c’est une latitude philosophique, que le monde et ses dilemmes poursuivent à la trace. Un prénom symétrique, un sujet transcendantal, cerné par des caricatures, flanqué d’un cabot trop humain, d’un marin sans foie, d’un professeur végétal et sourd, de jumeaux inénarrables et d’une cantatrice inaudible, qui résout les mystères tout en agglutinant les énigmes comme un aimant la limaille de fer.
Il faut relire Tintin, et lire entre les lignes claires les tribulations hilarantes des concepts. Pourquoi chercher ailleurs ce qu’on a sous les yeux ? demande Le trésor de Rackham le Rouge. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? suggèrent Les Bijoux de la Castafiore. Pourquoi chercher le vrai, quand on peut le reproduire ? s’interroge l’Oreille Cassée. À quoi sert le progrès, dans L’Affaire Tournesol, s’il tombe entre les mains des tyrans ? Faut-il dormir, comme Haddock, avec la barbe au-dessus ou au-dessous de la couverture ? Comment peut-il y avoir deux traces, alors que nous sommes seuls ? se demandent les Dupondt, toujours dans la Lune…
Qu’on le lise en dilettante ou le stylo à la main, l’amour de la sagesse colle aux pas du petit belge comme un morceau de sparadrap s’agrippe aux doigts probablement velus du capitaine. Voulez-vous entrer en philosophie par la droite ? Préférez donc Hergé à Heidegger. Plutôt Tintin, que Martin. Car s’il n’est pas certain – du tout - que la philosophie aide à comprendre Tintin, l’inverse, en revanche, est incontestable…
Commentaires vous propose de revisiter des albums si familiers, en compagnie de grands enfants tombés, par Tintin, dans la philosophie quand ils étaient tout petits : Clément Rosset et Jean-Luc Marion.

Invités

Clément Rosset. Philosophe

Jean-Luc Marion. Philosophe
des livres à découvrir



Michel Serres
Hergé mon ami
Moulinsart - 2000


Rassemble des textes, dont un inédit, de Michel Serres sur son ami Hergé.



Albert Algoud
Le Haddock illustré
Casterman - 2004


Insultes, injures, jurons, tout l'arsenal linguistique du capitaine Haddock est présenté et analysé avec sérieux et humour.



Clément Rosset
Le réel. Traité de l'idiotie
Minuit - 1977, 2004


Remettant en question Kant, Hegel, Bataille, Derrida et Lacan, C. Rosset se demande pourquoi la philosophie cherche à percer le sens et la raison du devenir et de l'histoire. Il veut rendre le réel à lui-même, à l'insignifiance, l'origine grecque du mot idiotie ayant pour première signification ce qui est simple, particulier, unique. Pas de mystère dans les choses, mais un mystère des choses.



Alain Bonfand, Jean-Luc Marion
Hergé : Tintin le terrible ou L'alphabet des richesses
Hachette - 1996


Sous la forme d'un abécédaire, de A comme amitié à Z comme Zorrino, A. Bonfand propose une relecture complète et cohérente de l'ensemble des albums de Tintin. Privilégiant le thème de la chasse au trésor, il montre combien l'objet même de la quête évolue, du bijou à dérober jusqu'à l'ami à conquérir.

On est super content : pas de podcast, pas de récupération possible , mais je cop'colle au moins pour les références livresques.


 
dom

25/05/2007
21:26
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

bon j'etais absent, et le premier fil ou je veux intervenir c'est bien celui la, j'aime bien tintin en plus et merci Agnes
pas de commentaire a ajouter, c'est agreable de n'etre que lecteur aussi

 
Agnès

07/06/2007
18:48
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Je viens de lire "La Maison du retour" de Jean-Paul Kauffmann, jolie couverture chez Nil éditions, février 2007.
C'est le dialogue de l'auteur avec lui-même, au fil de la découverte de sa nouvelle maison, élue en quelques instants, "at first sight", après de longues et vaines recherches. Une maison de maître dans la forêt des Landes, isolée, abandonnée depuis qu'elle a servi de bordel pour SS pendant la guerre de 40. C'est là qu'il vient camper, au milieu de rien sinon d'un vaste "airial" aux arbres enchevêtrés, en plein provisoire, après son retour de captivité. Accompagné d'un vieux Virgile trouvé sur les lieux, d'un opéra de Haydn - "Il Ritorno di Tobia", qu'il écoute en boucle, et de la présence active et silencieuse des deux maçons grommelants Castor et Pollux, il réapprend à vivre avec soi, la nature, sa famille, ses "semblables".
C'est un retour au monde, celui des hommes et celui de la nature, arbres, chevreuils, oiseaux... Un retour à soi aussi, que tente de capturer l'écriture. Il y a de longs passages sur le rapport aux livres. Ce qui m'a le plus frappée, touchée : que cet homme qui s'est dit sauvé par les livres pendant sa captivité, même les Harlequin que lui apportaient ses geôliers, dise avoir rompu avec eux. Ils sont toujours là auprès de lui, mais plus faciles à "désherber", et surtout, dépouillés de leur aura, du lien conssubstantiel qu'ils entretenaient ensemble. ça m'a glacée. Qu'on puisse quitter les livres... - C'est le bouquin d'un moraliste, plein de maximes sur les sujets qu'il traite - sur les maisons, entre autres. Un lecteur de Montaigne, c'est évident. Mais entrecoupé de dialogues, et de flashes d'infos d'époque sur la situation au Moyen Orient. Avec quelque chose d'un peu blanc, d'un peu décousu. Un livre juste et sincère, qui m'a touchée sans me séduire : affaire de style, et de composition. L'histoire, en tout cas, d'une reconstruction, en compagnie d'une maison.

 
Agnès

07/06/2007
19:04
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

NB : Muriel Barbery sera chez Le Brain mardi soir. Il cherche des lecteurs... Emission consacrée à "L'élégance du hérisson"* et à René Char. A part le prénom partagé par l'une des narratrices du roman et le poète, je ne vois pas le rapport. Bizarre attelage.

* Chez Martel samedi. Il interviouve au tph Alain Beuve-Méry (encore un héritier...) sur un festival du roman à Lyon (avec l'Angotte), puis il est question de l'extraordinaire succès de bouche à oreille du Hérisson, qui atteint les 300 000 exemplaires sans guère autre chose que l'élection des lecteurs. De toute évidence ABM n'a pas lu. Quant à FM, voici son commentaire : "On ne savait pas que les Zérissons étaient élégants"....
Ben toi, on saura que t'es une méga brèle.
 
AArgh !!!

07/06/2007
19:12
Erratum

Barbery et Char, ce n'est pas le même jour...
 
Agnès

08/06/2007
23:51
Tadié -Monod - Scott

J'apprends en écoutant Jean-Yves Tadié (diction précieuse, érudition admirative, grand talent de conteur) que Sylvère Monod, le traducteur de Dickens - et celui de Walter Scott, aussi, c'est l'objet de l'émission - est mort. Hommage à lui.
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=16 183&debut=0&page=1

 
Agnès

23/06/2007
08:42
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

La_Petite_Chartreuse de Pierre Péju. Ça commence par le récit cinématographique de la façon dont la petite fille et la voiture du libraire vont se heurter irrémédiablement, avec les deux trajectoires au ralenti en quelque sorte : une image contemporaine du destin en marche. J’étais saisie, estomaquée - et bluffée, parce que c’est sacrément bien raconté. Aussi l’ai-je lu d’une traite, pour me sortir la tête de mes copies de bac assez déprimantes. Eh bien, j’en suis sortie avec une certaine colère et pas mal de frustration. À quoi bon tant de talent, des personnages si justement dessinés, si incarnés – surtout le libraire, cet homme si lourd dans son corps, son histoire, et l’immense mémoire de livres qu’il promène partout avec lui – pour finalement accumuler sur les trois personnages des avalanches de destin tellement inexorable que rien ne leur est plus laissé comme brève issue qu’une brève étreinte, une conjonction plutôt, sur un terrain vague, et chacun repart de son côté dans sa vie sans espoir, sans couleur, sans chaleur. De grandes claques de pessimisme obligé, à grands coups de taloche, comme on balance du ciment sur un mur. L’abus de pouvoir d’un romancier athée et tout-puissant, qui ne laisse pas plus de liberté à ses personnages – et à ses lecteurs – que le Dieu vengeur dont il a fait litière.
Eh bien non. C’est trop. Docere peut-être, prenez-vous ça dans la gueule, la vie est une chienne, mais placere aussi : ce bouquin est torché, et l’attention portée par l’auteur à ses personnages, principaux et annexes, se dissout dans une toute puissance désinvolte. Manque de générosité. Du coup, c’est raté. Il fallait que je l’écrive. Ce n’est pas que je tienne au happy end. Mais une telle absence de compassion pour ses propres créatures, cela tient de l’imposture.
Quand j’aurais du temps, je parlerai d’Expiation , de Ian Mac Ewan. Tout le contraire, précisément. Livre lumineux et talentueux. Mais pas rose, non, pas du tout ! n’allez pas croire !

 
Agnès

25/06/2007
16:51
Du réchauffé, certes...

Pour ceusses que ça intéresserait, et pour renvoyer à un débat relativement récent sur ce fil, je signale « Les Malveillantes », enquête sur le cas Jonathan Littell, de Paul-Eric Blanrue chez Scali. L’auteur est semble-t-il historien, spécialisé dans les mystifications et autres mystères historiques : Louis XVII, le Saint Suaire…
Il interroge le succès de l’œuvre, jette quelques rares lumières sur la personnalité pour le moins mystérieuse de l’auteur, analyse les réactions dans la presse, examine la composition et les sources romanesques, littéraires et historiques du bouquin – et ses très nombreuses incohérences. C’est intéressant parce qu’assez peu polémique, somme toute. Et il en vient à peu près à la conclusion que la force de ce roman, c’est son obscurité fantasmatique. Une fascination pour le moins trouble pour les interdits tels que violence, scatologie, sexualités « déviantes » qui se sont cristallisées dans le personnage de Max Aue et tels qu’on pouvait les trouver mis en scène dans ce qu’il appelle le « gestaporn », « nanars » pornos des années 70, désigné par lui comme sous-genre douteux. En gros, un cocktail de fantasmes sexuels hard et de Shoah, qui, dissimulé sous le côté « bien pensant » du roman (la réflexion sur la banalité du mal, dont il conteste d’ailleurs lui aussi la pertinence, en soulignant que le héros est pour le moins perturbé) aurait titillé plus ou moins malgré eux nombre de lecteurs. Autrement dit, ça c’est moi qui rajoute, la banalité du mal ne serait-elle pas plutôt l’attirance trouble que nombre de lecteurs peuvent éprouver pour le sado-masochisme nazi mis en scène dans le roman ? Question pour le moins intéressante.
Au passage, rien non plus là-dedans sur la cohérence du titre. Je vais rester avec ma question.
Bon, c’est pas tout ça …


 
Agnès

26/06/2007
09:15
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Entre cette nuit et ce matin, lu "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" d'Harper Lee je n'ai pas le temps de m'y attarder, mais c'est, dans l'Alabama des années 30, un magnifique roman tout irradié d'enfance. Livre de poche.

 
Agnès

30/06/2007
14:59
Avant éclipse

Je ne sais pas quand je pourrai revenir faire un tour parmi vous/nous, et je n'ai pas le temps de concocter des critiques un peu rédigées, mais je voudrais signaler aux lecteurs avant de partir une de mes récentes découvertes : Ian Mc Ewan, après Expiation mentionné un peu plus haut, où les premières pages en particulier excellent à isoler des "bulles" de vie, des fragments de moments immobilisés à la manière de Virginia Woolf, sans parler de la composition, remarquable, et de l'intérêt de l'intrigue et de sa générosité, aussi, je viens d'avaler avec une délectation beaucoup plus misanthrope Amsterdam , composition très sarcastique sur un "couple" d'amis vieillissants unis entre autres par une maîtresse commune que l'on incinère dès les premières lignes. Chacun poursuit un rêve de gloire et d'ambition très habilement tricotés entre eux par le romancier. C'est à la fois très humain et très caustique, et j'adore décidément cette capacité qu'ont les Anglais à raconter des histoires virtuosement composées (cf Coe) où les personnages, pour être de papier n'en sont pas moins de chair, sans grattage de nombril, des hsistoires ancrées dans le monde contemporain, et qui emportent...
Bonnes vacances à ceux qui,
smiley 376
 
Grrr

30/06/2007
15:00
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V


 
Courtesy

01/07/2007
12:01
De notre Correspondante Anonyme

À emporter absolument dans vos bagages,

je viens de lire d'une traite deux courts romans d'un jeune philosophe, génération Muriel Barbery, même profil, « Ce qui est perdu », paru en 2006 et « À la porte », paru en 2004. Ce qui est perdu est une petite merveille. Le sujet, la construction, le style, tout y est parfaitement pensé. Un roman sur un jeune homme qui pour se guérir d'une rupture amoureuse (la fille a l'air d'une dinde parfaite) décide d'écrire une biographie de Kierkegaard. Pour qu'elle puisse, à travers ce livre, comprendre qui il est vraiment (pas le philosophe, lui). Comme il a besoin d'argent ­ le retour au célibat coûte cher - , il promène des touristes danois dans Paris. Le reste du temps il raconte ses déboires sentimentaux, et ceux des gens qu'il rencontre, à l'assistance de plus en plus nombreuse du salon de coiffure de son ami Abel, un confesseur qui s'ignore. Là, tout le monde y va de sa petite histoire, et curieusement, elles se croisent car elles se ressemblent, toutes ces histoires de pertes et de ruptures définitives. Mais sans la moindre tristesse, car ce petit roman est d'une drôlerie et parfois d'une loufoquerie inattendues, étant donné le sujet. Il y a notamment dans les dernières pages une course-poursuite derrière un chat dans les jardins de Versailles qui ravira Patrick. Mais c'est aussi très fin, très sensible, profond, sans jamais être gnan-gnan, plein de fantaisie et de surprises. Finalement, vous ne lirez pas une ligne de la biographie de Kierkegaard, ou si peu, (dans la vraie vie, Vincent Delecroix semble connaître assez bien son danois d'auteur), mais vous aurez droit aux tribulations sentimentales et mélancolieuses d'un hurluberlu tout à fait attachant. Bref, je vous le conseille. On aime lire ce genre de livres.

« À la porte », qui le précède chronologiquement est une histoire plus dure peut-être d'un vieux professeur qui reste sur son palier, après qu'un blanc-bec de thésard, venu chercher des conseils, referme la porte sur eux deux. Il est donc condamné à errer toute la journée dans Paris, sans but, sans argent. Une sorte de méditation sur sa vie, une errance qui se mélange vite au rêve, aigre-douce, plutôt aigre en fait, mais extrêmement lucide.
http://www.gallimard.fr/catalog/bon-feuilles/01059344.HTM



 
Zx

01/07/2007
17:02
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

" (dans la vraie vie, Vincent Delecroix semble connaître assez bien son danois d'auteur)"

Il l'a même traduit.
 
Courtesy

01/07/2007
17:13
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Ça se voulait un clin d'œil, cher Zx... Il en a même fait une thèse et un certain nombre d'articles...
http://www.ehess.fr/centres/ceifr/pages/V-D.html
 
Zx

01/07/2007
21:03
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Je m'en doutais Simplement, qu'il ait fait une thèse sur Kierkegaard, à la limite, rien que de très classique. Qu'il le traduise du Danois indique un attachement tout autre qu'il est bon de rappler car tout le monde ne connaît peut-être pas V.D. même s'il est passé plusieurs fois sur FC.

En outre, ses traductions sont des re-traductions puisque tout K. est diponible depuis belle lurette aux éditions de l'Orante. Il cherche donc davantage à imprimer sa marque ou plutôt à aborder l'oeuvre via un biais personnel (peut-être même intime si l'on tient compte de son activité de romancier), qu'à défriche une terra incognita.

Après, si j'ai été laconique c'est parce que je suis malade et fatigué mais ça, c'est une autre histoire

 
LRDB

01/07/2007
22:41
Pour vous soigner - Doctor LRDB prescrit :

Coincidence : au moment où je découvre vos remarques je suis en train de remonter le courant de "Du jour au lendemain" et arrivé au 11 janvier, j'écoute en ce moment même Delecroix qui parle de Kierkegaard.

Comment le réécouter ?
En cliquant ici :
http://www.tv-radio.com/ondemand/france_culture/JOUR_LENDEMA IN/JOUR_LENDEMAIN20070111.ram
http://www.tv-radio.com/ondemand/france_culture/JOUR_LENDEMA INB/JOUR_LENDEMAINB20070112.ram
(émission stockée en 2 parties)

Doc' LRDB
 
Courtesy

01/07/2007
22:48
C'est en expliquant qu'on devient explicite

Convenez, cher Zx, que vos propos laconiques ("Il l'a même traduit. ") n'en laissaient pas deviner autant... Ce n'est qu'après coup, que vous apportez la glose de votre remarque... Comment deviner que vous aviez si bien deviné ? Ça va mieux en le disant.
Et bon rétablissement !

Merci pour le tuyau, Majesté.

 
EMC²

19/07/2007
11:50
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Agnès et autres Grands Amis de l'écrit (et du sonore),
il m'est venu de faire un blog, au jour le jour, mais des jours anciens, et donc je republie "20 ans après" des vieux articles de mon ex-compagnon (vous me suivez ?)comme une nouvelle actualité. Ils sont beaux, ces papiers, parus jadis dans Libération, le Magazine Littéraire, Paris Hebdo, le Point, le Journal Littéraire...
Et maintenant, c'est ici :
http://libellules.blog.lemonde.fr/

Soyez les bienvenus.
Et bonnes vacances,
Eva
 
Encore moi

21/07/2007
13:46
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Bonjour, bonnes vacances, bonnes lecture, bonne écoute,
je viens d'améliorer (ayant enfin compris), la lisiblité de mon blog. Un article magnifique sur les rimes de Gainsbourg, ses sources, ses cambriolages, ses carambolages textuels, toujours par Alain Garric :

http://libellules.blog.lemonde.fr/2007/07/13/gainsbout-rime/

Et bien d'autres papiers.
 
Encore et encore moi

28/07/2007
22:17
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

"Soyons réalistes : parlons de l’âme. Ni l‘âme en bronze des canons, ni celle, en épicéa, des violons. Caressons l’âme abandonnée (depuis Kant ?) par les troupeaux philosophants, la mauvaise herbe arrachée du langage des rues, vieille pâture diabolique, bolet Satan qui n’est plus au catalogue des horticulteurs et botanistes de la vie. Âme que le corps infidèle avait plaquée, remplacée par l’électricité, les écrans platoniciens et les passions de la peau."

La suite (un hommage à Maren Sell) ici :

http://libellules.blog.lemonde.fr/2007/07/28/maren-sell-le-s ouci-de-l%e2%80%99ame

Parce qu'elle a fermé sa maison. Tandis que ce papier parle de ses débuts.
 
shhh

29/07/2007
12:26
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

D'abord je me suis dit que j'allais garder secret que j'avais (enfin) trouvé un bon thriller.
Et puis quand même, ne soyons pas égoïste, surtout qu'après tout je suis redevable à ce fil de pas mal de découvertes.
Il s'agit de la Conspiration des Ténèbres, de Théodore Roszak qui n'est pas un novice, puisqu'il écrivait des livres de science fiction.
C'est un livre que je n'ai pas terminé, je n'en ai lu que la moitié pour le moment, il faut dire qu'à cause de l'indigence de la production policière je fais traîner celui-ci, pour essayer d'en avoir pour longtemps à le lire. Ce que j'en ai lu, a pour argument la découverte du mystère qui entoure un obscur réalisateur de cinéma des années précédent et suivant la guerre, dont les films ont été censurés, égarés ou fragmentés. C'est une somme de connaissances sur le cinéma, mais surtout, c'est extrêmement bien mené, un livre très architecturé, comme devrait l'être tout polar qui se respecte. Il y passe le souffle qu'on pouvait aimer dans le cinéma et les polars américains. Il semble d'ailleurs que le livre fera l'objet d'un film, adapté par le scénariste de Fight Club. Et on le comprend.
Plus de 800 pages en livre de poche, c'est bien hein ? De quoi passer quelques semaines sans avoir à écouter des balivernes à la radio.

 
Agnès

30/07/2007
09:53
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Bonjour Eva et shhh !
Merci Eva pour ces liens. Lu seulement le bel article sur Gainsbourg, talentueux et érudit. Voilà un nouveau lieu de promenade sur la toile.
Meci à shhh pour le conseil, ça me dit qqch ce titre, mais sans plus.
Pour ma part, je reste éblouie et bouleversée par la lecture récente de "Ne Tirez pas sur l'oiseau moqueur" de Harper Lee ("To Kill a mocking bird").
C'est un merveilleux bouquin, littéralement irradié d'enfance. La chronique, à hauteur de petite fille (6 ans au début du livre) d'une petite ville sudiste dans les années 1930. Les trois personnages principaux - mais tous les personnages sont fermement dessinés - sont les deux enfants et leur père veuf, Atticus Finch, avocat intègre qui accepte en cours de roman de défendre un noir accusé à tort de viol par une blanche. Mais le roman est d'abord hanté par la présence invisible et inquiétante de Boo Radley, le voisin cloîtré depuis des années par son père puis son frère aîné, sorte de mauvais (?) génie qui obsède les ragots locaux et l'imagination des enfants Finch et de leur ami de vacances, le petit Dill à la fantaisie débridée - personnage inspiré à l'auteur par Truman Capote, dont elle était en effet l'amie d'enfance. Ni manichéisme ni militantisme dans ce texte, un regard profondément, et subtilement humain, avec une drôlerire sous-jacente qui confère au roman une légèreté à la fois élégante et profonde. Absolument délectable, et en livre de poche dans une traduction refondue, avec une magnifique photo de Dorothea Lange sur la couverture.
Il semblerait que ce roman connaisse un renouveau de faveur à la suite des deux films sur T. Capote. Pour moi qui l'avais ignoré jusqu'ici (30 millions d'exemplaires vendus dans le monde, tout de même, et c'est le SEUL roman publié par l'auteur) c'est une découverte majeure. Un grand texte, profond, humaniste, et juste.
Des fois qu'il y en ait parmi vous qui ne sachent pas quoi lire ...


 
Atticus

30/07/2007
10:28
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Ne pas omettre d'en voir la superbe adaptation cinématographique avec Gregory Peck en Atticus Finch (à voir en VO pour le bel accent du sud, surtout prononcé par les enfants)
 
Agnès

30/07/2007
11:51
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Je viens de la regarder ! (En français scrgngneu, honnis soient mes proches non anglicistes... mais ça n'est que partie remise). C'est bien, mais tellement moins riche que le roman ! Beau film honorable, mais plus centré sur Atticus que sur Scout (la petite fille), et la saveur, la mystère, la confusion et l'exigence de l'enfance y perdent beaucoup. Film de Robert Mulligan 1962 http://fr.wikipedia.org/wiki/Du_Silence_et_des_Ombres
au demeurant indéniablement fidèle au roman, mais inévitablement tronqué. Par exemple, la terrifiante scène finale est amputée à la fois de l'épisode burlesque qui la précède (le sommeil de Scout-jambon au moment où elle doit défiler), et de la subtilité des sensations physiques qui la constituent (bruits et toucher, par exemple l'importance des pieds nus de Scout et le récit de l'attaque uniquement à travers les sons...)
Je l'ai commandé juste après ma lecture. Il manque aussi la galerie de personnages annexes, l'insupportable commère, la tante Alexandra etc... Ce qui fait que seul le lecteur peut goûter l'omniprésence de la salopette de Scout, par exemple.

 
pascale

30/07/2007
14:45
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Avez-vous lu Nous les moins que rien, fils aînés de personne, de Jacques Roubaud ? Ascète stylite,troubadour retiré dans la forêt en attendant le pardon de sa dame, défenseur de la tolérance religieuse en pleine guerre de religion, il a été aussi Pierre Corneille Roubaud, trouvant des drôles de choses dans les pièces classiques et auteur d'un succulent inpromptu sur le théâtre. Et aussi Orson Roubaud, auteur du fameux chef-d'œuvre cinématographique La Nuit des lapins géants.


 
Eva

30/07/2007
15:19
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Merci, Agnès, mais mon blog est déjà en deuil, aujourd'hui, je suis obligée d'y prendre la parole moi-même pour rendre hommage à mon amie Lisa Bresner. Elle est morte à 35 ans, avant-hier. Si vous n'avez rien lu d'elle... par quoi commencer ? Un talent merveilleux, sublime, lumineux. Commencez par n'importe lequel, empruntez ses titres pour la jeunesse à vos enfants, ou alors, si c'est les livres pour adultes, mon préféré d'elle, c'est son quatrième :
"La vie chinoise de Marianne Pêche".

L'adresse de son site, avec sa courte, si courte biographie, sa longue bibliographie :

http://lisabresner.free.fr/

Quelle désolation.
 
Danièle

30/07/2007
20:35
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

C'est vraiment moche de mourir à 35 ans
 
Atticus

30/07/2007
20:51
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Vu le film, donc, mais pas lu le livre! Je suis donc ravi de savoir que le film ne contient pas tout...
 
Eva

31/07/2007
01:01
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

A la mémoire du merveilleux écrivain Lisa Bresner.
Pas encore réussi à insérer trois petites photos de mon amie.
Je suis effondrée.

http://libellules.blog.lemonde.fr/2007/07/30/lisa-bresner-19 71-2007/

Vous savez, j'ai aussi mis le lien sur mon blog, d'emblée, qui pointe vers ce forum. C'est important pour moi de vous le dire aujourd'hui.
 
Eva

31/07/2007
02:26
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Hubert Nyssen sur le site Actes-Sud :

29 juillet ­ (...)

En plein midi la nouvelle s'est plantée devant moi comme un javelot. Et il vibre encore. Lisa Bresner est morte vendredi. Dans quelles circonstances, je ne sais pas. Je me suis longuement attardé sur son site (lisabresner.free.fr), devant les photos de cette jeune femme qui, en jouant sur le pavé chinois de Paris, avait appris dans l'enfance à parler une langue qu'elle apprit ensuite à lire et à écrire et qui lui inspira contes et récits. Et deux romans. Lao Tseu où l'on voit que "les territoires se dirigent selon les mêmes règles que celles qui rythment les amours de l'alcôve", et Pékin est mon jardin où une petite fille, le jour de son anniversaire, est abandonnée par son père qui s'envole vers la Chine. Deux romans que j'ai publiés avec gourmandise dans la collection "un endroit où aller". Mais quel tumultueux jardin, à elle seule, était cette Lisa ! C'est une chose affreuse dans le grand âge que j'ai atteint, on voit tant de merveilles disparaître. J'aimais le sourire de Lisa, sa grâce, son imagination, ses grands désespoirs, ses malices et son talent.

(extrait des Carnets d'Hubert Nyssen)
http://www.hubertnyssen.com/carnets.php

 
Zx

31/07/2007
09:52
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Je suis sincèrement désolé. J'ai appris la nouvelle hier mais les mots me manquaient après avoir vu les photos de Lisa Bresner sur son site. Tout simplement.


J'ai retrouvé ce texte, Eva, dans lequel vous la mentionnez déjà (chapitre IX) : http://rdereel.free.fr/volJZ2.html


Je précise également qu'elle fut l'invité de Fort intérieur le 2 novembre 2003 et d'Alain Veinstein (Du jour au lendemain) le 15 février 2000.

Châpeau de Fort intérieur :

"Après le lama Dagpo Rimpotché, l'écrivain
chinoise de langue française Ying Chen, voici une
sinologue qui est également romancière : Lisa
Bresner. Parmi la quinzaine d'ouvrages qu'elle a
publiés, notons "Le sculpteur de femmes"
(Gallimard, 1992), "Contes chinois" (Ecole des
Loisirs, 2000), "Lao Tseu" (Actes Sud, 2000) et
le dernier né "Tuiles intactes et jades brisés :
petits traités sur la Chine" (Philippe Picquier,
2003)."
 
w

31/07/2007
10:11
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Comme c'est violent.
Je ne la connaissais pas, et nul écho de la cause de sa disparition.
Et à part Nyssen, sur la toile sa mort est tue.

Heureusement que vous en parlez, Eva.
Je suis en train de passer une commande.
 
w

31/07/2007
10:31
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Je n'avais pas encore lu tous les liens, désolée.


 
Eva

31/07/2007
13:49
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Merci à vous tous. Zx, je n'ai qu'une demi-heure (une face de la cassette) du Jour au lendemain, qui était rediffusé l'été suivant. Je vais écrire à Alain Veinstein, demander qu'il rediffuse encore en hommage à Lisa, une émission vraiment formidable, sensible, drôle. Elle est aussi intervenue dans La suite dans les idées, je n'ai pas la date en tête, nous parlions des livres pour enfants des autres, en direct du salon de Montreuil, il y avait Darrieussecq avec nous.
 
pascale

31/07/2007
16:07
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Je ne connaissais pas non plus Lisa Bresner mais je viens de voir ses photos et de commencer la Vie chinoise de Marianne Pêche. C'est drôle comme sa façon d'écrire lui ressemblait, toute gracieuse et lumineuse avec quelque chose de grave. Terriblement triste de découvrir tout cela dans de telles circonstances !
 
Zx

31/07/2007
18:16
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Un extrait de Mélilotus et le mystère de Goutte-Sèche : http://www.lire.fr/enquete.asp/idC=45760/idR=
 
lu

01/08/2007
09:27
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

http://www.nantes.maville.com/Actualit/re/actudet/actu_-4304 90-----_actu.html

 
Agnès

01/08/2007
10:44
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Alléchante, l'histoire de Mélilotus. Si j'avais 11 ans, je lirais la suite. Et peut-être même si j'étais plus âgée ?

 
admirateur

01/08/2007
11:34
Google Image: Lisa Bresner

***gracieuse et lumineuse avec quelque chose de grave***

cliquer sur la quatrième photo puis cliquer sur "image non réduite"
 
admirateur

01/08/2007
13:54
mourir jeune

***C'est vraiment moche de mourir à 35 ans***

Oui mais moins lorsqu'on a une oeuvre derrière soi: Schubert, 31 ans, Pergolese, 26 ans, Evariste Gallois, 21 ans, André Chénier, 32 ans, Arthur Rimbaud, 37 ans, Alain Fournier, 27 ans, Raymond Radiguet, 20 ans...
 
Agnès

02/08/2007
14:39
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Lu, avec beaucoup de plaisir, un tout petit Balzac satirique et indulgent : Pierre Grassou. - de, et dit, Fougères. Peintre obstiné et sans génie, pour bourgeois.
 
Zx

02/08/2007
22:44
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

http://www.rue89.com/2007/08/01/la-disparition-de-lisa-bresn er-defricheuse-de-la-culture-chinoise
 
A.

03/08/2007
00:03
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

C'est un remarque sans doute inutile, mais cette photo, que j'ai vue plusieurs fois, me rappelle de façon surprenante le visage de la comédienne Christine Pascal, elle aussi suicidée.
 
Zx

03/08/2007
22:54
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

http://www.actes-sud.fr/pg/bresner.php
 
Zx

03/08/2007
23:14
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

http://www.paysdechateaubriant.fr/Lisa-Bresner,-partir-a-36- ans_a2678.html

http://blog.lignesdefuite.fr/post/2007/08/01/souple-et-faibl e

http://www.livreshebdo.com/actualites/DetailsActuRub.aspx?id =854

http://luciesurlaterre.canalblog.com/
 
Eva

04/08/2007
10:29
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Merci, Zx, pour les liens, découverts hier soir, de retour de Nantes, après la cérémonie pour Lisa, le grand soleil, et ses trois adresses que nous avons trouvées, non pas sur un plan de la ville ordinaire, mais en suivant le dessin de la couverture de La forme d'une ville de Gracq. Les trois adresses successives, dont la dernière.
 
Eva

04/08/2007
12:45
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Imaginez, ce matin, j'ai retrouvé le livre de Lisa que je cherchais - Pouvoirs de la mélancolie - dans le coin supérieur gauche de ma bibliothèque, serré tout contre les Lettres à l'amant de Mireille Sorgue. Mais, finalement, elles se ressemblaient tellement, à y réfléchir ! Tout les sépare, l'époque, le genre, la nombreuse bibliographie de mon amie, le "peu" de Mireille Sorgue, et pourtant, c'est une certitude, elles sont soeurs. J'y adjoindrais Elsa Morante (ces jours-ci, je republie les articles d'Alain Garric sur la Morante), dont j'avais naguère recommandé à Lisa Aracoeli et Mensonges et sortilèges.

http://libellules.blog.lemonde.fr/

 
Agnès

04/08/2007
14:14
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Je n'ai lu d'Elsa Morante que La Storia , mais avec quelle passion ! Lu l'article de votre blog, ce matin, au demeurant. Ils sont intéressant, ces articles. J'ai fait un tour à Pékin, aussi.
Mireille Sorgue, on a ça dans un coin de la bibliothèque. Souvenir d'un lyrisme puissant et torrentiel, mais qui me laisse un peu en dehors.
Moi, je lis Balzac : Gobseck, Le Père Goriot, Le Colonel Chabert, L'Interdiction, Autre étude de femme, La Messe de l'athée, Le Contrat de mariage. Puissante création, puissante composition, cathédrale de signes. J'aime, définitivement.

 
pascale

04/08/2007
20:36
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

La Storia ! un de mes romans préférés. Bouleversant. C'est plutôt à la manière d'une musicienne que l'auteur raconte comment la seconde guerre mondiale a détruit la vie de personnes simples, du peuple de Rome : de la basse continue des nazi-fascistes au soprano d'un petit enfant, les voix de tous les personnages montent jusqu'à un silence final, terrible...
A lire absolument.
 
Agnès

06/08/2007
17:26
Accès de monomanie

"Ursule Mirouet", 1ère des "Scènes de la vie de province". A quelques inadvertances près, et nonobstant (ou grâce à)la présence du surnaturel, c'est une bien charmante histoire, sur fond sinistre de captation d'héritage. Et celui-là, je le lisais pour la première fois.

 
Agnès

09/08/2007
10:33
Fin du tome II

[(i[Eugénie Grandet . Ma première lecture de Balzac, il y a bien longtemps, en 4ème. D’abord rebutée par les longues descriptions initiales, de Saumur, de la maison du Père Grandet, de la porte d’icelle, de la salle sinistre où l’on reçoit les hôtes… interminables pour la dévoreuse de romans d’aventures que j’étais. Puis sous la conduite lumineuse de notre professeur, Andrée Ferrier, hommage à elle toujours vive en sa maison d’Allauch, la découverte de l’univers de Balzac, comédie humaine et déchiffrement du monde. Balzac auquel je reviens encore et encore, avec des éclipses toujours plus brèves. J’en ai lu des milliers de pages depuis, mais c’est la première fois, depuis près de 40 ans, que je revenais à Eugénie Grandet. J’y ai retrouvé mon plaisir d’adolescente intact, ou plutôt exalté par la connaissance des autres textes, et le regard critique. Magnifique portrait de femme, sombre et lucide étude de famille, et le personnage de l’avare toujours plus obsédé par son or, toujours plus clairvoyant grâce à son or. La scène vibrante de tension dramatique où la fille s’oppose à son père à propos des doublons disparus, récit et dialogue, tellement intense, il n’y a pas de gras. La meute des citadins de province, cruchotins et grassinistes, accompagne de son chœur intéressé le destin tragique de cette vierge post-révolutionnaire, condamnée par la fortune et la passion de son père. Et en sourdine, le combat entre deux forces toutes-puissantes : Dieu et l’Or. Il n’y a pas un personnage, pas une parole, pas même une description de trop. Un roman classique.

 
Eva

13/08/2007
14:56
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Une très bonne interview de Lisa Bresner, réalisée par des écoliers de Bordeaux, en 1999. Où l'on apprend des choses sur la Grande Muraille (plus courte vers la mer que vers la montagne) et sur des crevettes vivantes anesthésiées par la sauce au vinaigre. Où il y a toute la grâce de la voix de Lisa :

http://lisabresner.free.fr/docsonores.html

 
Agnès

14/08/2007
10:38
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Merci Eva. Très jolie voix, celle d'une femme attentive à son auditoire, répondant avec justesse et sincérité, pour ouvrir les autres à ce qu'elle évoque. Et la classe, aussi, attentive, bien préparée, curieuse. Ni puérilité, ni complaisance dans cet échange que j'ai écouté comme on écoute une histoire. Avec tout ce que l'issue récente fait palpiter de fragilités à venir.
 
Eva

15/08/2007
17:41
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Quelques brefs extraits des livres de Lisa Bresner mis en ligne :

http://autobiographiedetoutlemonde.blogspot.com/2007/08/page -lisa-bresner.html

(Il y a des sourires tristes. N'y a-t-il pas des smileys tristes ?)
 
Agnès

17/08/2007
19:00
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

"Lasse de lutter contre sa jeunesse, fatiguée de vingt ans d’extase, la tête chargée des odeurs de l’encens, le cœur noyé dans les rêves mystiques, servante de Jésus-Christ, fiancée de Maurice, esprit malade, corps sain, elle sentit tout d’un coup le désir naître et sa vertu crouler." (J'aime bien la chute...)

J’ai exhumé en rangeant des livres un mince volume édité chez Ombres en 1996, et que j’avais laissé s’ensevelir sans l’ouvrir : Un gentilhomme , de Jules Vallès, roman feuilleton de 1869, préface de Roger Bellet, son éditeur dans la Pléiade. Joli petit livre (mauvaise reliure), mais quelle déconvenue que cette lecture ! C’est du Vallès avant Vallès. Le texte d’un auteur qui ne s’est pas trouvé. Une sombre histoire de famille aristocratique d’Auvergne dominée par une grand-mère toute puissante dans sa méchanceté, qui impose ses volontés à sa belle-fille veuve et haïe, une bigote qui ne laisse elle-même à son fils, Maurice, le « héros », aucune liberté. Il grandit donc, gauche et blafard, étouffé par les femmes et la religion, jusqu’au jour où son état de santé oblige sa mère à le laisser séjourner chez l’oncle paria, François, qui a épousé une paysanne et vit en fermier. Suivent quelques pages vraiment vallésiennes, comme diraient les cuistres : la découverte des saveurs, des odeurs et des goûts de la campagne sous la conduite de sa cousine la ronde et radieuse Louise, la liberté, la réconciliation avec le corps et la nature, la joie physique. Maurice a trouvé son univers, oubliant ses prières et ses préjugés aristocratiques. Ce sont des pages lumineuses, qui rappellent les séjours à la campagne de l’Enfant, à Fareyrolles avec les cousines, ou chez l’oncle curé.
Hélas, le bonheur de Maurice est de courte durée. Rappelé par sa mère, il retrouve le château obscur et glacé, la nourriture sans saveur, les contraintes, l’absence d’affection. Jusqu’à la mort de la grand-mère (épisode très noir et très mélodramatique, mais raté) qui naturellement les a déshérités et les laisse à la charité de sa seconde petite-fille, une jeune vierge vieillissante et dévote, mais bonne fille, et gourmande. Naturellement, celle-ci s’éprend de son cousin, qui ignore ses maladroites coquetteries tant est vivace en lui le souvenir de Louise….
Je ne vais pas vous raconter la fin, qui est sanglante. Du pur mélo, digne de Pixérécourt au moins ! pour le reste, on voit passer l’influence de Hugo – Babassou est une variété de Quasimodo - et du roman populaire de l’époque. Mais rien du souffle ironique de Vallès, de sa narration brisée et railleuse ou lyrique. Un récit mal cousu, dans une époque où il avait sans doute bien d’autres chats à fouetter, même si ses journaux s’étaient cassé la figure. Un document intéressant – si l’on n’a pas lu la préface, qui dévoile tout ! -, à des années-lumière de l’allégresse narrative et stylistique, des portraits enlevés et des dialogues nerveux du Vallès-Vingtras de la Trilogie, à qui le temps, la mort et l’exil ont permis de trouver sa voix.


 
Agnès

19/08/2007
22:30
Monomane (suite)

Il y a, dans les Etudes philosophiques de la Comédie Humaine, quelques nouvelles saisissantes, brèves, nerveuses, cruelles : Adieu, Le Réquisitionnaire, El Verdugo , Un Drame au bord de la mer. C'est TRES TRES bien.

 
pascale

20/08/2007
09:29
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

J'avoue que l'Ursule mirouette m'embête un peu et il faudrait que je relise Eugénie Grandet, mais Un drame au bord de la mer : oui, c'est magnifique, pas très connu, on se demande pourquoi !

 
Agnès

20/08/2007
10:19
Honoré en ses nouvelles

Hello Pascale. Ursule, c'est le pendant optimiste d'Eugénie.... Les héritiers sont gratinés, quand même ! Mias ce n'est pas un chef d'oeuvre, soit ! Quant aux nouvelles, il y en a de très nombreuses qui sont vraiment réussies. J'ai un faible pour Gobseck, regard oblique sur Le Père Goriot, mais il y a aussi La Messe de l'athée, L'Interdiction, Une Fille d'Eve ou L'Auberge rouge, et naturellement, la somptueuse Fille aux yeux d'or. Brèfle. Je ne me lasse pas de Balzac. Pour l'heure, j'ai entrepris Maître Cornélius, mais j'aime moins les récits d'avant la Révolution...
Enfin, par les temps qui couLent, c'est plutôt L'Inondation, très belle nouvelle de Zola, qu'il faudrait lire.......

 
pascale

20/08/2007
10:44
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

ou la Mousson...
 
Agnès

20/08/2007
12:04
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Ah oui !!!!! La Mousson ! Magnifique roman de mon adolescence. Je me suis laissée aller une nuit, au cinéma de minuit, à en regarder l'adaptation cinématographique. Une HORREUR ! Avec un Ransome ridicule, un moustachu épais, ça m'a bousillé mon univers imaginaire. Ne JAMAIS regarder La Mousson !
 
Agnès

21/08/2007
13:11
Merci Eva

Je ne sais si certains d'entre vous rendent régulièrement visite au blog d'Eva, Libellules. Pour ma part, je tiens à lui rendre hommage d'avoir mis ainsi à notre disposition ces articles passionnants. Je n’ai pas pris le temps de les lire toutes car c’est une langue difficile - diluvienne, emportée et pourtant allusive, qui demande une attention que l’écran ne me permet pas, et j’attends de prendre mon temps pour les imprimer et les lire à tête reposée, concentrée, plutôt. Quelle moisson cependant, hétéroclite seulement à qui porte un regard convenu sur ce qu’est l’amour des livres : Nabokov, Régine Desforges, Odile Jacob, Sade, Graham Greene, Vialatte, Gainsbourg, Catulle, Rutebeuf… et Cendrars, dont je découvre ce matin un épisode biographique inédit à travers le souvenir de cette Elizabeth Prévost à la riche existence d’aventurière, qui « après un dernier tour du monde en cargo, en 88-89 […] a achevé sa vie débordée d’univers dans l’île d’Houat où elle décéda, en 1996, à l’âge de 85 ans. »
Merci Eva. Il est étrange et amusant de découvrir des « nouvelles » vingt ans après. Et puis c’est passionnant, érudit et sans complaisance aucune. Un regard aigu, au service exclusif des auteurs dont il traite.

 
AArgh !!!

21/08/2007
13:12
Erratum

de les lire touS.

 
Eva

21/08/2007
16:57
Merci Agnès

Oh j'y suis pour très peu, juste l'idée de ces Libellules, après, les blogs, ça va tout seul, il suffit de remplir. Et il y a de quoi. Dernièrement, j'ai aussi republié un article de Geneviève Brisac sur Mireille Sorgue.

Mais que le blog d'Agnès est magnifique !
Avec la plume, la goutte d'encre rouge ! Je demande sa permission de coller ici le lien. (Sans réponse de l'intéressée dans les 24 heures, je passe à l'action dans l'intérêt de tous.)
 
pascale

22/08/2007
15:53
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

J'ai trouvé le blog d'Agnès avant le passage à l'action d'Eva, oh oui il est beau, et l'idée de la plume et de la goutte d'encre rouge est magnifique ! du coup, je vous résume un Drame au bord de la mer (aucun rapport...)
Louis Lambert, héros génial et destiné à la folie, visite les plages rocheuses du Croisic en compagnie de son amie. L’harmonie semble d’abord parfaite : le ciel sans nuages et la mer sans rides apparaissent aux amants comme des traductions matérielles de leur pensée. Et puis, peu à peu, apparaît comme le début d'une inquiétude légère, devant ce "cloître sublime" à peine troublé par le frémissement de la mer. C’est alors qu’ils font la rencontre brutale d’un ermite, «comme noirci par un éclat de foudre » : il s'agit d'un parricide qu’un vœu de remords a exilé pour toujours sur ces rochers. Les deux amants reviennent – les marais salants qu’ils traversent sont lugubres, assombris et sans vie. Le lendemain, Louis, ressentant les approches de la flamme qui lui brûle le cerveau, écrit ce récit, « pour donner le change à la nature de cette fièvre ». Avec sa sensibilité et son inquiétude, ce court roman a de quoi surprendre les lecteurs du "matérialiste" Balzac.

 
AArgh !!!

22/08/2007
18:11
Le liseron est une fleur modeste.. et envahissante

Me voilà bien embarrassée par cette histoire : ce blog n'est qu'un prolongement de CE fil Liseron qui m'est cher et qui se déploie selon mon coeur dans l'échange et le débat, avec des interlocuteurs comme je les aime. J'ai voulu tenter la même chose sur le site académique, en direction d'éventuels lecteurs profs ou non, et pour l'heure, c'est quand même un vaste monologue. Ceux qui se promènent sur Liseron verront que j'y ai beaucoup recyclé, et je ne dépose que rarement là-bas une note que je n'aie pas mise ici. Le seul avantage est en effet que je peux y mettre des images, ce que je fais avec plaisir, et encore quelques maladresses car je ne maîtrise pas, tant s'en faut, les subtilités de l'outil. Quant au "thème" d'accueil, très seyant en effet, ce n'est pas moi qui l'ai trouvé, j'en eusse été incapable, c'est la collègue qui s'est occupée de l'ouverture du blog. Sur ce....
Je viens de finir Maître Cornélius soit, sans plus, et L'Auberge Rouge , ça c'est vraiment bien. Commencé Louis Lambert .
Il y a des Balzac pas matérialistes du TOUT comme Séraphita , un truc imbibé de Swedenborg, que je n'ai jamais réussi à terminer. Et d'intéressants épisodes de télépathie ou de vision à distance dans Ursule Mirouet . Il y a la même chose en beaucup plus exploité dans la tétralogie de Dumas Joseph Balsamo , Le Collier de la Reine , Ange Pitou , La Comtesse de Charny . (Excellentes lectures pour temps de déluge...)

 
Eva

22/08/2007
19:25
Vive les liserons à fleurs d'encre

Agnès, mille et mille pardons, je ne mettrai pas ma menace à exécution et je ne serai pas une colleuse d'affiche à la sauvette. La tentation était grande ! De toute façon, le blog, le forum, deux mondes différents. Merci pour les deux, côté Guermantes, côté Méséglise, je vous lirai. (On pince les fruits des liserons en passant ou bien on les émiette, d'une année à l'autre, dans des enveloppes, je garde leurs graines luisantes.)
 
Agnès

23/08/2007
11:20
Regard oblique sur un sujet brulant

***Un roman de vincent delecroix - C'est une pointure.

Avec «la Chaussure sur le toit», le romancier-philosophe signe une satire mordante du pédantisme contemporain. Attachez vos lacets !

Drôle, ingénieux, presque trop habile, le nouveau Delecroix ! Une chaussure aperçue au coin d'un toit, et voilà que, de cette vision saugrenue, découle une suite de saynètes en apparence disparates, mais aboutissant toutes au même toit et à la même chaussure. Une fillette insomniaque croit qu'un ange l'a posée là, un clandestin, pour échapper à la police, s'enfuit par les toits et une de ses chaussures reste coincée dans la gouttière, un amant congédié jette par la fenêtre une des chaussures de son successeur, un présentateur de télé reconverti dans la philosophie joue à la sandale d'Empédocle, etc. Une dizaine de séquences, d'une virtuosité ébouriffante; et encore, à les résumer ainsi, tout le sel s'en évapore, car l'auteur possède l'art de changer sa voix selon le personnage auquel il la prête, de varier le ton, la couleur de ses monologues, et, mieux encore, d'entrecroiser ceux-ci en un tissu serré de correspondances à donner le tournis.
Il y a des passages désopilants, comme la description d'une partie de campagne chez les snobs, dans une grande banlieue qui serait charmante si une heure de RER pour y parvenir ne mettait la rêverie poétique à l'épreuve. Ou_le_portrait_de_ce_penseur_à_la_mode,_«un_ de_ces_chefaillons_auto-proclamés,_mégalomanes_et_narcissi ques»_(tout_le_monde_le_reconnaîtra),_qui_prêche_la_mo rt_de_Dieu_et_la_supériorité_de_l'hédonisme_sur_tou tes_les_religions. . Delecroix excelle dans la satire froide, le coup de fouet pince-sans-rire; mais il peut nous toucher aussi, quand il raconte la belle amitié qui naît entre la vieille dame et le jeune pompier homo. Certes, on ne trouvera pas dans ce livre la qualité d'émotion qui faisait d'« A la porte» une sorte de petit chef-d'oeuvre. Le romancier-philosophe a pris ici le parti d'un ludisme effréné. Ne nous en plaignons pas trop : cette opéra buffa ruisselle de talent. Le discours du peintre sur la chaussure, qualifiée, dans son insignifiance, d'« événement dans le non-événement», est un pied de nez délectable au pédantisme ambiant. Delecroix ne renonce pas à son bagage conceptuel, mais il le vide de toute substance, il le rend grotesque, invoquant Leibniz, par exemple, pour appliquer la définition de la «monade, élément premier de l'être» à la télévision, «espace dans lequel la totalité du monde se reflète». De qui se moque-t-il ? «Aussi bien peut-on conclure logiquement que la télévision constitue la structure fondamentale de Vêtre.» Ce «logiquement» est exquis. Ces pages sentent le conte de fées, l'école buissonnière, le jeu de société. Il y a du Giraudoux dans la nonchalance et la souplesse de ce style qui mêle les registres, accumule les surprises. La chaussure reste coincée sur le toit, mais pas cette prose ailée, bondissante.

«La Chaussure sur le toit», par Vincent Delecroix, Gallimard, 240 p., 17 euros.
Dominique Fernandez -
Le Nouvel Observateur - 2233 - 23/08/2007***




 
Agnès

23/08/2007
11:52
Some more

"Une chenille verte, une arpenteuse, chemine, en faisant le gros dos, le long d’une branche, chemine sans arrêt, comme si elle ne pouvait se reposer. Elle ne voit presque rien, bien qu’elle ait des yeux, souvent elle s’arrête, dressée verticalement, et tâtonne dans l’air à la recherche d’un point d’appui ; elle a l’air d’un bout de fil vert qui pique une couture le long d’une branche, à points lents. Ce soir, elle sera peut-être arrivée à l’endroit où elle doit aller."

C’est Pan, de Knut Hamsun, un mince roman, une absolue merveille. Un poème en prose. Le genre de texte qui donne envie de lire la langue d’origine (le norvégien) pour en entendre la musique.

Le lieutenant Glahn écrit pour tromper ses pensées, deux ans après l’été qui a donné sens et désordre à sa vie. Il raconte – au présent le plus souvent - son séjour d’homme des bois dans une hutte du Nordland, qu’il a chaudement équipée de peaux et de fourrures, et où il vit, dans l’intimité intense de la nature, chassant et pêchant avec son chien Esope. L’éveil de l’été est aussi celui d’une sensualité ardente et violente, qui correspond avec la rencontre de la jeune, fantasque, et malapprise Edvarda, qui le bouleverse de tendresse et d’incompréhension. Quelques personnages autour d’elle, esquissés ou dessinés selon les besoins, comme celui du docteur boiteux qui tente de dompter la jeune fille et du baron érudit dont le titre séduit son père, et la douce Eva, et la bergère Henriette, et Iseline et Diderick de la légende. L’amour exalté d’une femme, des femmes, de la nature, de l’univers. Et la souffrance, exprimée par quelques gestes, quelques paroles.

C’est à la fois sobre et lyrique, sombre et solaire. Un texte magnifique.



 
Agnès

24/08/2007
15:27
"Atonement", plus étoffé

Une fillette en proie aux affres et aux bonheurs de la création littéraire : c’est Briony Tallis, 13 ans, qui au cœur de la demeure familiale se bat contre le désordre ambiant pour tenter de mettre en scène idéalement sa première tragédie, "Les Tribulations d’Arabella", composée dans la fièvre pour célébrer le retour home de son frère aîné – aimé – Léon.
Mais le monde extérieur – qu’elle observe de la fenêtre de sa chambre – résiste, opaque : sa mère migraineuse, sa grande sœur Cécilia, désordonnée et incertaine à l’issue de ses années d’université, les cousins jetés là par le divorce de leurs parents, trop rouquins pour incarner selon son cœur les sombres héros de son histoire, et Robbie, le fils de la femme de ménage, brillant étudiant protégé de leur père, leur presque-frère, que comprendre à ses complexes et conflictuelles relations avec Cécilia telles qu’elle les a espionnées autour d’un bouquet de fleurs champêtres, d’une précieuse faïence de famille et de la fontaine du parc ?
C’est pour avoir voulu intervenir dans la vraie vie pour y restaurer l’ordre et la morale comme elle le faisait dans son univers imaginaire que Briony au nom vénéneux bouleverse le destin de ses proches, tandis que l’Europe se fissure à l’approche de la seconde guerre mondiale.
Composition virtuose – toute la première partie restitue quelques scènes majeures à travers le prisme de différents regards –, art ineffablement anglais – ô Virginia – de capturer des bulles de perfection ou d’horreur pure dans le mouvement chaotique de la vie, rigueur et précision minutieuse dans la restitution du moindre détail historique, personnages attachants savamment tissés entre eux … Briony devenue écrivain doit employer sa vie à réparer la catastrophe de ses treize ans en réécrivant, inlassablement, le roman de leurs vies.

La lecture d’Expiation est d’autant plus jubilatoire que le romancier y manifeste à l’égard de ses personnages une attention, une générosité, un amour en somme, qui leur confère une sorte d’indépendance, de liberté, et les laisse se déployer presque autonomes dans l’univers qu’il leur a composé. Tout le contraire de ce que fait Pierre Péju dans "La Petite Chartreuse", évoquée plus haut. L’un enserre et suffoque progressivement ses personnages dans une toile qui ne ménage aucune issue, l’autre, et c’est semble-t-il le fait d’un long cheminement, leur laisse, en définitive, la bride sur le cou.

Je me régale à lire les romanciers anglais contemporains. On y trouve presque immanquablement liés le plaisir de se laisser porter par une histoire riche et prenante, des personnages consistants, incarnés, et un art de l’écriture – dialogues, style et composition - qui pour le lecteur cultivé laisse vibrer entre les lignes la présence des grands ancêtres que l’auteur s’est choisis, sans insistance, sans cette manière exaspérante qu’ont certains auteurs français de montrer qu’ils ont lu et digéré non seulement Flaubert-Proust-et-Céline, mais encore tout le structuralisme et la nouvelle critique, au prix bien souvent de la chair de l’histoire et des personnages …. Coe, Zadie Smith ou McEwan, facettes de la vie anglaise, regards sur le monde, romans vastes et variés, littérature réflexive certes MAIS discrète, brillante sans être clinquante ou desséchée, on en sort réjouis, titillés, rassasiés.

Pour en revenir à McEwan, j’ai lu depuis deux autres romans de lui, Amsterdam, grinçante anatomie de la lente décomposition d’une amitié sur les cendres d’une commune maîtresse morte : l’un est un musicien célèbre, l’autre un journaliste trouble sur le fil du rasoir. À la toute fin du roman, Amsterdam les réunit et clôt leurs piètres manœuvres égoïstes dans une grimace ricanante.
L’autre, [(i[L’Enfant_volé]i)]_ (The Child in time), est une sorte d’étude centrée sur un père (auteur de romans pour enfants) que le vol de sa petite fille de quatre ans confronte à une absolue déréliction : il sombre sur tous les plans, personnel, amoureux, professionnel, dans un monde inquiétant où pour seule vie sociale, il se borne à fréquenter une commission destinée à réformer en profondeur l’éducation des enfants. En contrepoint, quelques rencontres troublantes avec un couple d’amis, elle égérie vieillissante et apaisante - et brillante physicienne, lui, politicien surdoué qui disparaît brutalement de la scène politique. Autour de la lente reconstruction de Stephen, le héros, une réflexion, en quelque sorte, sur « la texture du temps ». C’est un roman sombre et difficile, mais beaucoup moins amer qu’Amsterdam.



 
pascale

25/08/2007
20:03
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

On aura peut-être le déluge mais au moins, on ne manquera pas de lecture !

 
Eva

28/08/2007
11:21
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Libellules du jour est une leçon de survie dans le déluge :

“Rentrée littéraire. Comment se faire lire pendant des siècles.

Lire, lire, s’endormir sur la joue d’un livre, l’après-midi des dernières journées d’août, déjà si pâles. Pressées les unes contre les autres, empilées sur les tables des libraires, les jaquettes colorées, les couvertures attendent qu’on les prennent dans ses mains. Et à côté, le rayon papeterie, les carnets, les cahiers en papier recyclé appellent les mots. Ecrire, écrire sur la peau d’une page. Oui, et en dessous des nouveaux plaisirs ? 600 millions de livres bientôt emportés vers le pilon. Qui lit, qui écrit devrait aller voir, c’est à Villeneuve-le-roi, rue de la Pierre Fitte (Déchets Industriels Banals). Murailles de papier déchiqueté, tout autour de soi, ce sont nos vanités. Et, à terre, ces titres. Elle, lui, ici ? Mais jamais Manon ne s’y trouva. Qui écrit, qui lit doit chercher l’impénétrable secret qui toujours la maintient au-dessus de l’abandon, du désintérêt, de l’oubli ? Critique faible, génie du marché, naturel, « valeur humaine impérissable » ? Quand toutes les bibliothèques auront disparu, elle restera. Et pour ne rien avoir à désirer dans la solitude, il faudra y être avec Manon. Leçon de survie.

Auteurs, peuple de génies peu intéressés par les chiffres de vente, découvrez l’art - si affligeant - de se faire lire, avec la folâtre, innocente et perfide Manon.” …………………………………
http://libellules.blog.lemonde.fr/2007/08/28/la-manie-manon/

 
Lien utile

02/09/2007
11:49
Sur McEwan

http://news.bbc.co.uk/1/hi/magazine/6972320.stm
 
AArgh !!!

02/09/2007
12:15
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Merci, Zx ??? Je lirai plus tard, c'est une tartine.
La bande annonce du film me met l'eau à la bouche. J'espère que c'est bon pour tout le film ! Mais il y a des détails qui sont EXACTEMENT ça. La robe verte, par exemple.
le visage de Cécilia, aussi.

 
Zx

02/09/2007
12:32
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Nope, malheureusement
 
Uncle Tobie

02/09/2007
16:32
re : C'est en lisant qu'on devient bûcheron

Je regrette de ne pas avoir eu l’occasion d’écouter les émissions avec Barbery sur France Culture.
S’explique-t-elle le succès de son livre ? Lui a-t-on posé des questions sur sa méchanceté ?
En tout cas moi je suis halluciné par l’attitude de la critique littéraire.
A l’évidence ce livre est le tout à fait nul, bête et méchant.
La méchanceté peut faire parfois des bons livres mais là c’est une petite méchanceté, une méchanceté méprisante, nourrie par le ressentiment et la rancune. Une méchanceté qui a l’hypocrisie de se cacher derrière la bonté et l’amour du genre humain . En un mot une méchanceté de prof de philo.
Ce livre est bête parce qu’il est binaire, il voit le monde en noir et blanc. Comme par hasard, les gentils sont les faibles et les méchants les puissants, comme chez Walt Disney mais en beaucoup plus débile. Pourquoi les écrivains français sont-ils aujourd’hui les rois du binaire ? Prenez l’anglo-saxon il essaie au moins de faire l’effort pour introduire un peu de complexité, le français non, le français ne sait pas compter jusqu’à 3. Et tout ça en prétextant un soit-disant éloge de l’intelligence de ceux qui ont lu Kant et Deleuze. En un mot de la bêtise de prof de philo.
J’ose poser la question : n’aurait-on pas intérêt à limiter le rôle du prof de philo dans la culture ? Parce qu’à ce rythme, je ne sais jusqu’où cela va nous mener. Si on devait écrire aujourd’hui un Bouvard et Pecuchet faudrait l’appeler Onfray et Barbery.
Dans le genre ‘la vérité se cache derrière les apparences’ (comme dans Schrek), plutôt que l’intelligence cachée de la rustre concierge j’aurai préféré la stupidité cachée de l’érudit prof de philo. Ce serait moins frimeur pour l’auteur mais tellement plus proche de la réalité. Ceux qui ont côtoyé l’univers des profs de philo comprendront de quoi je parle : il suffit d’en mettre une dizaine dans une pièce pour les voir commencer à s’entretuer au bout de 20 minutes.
Mais là n’est pas le problème, le problème c’est la critique littéraire dans notre beau pays. Cette success story a quelque chose d’inquiétant, d’hallucinant et de pitoyable :
A l’origine c’est je crois le mouvement dissident des libraires, prenant de cours la critique, qui a élu ce livre comme le top de l’année. Du genre : nous on vends des livres faudrait donc pas nous prendre pour des courges on a besoin de personne pour reconnaître les premiers un bon livre au premier coup d’œil ( ???!!!???).
Mais là n’est pas le problème, le problème c’est la critique littéraire dans beau pays. C’est évident puisque je l’ai déjà écrit plus haut. Qui peut croire qu’un problème peut changer aussi rapidement entre deux paragraphes :
Une vraie critique littéraire, digne de ce nom et à la hauteur de sa mission aurait réagi tout de suite. Ils ont beau être incompétents je peux pas croire qu’ils soient tous nuls au point de ne pas remarquer que ce livre était une daube. Au lieu de ça ils se sont montrés d’une lâcheté inouïe, ils se sont aplatis comme des crêpes et ils se sont relevés comme un seul homme pour se joindre à la ola généralisée qui animait le stade. C’est pitoyable.
Quand on y réfléchi attentivement, le succès de ce livre a vraiment des aspects plus qu’inquiétants, mais je ne veux pas rentrer dans les détails d’une trop longue démonstration.
C’est juste un modeste avis évident d’un simple(t) petit lecteur.
J’espère que je n’ai choqué personne.
 
LS

02/09/2007
16:52
Barbery oui mais

Si si, entrez dans les détails, Uncle Tobie, parce qu'on vous sent très remonté, mais vous n'argumentez pas beaucoup (vous nous dites seulement que ce livre est binaire, et on comprend à vous lire que vous avez quelque méchant grief contre les profs de philo).

Je vous avoue que j'en ai trouvé la lecture agréable, que je me suis amusé avec ces personnages, que j'ai apprécié l'art de mettre en scène certains épisodes, mais sans éprouver l'enthousiasme de certains lecteurs de DDFC (attention, vous allez vous faire des ennemis !). Il y a aussi un peu de caricature et quelques bonnes louchées de bons sentiments.

Mais enfin. On peut préférer ça à la déferlante auto-fictionnelle ou au bavardage sur l'actualité (genre Bégaudeau). Chez Barbery, il y a un travail de construction du roman et des personnages. Je vous trouve sévère vis-à-vis des libraires. Leur pouvoir est tout de même infiniment moindre que celui de la coterie des journaleux de presse qui font et défont le succès des livres par leurs engouements et leurs copinages. Le succès de Barbery est surtout un succès de lecteurs et de bouche à oreille. Son livre a su rencontrer des lecteurs. Il faudrait s'interroger sur ce fait. C'est sans doute parce que l'histoire, les personnages, l'écriture n'ont pas le caractère sinistre et frelaté de la plupart des produits marketing qui s'étalent en tête de gondole.

Pourquoi ce succès serait-il "inquiétant" ? Entrez donc dans les détails, please...

Vôtre,

L. S.



 
Agnès

02/09/2007
18:01
Défense et illustration

Je colle ici le lien avec la note de lecture que j'ai faite le lendemain de ma lecture de "L'élégance du hérisson", conseillé par mon fils qui en avait apprécié, je pense, le brio. Je n'avais alors pas lu une ligne de critique au sujet de ce roman. http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=30 253&debut=0&page=1
Je ne crois pas être une lectrice complaisante, encore moins une "critique littéraire". Je suis pour ma part parfaitement consciente des défauts de cet ouvrage, qui fourgue pêle-mêle les amours et les haines de l'auteur avec parfois une réelle désinvolture. Si Muriel Barbery a l'intention de continuer dans la voie de l'écriture, il faudra qu'elle s'attache un peu plus, me semble-t-il, à la chair de ses personnages, et à la vraisemblance de son propos, et qu'elle apprenne à élaguer, et à resserrer.
Je l'ai entendue parler de son roman : elle ne s'en explique pas le succès, elle ne se prétend même pas "écrivain", mais pour l'instant simplement "auteur", elle est aussi parcimonieuse dans ses "leçons" en interview qu'elle était prodigue en aphorismes dans le roman, elle semble éprouver une grande reconnaissance pour la chance que le succès de son ouvrage lui vaut. Aux antipodes d'une quelconque arrogance, dont tant de jeunes écrivailleurs, genre bégodo, sont si peu chiches. Quant à la taxer de méchanceté, je trouve cela excessif sinon erroné. D'abord, il y a des riches gentils dans ce bouquin, comme la demoiselle qui adopte le chat; et même le critique, personnage ambigu, n'en est pas moins attachant. Et puis ce n'est pas "Pot Bouille" tout de même. Elle a la caricature facile, mais ce n'est pas désagréable, parce qu'il faut bien le dire, ça sonne juste. Moi qui habite aux tréfonds de la cambrousse, mais qui ai autrefois logé dans les chambres de bonnes d'un immeuble du même genre, des "riches " de cet acabit, j'en ai croisé, et j'en croise encore, toujours avec une certaine stupeur.
Pour ce qui concerne la philo, je crois savoir qu'elle n'aimait pas l'enseigner, ni enseigner tout court, ce qu'elle avait en quelque sorte cessé de faire. Cela dit, sa présence insistante dans le roman en est une des faiblesses, j'en conviens. Mais c'est lié je pense au penchant de l'auteur pour le moralisme, pour la recherche de "clés de vie", certes, ce n'est pas ce qu'elle fait de mieux. Je conçois parfaitement que l'on n'aime pas ce bouquin, pour toutes les raisons déjà évoquées. Mais je crois pour ma part que son succès est l'exact inverse de celui des Bienveillantes. C'est un livre "écrit", composé, enlevé, piquant, et en définitive, optimiste et humaniste. C'est truffé de références à ce qu'elle aime, et ça se sent. Je crois que c'est l'une des raisons de sa faveur. Une partie des lecteurs est absolument saturé de misanthropie complaisante, de sérieux à tout va, de séquelles du nazisme, de noirceur à la louche. Genre Microfictions, le bouquin retenu par FQTéléramoche pour son prix de l'année. Z'avez lu ? C'est imbuvable, et ça n'apporte rien de plus qu'une grande marmite de Maupassant. Nettement moins, en fait, sauf une déprime carabinée à la clé. Moi, la faveur de ce genre de livres, ça m'irrite au plus haut point. Au passage, le Hérisson, les critiques ne savent toujours pas vraiment quoi en faire. Ce n'est pas d'eux que vient son succès.
Encore un mot : une lectrice à qui j'avais conseillé le bouquin, genre dévoreuse sans forcément de discernement, m'en a remercié en me disant que "c'était "vrai"". ça m'a beaucoup surprise. La question est : qu'y a-t-il qui semble vrai dans ce roman ?
En tout cas, il y a un article très méchant de Libé sur ce sujet, très méprisant aussi pour les lecteurs. Genre : c'est le type de bouquin qui flatte le rapport difficile des Français à la culture en leur en mettant plein la vue. Moi, je ne crois pas. Je pense plutôt que c'est le genre de livre qui fait sentir que la "culture" est ouverte à tous. Qu'un roman classique, ça peut se partager comme un polar, et que ça permet de "communier" dans le plaisir et le sourire, chose que l'école, et son enseignement si affreusement académique et sorbonnard, ne fait pas, elle fait même le contraire.
Bien à vous,


 
LS

02/09/2007
19:02
Lançon, plaie de la critique

Je viens de lire la critique de Lançon sur le hérissons. Mouais... Critique fielleuse et méprisante, comme il fallait s'y attendre, mais Lançon fait toujours le malin, sans oublier d'étaler sa science, et il fait des phrases, et des phrases, et des jeux de mots à deux centimes d'euro, dieu, mais quelle plaie ce critique, très admiré par ses lecteurs qui du coup, se sentent très intelligents, dès qu'on leur dit ce qu'il faut démolir. "Surtout, ne vous laissez pas piéger, attention ! ". Il a exactement le discours sur la littérature que tiennent les Diafoirus de l'Education nationale, dans les programmes de français. "ATTENTION : bons sentiments ! Halte à la manipulation ! Décodez, bon sang, mais décodez, vous êtes manipulés ! "

Enfin passons, et revenons à l'article. C'est une méchante caricature tout de même. Il n'y a nulle part ce désir de revanche délirant décrit par Lançon. certes, tout cela se passe au 7 rue de Grenelle dans le très chic 7eme arrondissement de paris, à un jet de pierre des Ministères, mais où a -t-il lu, Lançon, que c'était un portrait réaliste ? Ces personnages sont assez improbables et il faut prendre l'ensemble comme une fable, comme un conte. Mais les critiques cherchent toujours à décoder le saucial dans ce qu'ils lisent. C'est effrayant.

Quand aux bons sentiments, oui, il y en a , mais qui a dit que c'était mauvais ? Comme le suggère Todorov, je ccrois, et aussi Cormpagnon, me semble-t-il, dans des essais récents, il faudra bien un jour que la critique littéraire et cinématographique s'interrogent un jour sur leur horreur du sentiment et du "bon" sentiment (une bonne psychanalyse, pour certains, ça ne serait pas du luxe) et leur goût maladif pour la littérature (?) de névrosés nihilistes qui sévit de nos jours dans bien des romans.

Il y a comme une évolution à fronts renversés : les "bons " sentiments, la nunucherie, la sensiblerie mièvre envahissent sans qu'on trouve à y redire le champ des sciences sociales, dont ils devraient être proscrits (voir comment cela déteint sur nos fameux débats et documentaires franceculturiens) alors qu'il faudrait les tenir en lisère de la littérature où, en principe, ils ont leur lieu d'élection. Hélas, eh oui, la littérature parle aussi de sentiments... C'est tout simplement un roman qui refuse de dire que la noirceur, la violence, et la douleur sont la vérité ultime de l'être humain et ça fait du bien par les temps qui courent.

Personnellement, je lui passe bien volontiers ce petit côté Pennac qu'elle peut avoir.
 
Eva

02/09/2007
19:26
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Ce Hérisson, que désormais Gallimard veut copier coller (mais je crois qu'il y aura beaucoup de candidatures spontanées et de vocations même sans encouragement), je ne l'aime pas, parce qu'il est simpliste et, partant, menteur (en plus d'être laid). J'espère qu'on ne se fâchera pas !

Pour me faire pardonner, j'ai entre les mains le petit livre de Mademoiselle Le Masson Le Golft, "Balance de la Nature", de l'an de grâce MDCCLXXXIV (ce n'est pas tout récent), pour montrer comment elle note les animaux. Exemples :

Panthère... Forme 11 Couleur 15 Inftinct 6
Putois...... Forme 6 Couleur 9 Inftinct 3
Zèbre...... Forme 17 Couleur 19 (l'instinct n'est pas noté)
Cheval...... Forme 20 Couleur 10 Inftinct 18

Hériffon... Forme 3 Couleur 5 Inftinct 7

Voilà ! Chacun ses goûts !

 
LS

02/09/2007
20:14
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V


Pourquoi "menteur" Eva ? Ce n'est pas un document, ça ne dit pas la "vérité" ça n'en a pas la prétention (d'ailleurs, la *vérité*, est-ce vraiment une catégorie littéraire ?). Partant, si c'est de la fiction, c'est par nature un peu "menteur", non ?
Quand à la laideur, c'est éminemment subjectif. Les critères du beau...
Cela dit, je ne défends pas outre mesure le hérisson, auquel je trouve bien quelques limites.
 
Eva

02/09/2007
20:19
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Je me suis donc mal exprimée. C'est le simplisme que je trouve par essence menteur. Laideur, beauté, là, bien entendu, c'est subjectif et arbitraire et tout ce qu'on veut (cf. l'institutrice de mon joli, oui, JOLI, petit livre).
 
Agnès

02/09/2007
22:06
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

De quelle institutrice et de quel petit livre parlez-vous Eva ? le dernier vôtre ?
Que Gallimard veuille copier le Hérisson, ça n'a rien d'étonnant, avec le blé qu'ils se sont fait dessus l'année écoulée, ça plus les Bienveillantes, ça compensera la -paraît-il - médiocrité de leur sélection de l'année. D'ailleurs, les B, c'était aussi médiocre. Maintenant, je ne voudrais pas débattre à perte de vue sur le Hérisson, parce que pour moi, c'est un livre beaucoup moins important que Mal de pierres, si modeste et éblouissant, ou McEwan, enfin Expiation, et sa réflexion sur le rapport du romancier à ses personnages, ou que Le Liseur, ou que nombre de Westlake. Mais delà à dire que c'est laid, non. Pour moi, c'est une forme de raté réussi. Et MB est vraiment charmante, et je crois, sincère et modeste. Que Paloma soit au demeurant une créature très schématique, un prétexte, OUI, comme l'est Octave Mouret dans Pot Bouille. Quant à Renée, elle est une résurgence de Une Gourmandise. Soit. Cela dit, je conviens que son histoire ne tient guère débout, et que la fin est une véritable "expédition". N'empêche, la verve est réelle, et tonique.
Et au moins, on discute, voilà qui est stimulant !

NB : Je trouve les propos suivants de LS TRES JUSTES : ***Il y a comme une évolution à fronts renversés : les "bons " sentiments, la nunucherie, la sensiblerie mièvre envahissent sans qu'on trouve à y redire le champ des sciences sociales, dont ils devraient être proscrits (voir comment cela déteint sur nos fameux débats et documentaires franceculturiens) alors qu'il faudrait les tenir en lisère de la littérature où, en principe, ils ont leur lieu d'élection. Hélas, eh oui, la littérature parle aussi de sentiments... C'est tout simplement un roman qui refuse de dire que la noirceur, la violence, et la douleur sont la vérité ultime de l'être humain et ça fait du bien par les temps qui courent. ***
 
Eva

03/09/2007
01:46
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Le livre de Muriel Barbery m’avait attirée par le mot hérisson : c’est mon animal totem, l’identification est immédiate et forte depuis toute petite (non, je ne suis pas aussi vieille, Agnès, l’institutrice de 1784 n’est pas la mienne). L’autre attirance, c’est pour les enfants surdoués et leurs occurrences dans la littérature. Mais avant tout, je réponds sur le mot « laid », les détails physiques, la lourde insistance sur les odeurs etc., je trouve cela assez pénible chez la si gentille Muriel Barbery. La laideur physique, il faut du talent pour la décrire et surtout pour faire rire avec, soit avec une tendre ironie comme dans La vie devant soi, soit avec la férocité des Ubu. Ajar/Jarry, les deux extrêmes de ma gamme. Je n’ai as décodé, faute d’intérêt réel de ma part, les sources de ce roman, je vais évoquer deux autres, un que j’ai violemment aimé avant d’éprouver le malaise qui vient inévitablement quand on a été piégé par quelque chose à la limite de l’impur ou du pur kitch, le second (totalement pompé d’ailleurs sur le précédent) où ce malaise était immédiat et grandissant, et pourtant, je l’ai avalé jusqu’au bout, junky food, littérature hollywoodienne sur mes chers surdoués. Et j’ai nommé Le dernier samouraï de Helen DeWitt d'un côté et Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer de l'autre. Que Muriel Barbery n’ait lu aucun des deux est possible (les comptes rendus suffisent, même pas, une contagion dans un avion, votre voisin lit un livre « comme ça », tousse un peu, et vous voilà parti dans la fabrication de votre bouquin, le Japon y compris). Du trio, Foer paraît le plus talentueux (mais pas le moins putassier), Helen possède le plus de charme à mes yeux (un agréable rappel – pas vraiment mimétique – de Salinger, à travers "un vrai petit garçon" à la Pinocchio) et Muriel, bon… je ne suis pas allée jusqu’au bout, je n’avais d’obligation ni professionnelle ni familiale. Sauf si elle est la femme ou la sœur de Stéphane Barbery dont j’adore le générateur d’anagrammes ! Sans parler de mon médecin traitant, le Dr Laurence Barbery. Je vais mieux me renseigner.
 
Agnès

03/09/2007
09:09
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Oui, c'est la femme de SB. Quant au Japon - je n'ai lu aucun des deux livres dont vous parlez - c'est une passion commune, ils y sont partis, pour plus d'un an.
Après cela, bienvenue au club de hérissons !

 
Uncle Tobie

03/09/2007
09:14
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Je regrette d’avoir envoyer ce message. Je voulais répondre à LS mais je préfère ne plus parler de ce livre.
Par contre, j’aimerais vous répondre sur ce que vous dites sur les livres en général et les sciences sociales parce que je ne suis pas du tout d’accord avec vous.
Je ne voudrais pas pontifier ou passer pour un expert mais je crois que les livres ne sont pas des entités virtuelles coupées du monde et de la société qui s’analyseraient hors contexte. Bien plus (et bien mieux) encore que les sciences sociales, la littérature nous dit des vérités sur le monde.
Si un livre n’est qu’une accumulation de clichés et de caricatures alors on peut dire que ce livre nous ment. Si en plus ces clichés et ces caricatures ne sont là que pour flatter le lecteur et le caresser dans le sens du poil en empruntant le ton du sympatoche et du tralala itou on peut dire qu’en plus de nous mentir ce livre nous berne.
C’est pour cette raison que la critique littéraire est importante. Le livre est aujourd'hui le seul lieu (surtout dans une société saturée de médias et de photos truquées) qui peut nous rendre le monde dans toute sa complexité et qui peut faire barrage au désir de simplification qui nous tente tous.
C’est marrant que parliez du livre Expiations, autant que je m’en souviens McEwann ne dit pas autre chose dans ce livre.

 
Eva

03/09/2007
11:23
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Pour ce qui est de se fâcher ou pas avec ses amis parce qu'on ne partage pas l'amour de tous les mêmes livres, je n'ai jamais recherché les amitiés narcissiques où l'on réduirait l'autre au rôle dégradant de miroir.

Donc, le danger viendrait pour moi davantage de mes emportements de langage, les formules définitives que je peux asséner et qui peuvent (ou pouvaient, du temps de ma période de critique à FC) heurter.

Pour une amie, qui aurait souhaité qu'on soit exactement pareilles, jusqu'aux lectures et bulletins de vote - et donc, fatalement, on a rompu - d'après le mot hongrois hérisson (qui est sün, prononcé chunne), je signais mes mails Sünshine ou encore, assonance austro-hongroise, Schün von Schünbrunn, moi, hérissonne du château de Versailles.
 
Agnès

03/09/2007
18:34
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Mais Uncle Tobie, personne ne pense ici que les livres soient des entités virtuelles coupées du monde, AU CONTRAIRE !!! Que la vocation du roman soit de restituer en quelque manière la complexité du monde, et qu'il y parvienne mieux que n'importe quel outil intellectuel, je le crois sincèrement, à condition qu'il ne délivre pas un *** message*** sur ledit monde parce que dans ce cas-là, c'est un outil idéologique et bonsoir. C'est d'ailleurs me semble-t-il l'une des faiblesses de L'EdH. Quant à ce que dit LS, c'est me semble-t-il que les "bons sentiments" sont actuellement personnae non gratae pour les critiques littéraires français, en gros que tout roman qui n'exhibe pas la noirceur fondamentale de l'être humain dans ce qu'elle peut avoir de plus pervers et fasho n'est qu'une crotte à leurs yeux, et qu'au contraire, les "bons sentiments" dans ce qu'ils peuvent avoir de pire (genre dégoulinants) ont envahi les sciences humaines dont ce n'est pas a priori la destination puisque "sciences" elles sont censées être. Forme d'inversion des propos. Du moins est-ce ainsi que je le comprends.

Eva, je n'avais pas saisi que Mlle Masson était une institutrice. Et heureusement que l'on ne se fâche pas à propos de livres !

Il y a une chose qui revient dans les réflexions des lecteurs du hérisson : je vous le livre tel que, faites-en ce que vous voudrez, mais c'est le plaisir de sa langue, et même d'aller chercher des mots dans le dictionnaire. J'ai testé ce matin : 4 témoignages.

 
A.

03/09/2007
18:38
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

PS : Entendu ce matin Philippe Claudel dire que la vocation du romancier était, tel Orphée, de nous entraîner aux Enfers. ça m'a gonflée. Quelle que soit l'estime que j'aie pour le monsieur (La petite fille de M. Linh, ce n'est pas mal, même si moralisant), je n'ai pas envie qu'on m'y entraîne systématiquement sous prétexte de réveiller l'époque. ça se fait aussi bien par l'éclat de rire, faudrait voir à pas l'oublier. D'ailleurs Orphée; il est rentré bredouille des Enfers, et quand il y était, il avait charmé - au sens fort - TOUT LE MONDE.

 
pascale

03/09/2007
20:30
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Juste un mot pour dire que je ne suis pas du tout d'accord avec Agnès au sujet des Microfictions de Jauffret, décapantes et réjouissantes par leur humour ravageur !
 
paddy

03/09/2007
21:58
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Toujours attentif aux remarques du forum, je viens de terminer Les jeunes filles de Montherlant. Mouais... j'ai eu du mal à le finir car vraiment je n'accroche pas, malgré qq précieux éclats de rire ça et là consécutifs à l'humour cruel d'HdM. Du coup, "Pitié pour les femmes" va rejoindre la liste des en attente du jugement dernier

Aujourd'hui je fus poursuivi dans le métro par les grandes affiches Flammarion et les beaux yeux verts (je crois) évanescents de C.Boulouque. Bah, c'est toujours mieux que Nickito et Ginette dans le JDD mais il en faut plus pour que j'achète le roman d'une science po


 
Agnès

03/09/2007
22:30
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Bon, Pascale, j'avoue que je n'ai que feuilleté. Mais je n'ai guère vu l'humour. Même pas grinçant, trop ostensiblement glauque. Par confaince en vous, je rejetterai un coup d'oeil.
Paddy, tu ne trouves pas que c'est intéressant comme "document" misogyne ?

 
Eva

03/09/2007
23:12
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Hérissons vraiment élégants, mais âmes sensibles s'abstenir :

“La « froideur » d’agrégé de J.R. Pitte n’attentait en rien à la sensualité lisse de ce fruit sombre comme des chevelures, aux noms de bouche, ils nous les donnait : la sardonne, l’aguyane, la neyronne, la grossoune, l’esclafarde (750 variétés en France dont certaines de sélection quasiment familiale). L’enfant qui a écrasé du pied ces petits hérissons pour en faire jaillir les luisants « glands de Zeus » retrouvait dans ce livre, et les nommait enfin, les images enfouies d’escapades et de grignotages, du petit commerce en culottes courtes qui faisait du châtaignier pour l’écolier de cinquième buissonnière, comme pour les Corses, les Crétois ou les Cévenols le vrai arbre de la liberté (un mot d’ailleurs venu de l’écorce du bois).”

http://libellules.blog.lemonde.fr/2007/09/03/le-bac-la-fac-e t-les-marrons/

 
pascale

04/09/2007
12:11
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Merci pour la confiance, Agnès ! Certes le bouquin est glauque, pas plaisant et il force le trait, c'est le moins qu'on puisse dire, mais un peu à la manière d'un verre grossissant. Surtout, à force de méchanceté et de noirceur outrée, il me semble qu'il atteint quelque chose de réjouissant, au-delà des déplorations convenues des bonnes gens !
 
Uncle Tobie

04/09/2007
17:02
re : C'est en lisant qu'on devient hérisson

Philippe Claudel ? Justement il tombe bien.
Je ne sais pas si le rôle de l’écrivain c’est de nous entrainer aux enfers, mais la lecture de son livre les âmes grises a été pour moi un véritable enfer.
Pourquoi ? parce que ce livre n’est encore une fois qu’une somme de clichés et de caricatures. Il essentialise les personnages, les réduit à leur fonction sociale ou professionnelle et à partir de là tout n’est que préjugés et procès d’intention.
L'essentialisation est la chose qui me fait le plus peur, on commence par essentialiser les riches et les juges et on finit en essentialisant tous les autres. Et à partir de là, la littérature n'est plus le barrage contre l'arbitraire et le totalitarisme mais elle en devient le vecteur.
Et moi, j'ai l'impression qu'en France, on baigne la dedans jusqu'au cou.
Je veux bien que les bourgeois soient des cons, les riches des crapules, les magistrats des salauds, les flics des ordures - moi aussi j’aime bien quand le voleur est sympa et le gendarme est salaud mais la littérature ce n’est quand même pas que le théâtre de guignol non ?
Heureusement pour les âmes grises avec le film toutes ces tares sont devenues évidentes.

Puisque vous parlez d’humour : avouez quand même que quand un auteur, prof de philo, nous pond un livre sur, soit disant, les apparences trompeuses et les préjugés et qu’en même temps son livre n’est que préjugés, procès d’intention et apparences, c’est à mourir de rire.
C’est en fait la seule chose qui m’aura fait rire dans ce livre.

 
dom

04/09/2007
20:41
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

salut Agnes, et au autres bien sur en mail croisé je viens de te lire dans un autre fil a toi qui m'a fait découvir la poesie, je voulais te recommander cette lecture, si toutefois tu m'autorise une recommandation
je me suis régalé
"le ptit homme blanc" de Marcel Martin Pages, truffé de proverbes africains pleins de bon sens, cette autobiographie raconte l'afrique avec humour, contrastant avec l'absurdité de nos visions d'européens, l'auteur aborde la vie avec un style déroutant...il y en a pour tout les gouts de la vie des grandes entreprises a la simplicité d'une relation d'homme avec la nature.

http://www.cap-bear-editions.com/cap-2100.php?CatID=18&A rtID=56

 
Agnès

04/09/2007
20:59
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Je te remercie, dom,je lirai. Et ça me fait très plaisir que tu aies un livre à me recommander, car telle est la "philosophie" de Liseron...

 
Zx

09/09/2007
20:52
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Delecroix était l'invié de Pascal Paradou cette semaine. Un post à faible valeur ajoutée, je le concède, mais je souhaitais néanmoins le relever, spécialement à l'attention de ceux qui se sont exilés sur cette station.

http://www.rfi.fr/radiofr/editions/072/edition_66_20070906.a sp
 
Eva

10/09/2007
15:00
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Exemple à suivre ? Comment parler d'un livre, leçon par Marcel Aymé (à Pierre Bettencourt) :

"Monsieur et très estimé confrère,
La substance de vos “Fables fraîches” m’a paru si riche et son expression si dense que je n’ai pas cru pouvoir vous en écrire avant d’y avoir pensé longtemps. En ayant cloisonné le substrat, pesé et lignifié le propos et mot-à-moté la texture, un enthousiasme durable, une ferveur qui sait ses raisons m’autorisent aujourd’hui à vous livrer mon sentiment. Vous avez écrit là, honoré confrère, une oeuvre ferme, pourtant simple et poreuse qui nous découvre mille secrets de vie, entre autres celui des créatures bougeuses et interlopantes qui poulpent les doublures profondes de la conscience humaine. J’avoue que dans ce genre, Philoctète et Silikath d’Alexandrie n’ont rien écrit d’équivalent, ni même d’approchant. Il n’est point, pour moi, de plus bel éloge.
Je vous prie, Monsieur et très estimé confrère, de trouver ici l’expression de mes sentiments dévots.
Marcel Aymé"

http://libellules.blog.lemonde.fr/2007/09/09/les-fables-de-b ettencourt-fin/
Et le début :
http://libellules.blog.lemonde.fr/2007/09/06/les-fables-de-b ettencourt/



 
dom

10/09/2007
16:32
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Vous avez écrit là, honoré confrère, une oeuvre ferme, pourtant simple et poreuse qui nous découvre mille secrets de vie

cela suffisait amplement, mais ce n'est pas désagréable a lire, sauf que un tantinet pompeux, 20 lignes de plus et il se le culbutte sur la table, par contre le blog est sympa
merci EVA
 
Agnès

19/09/2007
07:53
Cypora Petitjean-Cerf

Il y a Liane, l’amie à la vie à la mort de Roselyne depuis l’école primaire, et sa mère Christine, qui fait une longue déprime, et sa grand-mère Huguette, qui aime les bébés et va apprendre la liberté et l’indépendance avec le permis de conduire. Il y a Jean-Luc, le taciturne ami de Roselyne, Lamia, la belle-fille de l’épicier arabe Hassan, et Achraf, le fils d’icelui. Il y a Eva, la bonne mousseuse et souillon et sa fille Armelle, une peste de 8 ans qui adore les beaux, les grands mots, surtout en guise d’insultes. Il y a des plats bretons en pagaïe et à satiété, des scènes à l’école et d’autres à la maison, chez Christine, chez Huguette ou chez Hassan, parce que Roselyne, sa mère ne l’aime pas, et on ne va pas chez elle. Il a Sophie et Charlotte, les peintresses qui savent transfigurer le réel et les visages. Il y a des bébés pas nés ou mal enterrés, et bien des hommes absents, très peu d’hommes, c’est le problème d’ailleurs.
Il y a un univers, indéniablement, - très gynécée -, des personnages attachants, et la générosité d’une conteuse qui ravaude les accrocs intimes de l’Histoire. Bref, un roman qui se lit bien, qui émeut, même. Mais pourquoi diable faut-il qu’il n’y ait pas de syntaxe ??? Pourquoi les phrases se succèdent-elles sans lien dans cette histoire de liens solidement renoués ? Outre le sentiment d’inconfort que donne cette juxtaposition sempiternelle – j’ai toujours peur que quelque chose lâche ou s’effondre – il a la litanie des prénoms, qui remplacent les pronoms. C’est une syntaxe post-Duras, et ça me fatigue. Je rêve de Proust, Barbey, Bossuet ? cette littérature de langue maigre, de vendredi, saint ou pas, envahissante chez les jeunes romanciers, il faut que cela cesse ! on meurt de faim, on trébuche à chaque pas, ça brouille la vue et ça soulève l’estomac. Que le corps de Liane, sinueux et plein, communique à la phrase de son auteur sa plénitude ! Son univers y gagnera.

 
Agnès

04/10/2007
15:29
"Mangez-moi", d'Agnès Desarthe

Mangez-moi est un livre charmant. Le retour à la vie de Myriam, la quarantaine blessée par l’existence, qui ouvre « Chez moi », petit lieu exigu qu’elle ne veut pas appeler restaurant et où son dénuement la contraint à vivre et à dormir (ah les séances de douche dans le vaste évier…) ; après des débuts déserts, à la suite d’Hannah et Simone les lycéennes, peu à peu le quartier curieux et séduit par des recettes subtiles et savoureuses investit Chez moi à toute heure. Le « bouge » - ainsi l’avaient désigné les parents de Myriam – devient chaleureuse maison de rendez-vous, et déborde bientôt sa tourmentée tenancière. "Chez moi" éclot et prospère avec l’aide éclairée, attentive et efficace du chaste Stéphane, bras droit idéal et inimaginable cependant que le passé chaotique et douloureux de Myriam resurgit. Allusions semées au fil du roman et des monologues intérieurs de l’héroïne devenues alluvions de honte et de souffrance, si Myriam renaît à la vie sociale, son existence intime est en morceaux. Mais l’univers d’Agnès Desarthe n’exclut ni bons anges ni bonnes fées…
C’est écrit avec vivacité et talent, la langue est riche et inventive, gourmande et communicative (moi qui fais plutôt dans la popote familiale, les tapas pain d’épice-chèvre-poire rôtie m’ont fait rêver !!!!). Elle a le chic pour raconter avec saveur et exactitude la virtuosité gestuelle de la cuisinière en plein coup de feu :
"Les betteraves sortent du four. Je les douche au vinaigre de noix. Les blettes se précipitent dans l’écumoire, je les arrose de citron et de poivre. Mon plan de travail est un champ de bataille : des pépins, des queues, des giclures, des taches, des feuilles, des pelures. Tout s’y amoncelle et sue. Le sang rose de la betterave sur un cœur de concombre m’attendrit. Mais je n’ai pas le temps. Je me change en Shiva et, de mon dos, sortent mes bras supplémentaires, ceux qui vont plus vite que mon cerveau pour ranger, éponger, trier, partager, remiser."
Ou la dislocation d’un corps par le désir : "C’est dans les bois qu’on fait l’amour […] mon corps s’étend d’une vallée à l’autre. Un coude sur la colline, un orteil au pied de la falaise, la nuque sur les rochers qui bordent la cascade, l’omoplate roulant sur la terre du chemin, l’index dressé contre le tronc des chênes, les reins se frottant sur un lit de lichen, la rotule appuyée au contrefort d’un plateau, le crâne épousant la vase au bord des mares, mes cheveux baignant dans les vagues, plus salés que le varech. J’appelle un à un les atomes de ma peau pour qu’ils se réunissent et enfin, je rétrécis."
Alice moderne, Myriam trouve peu à peu son chemin et sa taille d’adulte dans les territoires tortueux du souvenir et le labyrinthe des relations anciennes et nouvelles. La fin du conte est, je trouve, un peu expédiée. Mais c’est un reproche mineur, celui d’une gourmande encore un peu sur sa faim, et qui en redemande !


 
pascale

04/10/2007
16:01
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Oui, ça donne faim, le sang rose sur un coeur de concombre sans parler du reste, et c'est diablement bien tourné !
 
glouton

04/10/2007
19:40
"Mangez-moi", d'Agnès Desarthe

J'l'ai vu à la télé la Desarthe, elle est drôlement jolie, appétissante pour tout dire.

 
psst

04/10/2007
21:51
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

psst, Agnès, sur le blog de Pierre Assouline "la république des livres", dans les commentaires du fiil "Borgès ? Intraduisable", etc., vous apprendrez des choses sur les liserons, les citations et les livres qu'on lit.
 
Zx

04/10/2007
21:58
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Rhôôô, glouton, faut-il vraiment s'abaisser à ce genre de considérations ?











...









...








Tidieu, c'est vrai qu'elle est jolie et on ne se lasse pas de le redire
 
glouton

05/10/2007
09:14
"Mangez-moi"

Je ne sais si la belle Desarthe connait le sens de "Eat me" en argot américain. Uniquement prononcé par les hommes, pour obtenir un service particulier
 
Sherlock

06/10/2007
23:04
Hypothèse

Me trompé-je en identifiant sous le masque du concupiscent g-lou-ton un monosyllabique et néanmoins anglophone contributeur dès longtemps disparu ?
Quant à Agnès Desarthe, elle est angliciste...

 
Zx

06/10/2007
23:44
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

"Uniquement prononcé par les hommes, pour obtenir un service particulier"

That's a moot point : cette expression me semble être parfaitement unisexe.
 
Agnès

14/10/2007
15:57
Ouhlàlà, il va falloir faire une synthè

ça devient long à charger !
Andrea Camilleri, La_Pension_Eva

Je parlerai un jour des romans policiers, enquêtes menées par le gourmand, tenace et désabusé commissaire Montalbano, (dont le patronyme est un hommage de Camilleri à son confrère catalan Montalbán, le créateur du gourmand Pepe Carvalho) - Quand j’aurai remis la main sur au moins l’un d’entre eux, parce qu’il n’y en a aucun sur les étagères où ils sont censés se trouver ; signe infaillible : bouquins prêtés - à qui ? – jamais rendus….
La pension Eva n’est pas une enquête du gourmet commissaire. Camilleri a même jugé bon de l’introduire par une notule, où il qualifie ce mince opus de « vacances narratives », faute de pouvoir le ranger dans une catégorie littéraire… « Récit heureusement inqualifiable », dit-il… Voire. Récit heureux, celui de l’initiation à la vie de Nenè, de l’aube de ses onze ans à l’aube de l’âge adulte, par bordel interposé. La pension Eva, pimpante villa aux murs toujours crépis de frais, aux volets verts toujours clos, titille dès l’enfance la curiosité de Nenè lors de ses promenades jusqu’au port : «Nenè le savait, ce que c’était qu’une pension, il l’avait demandé à un de ses cousins, qui faisait l’université à Palerme : c’était querque chose de mieux qu’une auberge et querque chose de pire qu’un hôtel. (..) Mais alors pourquoi de jour, devant le porche de cette pension, il n’y avait vraiment aucun mouvement ? » Nenè gamberge sec, à propos de cette auberge, et il a bien du mal à se faire une religion :
- Papa, c’est vrai, que dedans cette maison, les hommes peuvent louer des femmes nues ?
C’est tout ce qu’il avait aréussi à saisir des explications de ses petits copains. À part qu’il avait appris que la pension Eva pouvait s’appeler aussi bordel ou boxon et que les femmes qui étaient là-dedans et qu’on pouvait louer étaient appelées putains. Mais bordel et putain, c’était des gros mots qu’un minot correct ne devait pas dire.
- Oui, arépondit, frais et tranquille, son père.
- Ils les louent à l’année ?
- Non, pour un quart d’heure, une demi-heure.
- Et qu’est-ce qu’ils en font ?
- Ils se les regardent, dit son papa.

Son initiation amoureuse, Nenè la connaîtra en dehors de la pension. Mais ses rêves s’y accrochent opiniâtrement. Jusqu’au jour où le père de son ami Jacolino « se la prend pour lui, la gestion de la pension Eva ». Nenè, Ciccio et Jacoli, trop jeunes pour fréquenter le burdellu comme clients officiels, deviennent alors les habitués des dîners du lundi soir, le jour de repos des filles. Dîners très collet monté tant qu’y préside la Signura Flora, professeur de littérature classique en rupture de ban, beaucoup plus détendus ensuite. Et ce qu’ils y trouvent, plus qu’une expérience amoureuse, ce sont des histoires. C’est la guerre, de 42 à 45. La Sicile est prise entre Allemands et Américains. Entre histoire contemporaine et lectures classiques (le Roland furieux est un texte essentiel), paganisme et bondieuseries, la pension est le lieu de petits drames ou de grands miracles.
«Récit heureusement inqualifiable » ? ma foi, j’y ai retrouvé sans vergogne le plaisir de mes lointaines lectures de Steinbeck, Tortilla Flat, Rue de la sardine, ou Tendre Jeudi. Ou celles de Jorge Amado, grand chantre des bordels, dans Dona Flor et ses deux maris ou Tieta d’Agreste, par exemple. Inqualifiable sans doute parce qu’en nos temps de féminisme il est malencontreux d’associer bordels, plaisir et création littéraire, et pourtant… gourmandise sexuelle et gourmandise culinaire vont de pair chez Camilleri. Sa langue, sicilien réinventé pour sa Vigàta imaginaire, est savoureusement transposée depuis toujours par Serge Quadruppani dans un français excentrique mêlé de patois marseillais et d’inventions verbales sui generis. Cela donne un très charmant « péché de vieillesse ».



 
Eva

15/10/2007
00:25
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Qu'est-ce que j'aime La rue de la Sardine !
Cette "pension Eva" m'invite...
 
Agnès

15/10/2007
08:34
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

J'y avais pensé...
 
g-lou-ton

27/10/2007
09:33
brillante hypothèse

Élémentaire mon cher Sherlock
Trahi par ma compulsion à dévorer la belle Desarthe.

Après deux décennies d’écoute de FC, dont la dernière à tenter de l’améliorer par des courriers aux différents directeurs (beurk!) et au médiateur (re-beurk!), j’ai craqué et pris la fuite.

J’en suis arrivé à penser que c’est moi qui ai tort. Je suis un dinosaure, un auditeur d’une autre ère, un fossile vivant. Une nouvelle génération veut une nouvelle radio. En bon Darwinien, je sais qu'on ne résiste pas aux forces de l’évolution. Place donc aux djeunes, au dirèque et à l’à peu près, avec heureusement des ilots d'excellence que l'on peut écouter en différé si l'heure ne convient pas (un grand progrès).

Visites épisodiques sur le site « Liseron » pour savoir 1) ce qu’il faut lire grâce aux synthèses de notre chère Agnès, 2) ce qu’il faut penser de ces lectures grâce aux analyses des savants de ddfc, et enfin 3) ce qu’il faut en dire dans « les dîners en ville » où tout auditeur de FC se doit de briller, n’est-ce-pas.
Amitiés



 
Eva

28/10/2007
17:38
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Rappelons-nous d'abord la synthèse de Liseron IX :
"Romans" à ne surtout pas lire…
Jonathan Littell : "Les Bienveillantes" (A)

Après Liseron, Libellules :

"Le prix Goncourt pour les Bienveillantes a-t-il aussi récompensé le Tunnel de William H. Gass ?
Pas un mot, rien n’a été dit pendant un an, une recherche poussée n’a rien donné. Juste cela, il y a quelques mois, sur le site de rue89, à propos du Tunnel de William H. Gass (paru en anglais en 1995) : un « nouvel écho aux Bienveillantes » ! Celles-ci ont très justement obtenu l’an dernier, à ne considérer qu’elles-mêmes, le prix de l’Académie française, le prix Goncourt et, par boule de neige, elles ont été achetées par six ou sept centaines de milliers d’improbables lecteurs (le livre se revend pour deux euros dans les vide-greniers à l’état neuf). Le Tunnel de William H. Gass, l’œuvre majeure des cinquante dernières années, est sorti au printemps dernier en français, grâce aux efforts de son traducteur, Claro, de son éditeur et du Centre national du livre dans la collection Lot 49 au Cherche Midi. Qui aura lu l’un et l’autre s’apercevra que les Bienveillantes de Jonathan Littell ont puisé ce qu’elles ont de meilleur dans le Tunnel de William H. Gass."

http://libellules.blog.lemonde.fr/2007/10/28/littell-sorti-d u-tunnel/


 
Agnès

22/11/2007
22:12
Lolotte

Beaucoup plus charmante que la nôtre !
http://www.bmlisieux.com/archives/leroux01.htm
(quoiqu'indéniablement mièvre...)

 
paddy

22/11/2007
23:14
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Dans un souci fortement intellectuel, je me suis acheté sur ebay un lot de 50 Agatha Christie, version Club des Masques avec couverture photo couleur sixties.

Un des livres s'appelle et l'intrigue est rudement bien ficelée.


 
Agnès

26/11/2007
00:34
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Ce n'est pas que je ne lise plus, non. C'est que je n'ai guère le temps d'en écrire...
Mais quand même :
Un matin battu par la pluie, sur le pont Kirchenfeld qu’il traverse chaque jour pour se rendre au lycée où il enseigne depuis trente-sept ans, Raymond Gregorius, savant philologue, lâche brutalement son parapluie, son cartable plein de cahiers d’élèves qui se répandent dans les flaques, et toute la dignité et la discipline d’une vie, pour se précipiter au secours d’une femme en manteau de cuir rouge, au « visage d’albâtre », au « long serpent de cheveux noirs », qui lisait avec fureur et désespoir une lettre qu’elle vient de jeter dans le fleuve, avant de lui inscrire au milieu du front un numéro de téléphone.
Cette scène étrange, poignante et extravagante, très réussie, ouvre le roman de Pascal Mercier Train de nuit pour Lisbonne .
Avec cette femme inconnue, Mundus, puisque tel est le surnom affectueux de celui que les envieux nomment "Le Papyrus", rencontre son tardif destin à travers une langue – vivante – qui, brusquement et à tout jamais, pour quelques mots entendus, a enchanté son oreille : le portugais, português.
D’un seul élan, Mundus quitte le lycée, en plein cours, abandonnant ses livres et son cartable, et sa vie antérieure. Il découvre le même jour, à la librairie espagnole de Berne, un fascinant petit ouvrage - Amadeu de Prado : Um Ourives das palavras , Un Orfèvre de mots, Lisboa, 1975, aux éditions des Cèdres Rouges. À la merveille de cette langue bruissante et veloutée qui sonne à présent par la voix du libraire, s’ajoute celle d’un texte comme écrit pour lui, qui le bouleverse.
Plus d’une journée de train, par Genève, Paris et l’Espagne, et Gregorius est à Lisbonne.

C’est un étrange roman, presque paradoxal dans sa reconstitution rigoureuse d’une cohérence à travers les bribes de lui-même qu’Amadeu de Prado a laissées en tant d’êtres différents, alors qu’il affirme sans cesse la labilité ondoyante et diverse de l’existence et des hommes. Dans la régularité aussi du contrepoint entre le récit de la quête menée par Gregorius et la périodicité cadencée des fragments du recueil de Prado.
Livre construit et déroutant, rigoureux et sinueux à la fois, ce n’est pas un livre que l’on peut laisser et reprendre. Ni un roman dont on puisse parcourir quelques pages avant de s’endormir. L’intrigue en est complexe, les personnages nombreux, et il faut un effort pour s’imprégner, en même temps que Gregorius qui en est littéralement habité, de la prose poétique et philosophique de Prado et des aléas de sa vie. Comme une sorte de mise en abyme psychologique, dont le second tiroir demande exigence et attention.
C’est un roman magique, incantatoire, envoûtant. Magie du récit fait de phrases simples qui – dès le premier paragraphe - digressent en une anecdote qui contredit le portrait initial, phrases sobres et classiques d’où surgissent tout au long du texte surprises, péripéties et personnages, dans la sérénité d’un rythme régulier. Magie du mélange des langues, français (suisse allemand dans la VO) et portugais, qui se tressent au fil du recueil de Prado que déchiffre Gregorius, et conduisent le lecteur lui-même à se familiariser avec cette langue latine et exotique à la fois, à y reconnaître plus de sens. Magie des personnages habités, passionnés, violemment douloureux, que croise et relie Gregorius dans son errance toujours plus familière à travers Lisbonne enivrée de lumière, rencontres fugitives et profondes, ponctués de mots, d’objets, de gestes justes. Magie d’une quête à la fois intérieure et étrangère, et d’un passé pourtant hanté par les sinistres traces de la dictature. Magie des noms - o Estefânia Espinhosa, couronne d’épines… - où résonnent les langues mêlées, grec, latin, portugais… Magie des mots qui habitent Gregorius et peuplent le monde au risque de le faire chanceler si un seul d’entre eux – un hapax de l’Odyssée, chant 22, λιστρον, une pelle à racler le sol – vient à manquer, mots des grands textes, la Bible, Montaigne ou Pessoa, mots familiers de tous les jours, mots d’aujourd’hui et d’autrefois.
Au fil de ses pages, ce roman classique et excentrique est, comme la langue que voulait forger Prado, "comparable à un poème, tissé par un orfèvre des mots".



 
Agnès

26/11/2007
00:36
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Ah ! le grec n'est pas passé, j'aurais dû m'en douter. le mot est "listron".

 
Agnès

04/12/2007
14:07
Mc Ewan c'est vraiment très bien

Puisque nous sommes mardi, parlons de Samedi .
C’est le dernier Mc Ewan traduit. Il date de l’automne dernier. Depuis, il y en a eu un autre On Chesil Beach , pas encore publié en France à ma connaissance…

Ce Samedi-là est un samedi doublement particulier. Dans l’histoire du monde, c’est le samedi 28 septembre 2002, celui où se tient à Londres une manif monstre contre la guerre imminente en Irak. De sa fenêtre d’abord, puis dans la rue ou sur l’écran de sa télé, Henry Perowne, 48 ans, neuro-chirurgien brillant, assiste aux prémisses de ladite manif. C’est lui, le personnage principal, le filtre à travers lequel se déroule toute l’histoire. Car pour Henry Perowne aussi, ce samedi est une journée particulière. D’abord, il s’est réveillé, bien avant l’aube dans un état de griserie physique et mentale inexplicable qui l’a conduit à sa fenêtre, d’où il a vu passer un avion en flammes au ras des toits. Ensuite, il attend pour le soir le retour de sa fille Daisy, qui a pris le large pour devenir, loin de ses parents, parisienne et poétesse. Une poétesse douée, déjà reconnue, dont les ouvrages crûment érotiques déroutent son père, comme le déroute la passion qu’elle nourrit pour la littérature, lui qui trouve tout roman futile.
C’est donc pour Henry un samedi chargé qui s’annonce, entre match rituel de squash contre son collègue anesthésiste, courses, et repas de fête à préparer sur fond de Londres sens dessus dessous.
Une rue déserte où il s’est engouffré avec la bénédiction du policier de garde pour échapper à la houle montante de la manif, une voiture rouge qui déboîte, et l’intégrité vierge de sa Mercedes est à tout jamais altérée. Face aux occupants de la voiture rouge, trois voyous menaçants, Henry réussit à échapper au passage à tabac en diagnostiquant à brûle-pourpoint chez leur chef une maladie génétique naissante, et incurable. Non par compassion, mais « comme il aurait jeté un sort ».
Ce bref épisode traumatique bientôt surmonté est pourtant à l’origine d’une inquiétude subconsciente qui grandit au fil de la journée chez Henry comme chez le lecteur. À raison. La soirée de fête s’ouvre sous de terribles auspices.
Henry est un type plutôt simple : il aime de façon définitive sa femme Rosalind, son premier amour, épousée il y a près de vingt-cinq ans au cours de leurs années d’études. C’est un père attentif aux talents de ses deux enfants, Daisy et Théo, musicien de blues. Un médecin humain, au fait des moindres évolutions théoriques et techniques de son métier. Fermé au monde romanesque et pourtant imaginatif.
C’est là ce qui fait tout le prix de ce roman qui raconte à la troisième personne la journée d’une conscience. L’aventure d’une journée déchiffrée à travers les pensées du personnage principal. Un courant de conscience à la troisième personne en quelque sorte. Du plus minuscule détail personnel, biologique ou anatomique, au vaste cours du monde, flashes-back et projections, interrogations sur autrui ou introspections, lecture politique ou médicale du réel, minuscules détails quotidiens ou vastitude du monde observé à travers la lucarne de la télé, sensations physiques ou sentiments se tissent à travers le filtre ou le prisme de son regard. C’est diaboliquement virtuose, et prenant. Le romancier-narrateur tout puissant s’efface à l’intérieur de sa créature, réécrivant au passage une version masculine et concentrée (dans la forme) de Mrs Dalloway.
Lorsque nous quittons le roman, Henry et les siens sont devenus des nôtres, nous sommes devenus Henry, nous avons avec lui interrogé – sans réponse, mais sans désespoir – le sens de la vie au fil d’un jour doublement essentiel, où destin particulier et collectif se sont rencontrés.
Par la même occasion, Mc Ewan a poursuivi, mine de rien, et sans commentaire ostentatoire, sa réflexion pratique sur le lien mystérieux qui unit le romancier, ses personnages et le lecteur.

 
Agnès

04/12/2007
15:05
Erratum

Finalement c'est le 15 février 2003. Je me suis trompée de samedi, et de manif. Vérifié trop tard.

 
Agnès

17/12/2007
13:13
Zoli - Colum McCann


Je m'en suis accordé la lecture, parce que la couverture, depuis longtemps, me faisait de l'oeil. Une silhouette tourbillonnante de gitane saluant sur fond neigeux...et un titre, mystérieux et sonore.

C'est un beau roman, prenant. L'histoire d'une enfant rom, en Slovaquie, années 30, qui survit avec son grand père au massacre de sa famille, brûlée sur un lac gelé par la Hlinka, image terrible des roulottes s'enfonçant dans l'eau glacée à la lumière des feux qui les cernent. C'est le premier deuil, la première marque indélébile qui unit le destin de Zoli à celui de son peuple errant.

Mais Stanislaus, le grand-père de Zoli, est un drôle de type : il lit Le Capital, laisse sa petite fille - qu'il a doté d'un nom de garçon - apprendre à lire malgré les tabous. Il l'élève librement, et la marie à une homme de bien, qui à son tour laisse éclore ses talents de chanteuse, et surtout de poétesse : elle est celle qui transmet la mémoire des textes immémoriaux en y insufflant sa parole propre et le regard qu'elle porte sur son peuple.
Zoli devient alors en quelque sorte la voix autorisée de l'intégration des Roms au peuple communiste, épaulée par le poète Stransky et son ami le traducteur anglais Swann. D'infractions en transgressions, Zoli, maîtresse de Swann promue ethnologue et poétesse officielle voit son peuple floué, dépossédé de ses roulottes - les roues brûlées - de sa parole et de ses instruments de musique, contraint et enfermé dans des tours de béton. Son peuple, qui la bannit. Devenue impure, Zoli connaît la déchéance absolue, l'abjection et la misère les plus intenses. Jusqu'à renaître, tant elle est habitée par la vie.
Une partie du roman est une adresse à sa fille, et le roman se clôt à Paris, en 2003, sur les retrouvailles de la fille et de la mère, l'une devenue en quelque sorte une rom officielle, attachée à rendre à son peuple une dignité et une présence politique, l'autre arc-boutée dans son refus définitif de faire renaître son passé de poétesse.
Le roman se borne à conter, au plus près de ce que l'auteur a pu saisir de ses personnages et des peuples tziganes: il y a la voix d'un journaliste, aujourd'hui, qui a pris le relais de Swann dans sa quête de Zoli disparue, celle de Swann, qui est, somme toute, un pauvre type éperdu et minable, et celle de Zoli, qui clôt le roman sur un pointillé d'espoir et de musique.

 
lou

18/12/2007
12:33
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Je viens de finir le livre de Luc Ferry "Apprendre à vivre", Plon, 2006. En le refermant, j'aperçois sur la couverture, en bas et à droite, le sigle de France Culture. C'est marrant. Qu'est-ce qu'il fait là?

 
Agnès

28/12/2007
03:04
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Ce qui est bien, pendant les vacances, c’est qu’on peut consacrer plusieurs heures DE SUITE à lire un pavé. Sans remords. En l’occurrence le premier tome de la trilogie « Millénium », de Stieg Larsson : « Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes », chez Actes Sud. Et qu’on sait qu’il y aura d’autres longues heures à consacrer aux tomes deux et trois, qui sait, peut-être tout à l’heure ? parce que c’est fichtrement bien ficelé, haletant, palpitant, avec des personnages complexes et attachants, même si l’intrigue brasse toutes les horreurs que l’homme est capable d’inventer pour faire souffrir son prochain (oui, je suis un peu biblique. C’est dans l’atmosphère du roman - la Suède, les pasteurs, on ne peut pas en faire l’économie, même si c’est d’économie, justement, qu’il est question, puisque le héros, Mikael Blomkvist, est journaliste spécialisé dans ce domaine.).
"Millénium" trouverait naturellement sa place à côté de Mankell, bien que ce soit très différent. Point ici d’inspecteur vieillissant et déprimé, ni de commissariat avec ses rituels et ses excès de boulot, et guère de petite ville avec campagne environnante et pluie et boue à volonté. Quoique quadragénaire, Mikael Blomkvist est bien plus tonique, séduisant dès le premier abord, et d’ailleurs les femmes bourdonnent autour de lui. Erika son alter ego en journalisme, son amie, sa liaison la plus ancienne et sa collaboratrice à la tête du Journal (c’est une revue, Millénium, qui essaie de traiter d’économie avec les mêmes méthodes d’investigation et la même éthique que la presse politique, et s’indigne de la corruption ou de la complaisance de la plupart de ses concurrents ou confrères). Et puis la fascinante Lisbeth alias Sally, jeune marginale écorchée vive, sorte de « hackeuse » de génie, et enquêtrice hors pair. Enfin Cécilia la femme mûre, rencontrée au cours de son enquête dans le terrible panier de crabes d’une famille d’industriels en déclin, et marquée par la disparition inexplicable de son héritière la plus douée, 36 ans auparavant. Quant à Mikael, il trimballe depuis le début du roman une condamnation pour diffamation avec amende colossale, discrédit complet sur son journal, et trois mois de prison à la clé dans une enquête sur un golden spéculateur où il s’est fait rouler dans la farine, d’où sa retraite, et ce travail d’investigation familiale étranger à ce qu’il a coutume de faire. Mais il faut bien vivre, et son nouvel employeur, Henrik Vanger l’octogénaire et douloureux chef d’entreprise, a su se montrer un conteur talentueux.
Ce qu’est indéniablement Stieg Larsson, journaliste économique mort d’une crise cardiaque peu après avoir déposé son triple roman chez l’éditeur. C’est très cinématographique, avec un penchant pour le montage alterné, et pour l’ellipse. On navigue, en train, à moto, à pied, en voiture, de Stockholm au Norrland, d’une presqu’île à des villages perdus ou des stations balnéaires de luxe, par des froids polaires pour lesquels Mikael est au début bien mal équipé, dans la cabane d’hôtes mise à sa disposition, où lui tient compagnie un chat roux. Il y a des tas de références à la littérature enfantine, en particulier à Fifi Brin d’acier (la sœur de Mikael s’appelle Annika, et lui-même a visiblement un lien avec un roman d’Astrid Lindgren, que je n’ai pas lu, comme « Super Blomkvist », surnom qu’il apprécie fort peu). Il y a des plans et un arbre généalogiques, des relents de guerre de 40, « naturellement », et beaucoup d’électronique, d’informatique, et de finance (où, dois-je l’avouer, je n’ai pas tout suivi, mais ça n’entame en rien l’intérêt du roman). Les personnages sont justes et intéressants, en particulier Sally, qui à la fin du roman laisse le lecteur devant une forêt de points d’interrogation.
C’est décidé. J’y retourne.


 
Agnès

28/12/2007
19:56
Millenium (suite)

Ouf, ça y est, fini le tome II - "La Fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette", joli titre, non ?
Et au moins aussi passionnant que le premier, puisque c'est Lisbeth, et le mystère de son passé, et son extraordinaire capacité à aimanter les emmerdements majeurs et les personnages les plus inquiétants, qui est au coeur de l'intrigue.
Laquelle se déroule deux ans après celle du tome I. Cette fois, il est question de crimes sexuels et de mathématiques (il y a toujours dans ces histoires de mystère d'autres mystères tellement plus impénétrables : le théorème de Fermat !!! : Lisbeth s'est mise aux maths). La police est omniprésente, et omninefficace, si je puis me permettre. Et quelle somptueuse galerie de marginaux, de minables, de salauds et d'abrutis !

Iy a des défauts dans la construction, qui tisse tant de fils qu'il est parfois difficile de ne pas en laisser certains de côté, au grand dam du lecteur perspicace. Et une propension désastreuse, de la part des traducteurs, à utiliser l'adverbe "définitivement" avec son sens anglais. Sans compter cette hérissante et niaise manie contemporaine de désigner les parents, ici la mère, comme "la maman" - Fait du texte ? ou de la traduction ? N'empêche : il est très difficile d'en décoller, ce qu'à peine fis-je, depuis la nuit dernière.
Les titres sont épatants. Et cet univers de conte qui aère la suffocante atmosphère de ce monde où le destin est fait de psychopathes, de violeurs et de serial killers. Dans "Millenium", face aux méchants, il y a des gentils, sans manichéisme.

 
Agnès

30/12/2007
22:03
Ça y est pour le tome III :

« La Reine dans le palais des courants d’air ». Une lecture de 2007, definitely.
Commençons par ronchonner : la traduction est désastreuse, de plus en plus bâclée au fil des volumes ; outre les « définitivement » déjà signalés, il y a des fautes criantes d’usage ou de concordance des temps, des erreurs de lexique, et le plus parfait mépris pour les circonstances où, en français, le subjonctif s’impose. C’est désolant. Actes Sud fait un tabac avec ce triptyque, ils pourraient faire l’effort de payer correctement leurs traducteurs ou leurs relecteurs, et de veiller à la tenue littéraire de leurs bouquins, fussent-ils des romans noirs. D’autant que la question de la belle langue est constamment évoquée à propos des articles et des textes de Blomkvist et de ses collègues. Je suppose donc que Larsson y était sensible ! Je ne connais rien aux arcanes de la traduction littéraire, mais trouver dans un roman publié des erreurs ou des approximations qui seraient épinglées dans un exercice de version, c’est irritant. Et pendant que j’y suis il me semble que s’ils se fussent fendus de quelques notes en bas de pages à propos des références à la littérature enfantine scandinave, ça n’aurait fait de mal à personne et, qui sait, fait remonter les ventes d’icelle ? Lisbeth est une variété de Fifi Brindacier, c’est souligné à plusieurs reprises (c’est même une fois le mot de passe que lui propose Mikael pour entrer en communication avec elle) mais pour ma part, j’ignore tout du reste de l’œuvre d’Astrid Lindgren, et mes lectures d’Andersen sont lointaines.
L’histoire de Lisbeth, très amochée au cours du volume précédent, se poursuit, et nous fait plonger au plus secret des services secrets. Les personnages se multiplient, ce qui exclut toute lecture distraite ou en pointillés (j’ai le sentiment de ne pas « lire » véritablement tous les noms exotiques dans les romans étrangers. Plutôt d’en photographier une sorte de synthèse graphique et sonore parfois fragile…). Les motifs se tissent dans la toile selon l’urgence, certains allant jusqu’ à disparaître parfois très longtemps avant d’être rattrapés in extremis. Ainsi en est-il du frère de Lisbeth, Ronald Niedermann, qui s’absente non seulement du récit, mais de l’enquête, un sacré bout de temps.
Il y a deux questions majeures dans les trois Millenium, que l’on voit s’épanouir clairement dans ce dernier tome : celle de la place des femmes dans la société civile : l’enquête menée dans le tome II concerne le trafic des femmes, et dans le tome III Erika, la rédac’chef de Millenium a accepté de quitter SA revue pour prendre la tête d’un prestigieux quoique déclinant quotidien où elle a bien du mal à s’imposer alors même qu’ils sont allés la chercher. Relations entre les hommes et les femmes sur le plan professionnel, ou sur le plan sexuel : Mikael plaît aux femmes essentiellement parce qu’il est un amant talentueux et attentif sans la moindre « volonté de puissance », alors que les machos frustrés abondent. Quant à Lisbeth, elle est défendue par Annika, la sœur de Mikael, avocate spécialisée dans les violences faites aux femmes.
L’autre question, connexe, est celle de la démocratie, et de la place que les services secrets doivent ou peuvent y occuper. Comme journaliste, exigeant et doté d’un sens éthique superlatif, Mikael représente un contre-pouvoir dangereux ou nécessaire suivant les points de vue. Cela aboutit à une lutte entre ce qu’il faut bien considérer comme les forces du Bien contre celles du Mal, dans laquelle on choisit sans hésiter son camp… Réflexion sur les séquelles de la guerre froide et leurs dangers pour la démocratie, mêlée à une sorte de fable sur la lente éclosion à elle-même et à autrui d’un vilain petit canard et doublée d’une sorte de mise en œuvre de la volonté de contrôle la plus débridée (Lisbeth est quand même une variété moderne de Comte de Monte Cristo), ça pourrait faire un vaste chaos incohérent. Ça fait une intrigue fichtrement prenante, dont on a du mal à se déprendre. Il n’y a guère d’enfants dans Millenium. Sans doute parce que personnages et lecteur en tiennent la place, suspendus jusqu’au bout à la plume du conteur.

 
Agnès

02/01/2008
16:27
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

« À la une du Mercenaire, en caractères gras, un bandeau à en-tête avisait le public :

Chaque ligne de ce journal est payée. Nous dépendons du gouvernement quel qu’il soit, nous n’écrivons jamais notre propre opinion, sauf quand nous y contraint le plus sordide esprit de lucre. En conséquence nous avertissons nos lecteurs, pour lesquels, individuellement et collectivement, nous n’avons que profond dédain et mépris, qu’ils n’ont pas à prendre au sérieux nos articles, et qu’ils doivent avoir pour nous autant de mépris et dédain que nous le méritons, si toutefois c’est humainement possible. »


C’est ce que l’on peut lire dans l’un des journaux proposés par le café qui se donne lui-même pour le rendez-vous des escrocs et des parasites, dans "La Ville franche" sans autre nom où ont atterri Kornél Esti et son camarade qui dit « je ». Monde à l’envers – ou à l’endroit ? – où s’affiche partout la plus scrupuleuse vérité, c’est-à-dire le plus tranquille cynisme. Qui vaudra au narrateur de se faire expulser, en « avion d’expulsion rapide » ( !), pour avoir prétendu être « enchanté » au moment où il venait prétendre à l’immigration dans cette bonne ville.
Telles sont les nouvelles, fluides et déconcertantes, du recueil Le Traducteur kleptomane de Dezsö Kosztolànyi, auteur hongrois (1885 – 1936), publié chez Viviane Hamy, collection Bis. Sur les pas de Kornél Esti, conteur, romancier et observateur sceptique et bienveillant, on croise un traducteur kleptomane :
« De nouveau, nous avons essayé de le sauver. Vous qui êtes écrivains, vous n’êtes pas sans savoir que tout dépend des mots, la valeur d’un poème aussi bien que le sort d’un homme. Nous avons tenté de prouver que c’était un kleptomane et non un voleur. Cleptomane est en général quelqu’un que l’on connaît, voleur quelqu’un qu’on ne connaît pas. Le tribunal ne le connaissait pas, aussi l’a-t-il jugé comme voleur et condamné à deux ans de prison. »,
un contrôleur bulgare, un industriel à éclipses (la nouvelle s’intitule "La Disparition"), « un chevalier de la dèche », un président dormeur….
Les textes sont brefs, enlevés, juste le temps d’en percevoir l’étrangeté comme une épice, sans insistance. Petit plaisir allègre de début d’année.


 
Eva

02/01/2008
17:18
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Chère Agnès, un grand bonheur en cette nouvelle année, que de voir apprécier les "vieilles" nouvelles (mais si fraîches, n'est-ce pas ?) de Kosztolanyi. Il y a même là une coïncidence ! Je n'arrête pas de vanter Kosztolanyi en solo, ou le tandem Karinthy/Kosztolanyi, ces jours-ci. Tandis que le traducteur cleptomane, j'ai même tenté de le transposer en jeu. Le héros des nouvelles de Kosztolanyi, "Esti Kornél" ("Cornélius du soir") est peut-être Karinthy (de lui aussi, plusieurs titres sont disponibles en français), sauf que Karinthy peut se reconnaître dans un autre personnage encore et Esti Kornél ressemble au moins autant à Kosztolanyi lui-même. Une magnifique amitié littéraire, deux inséparables joueurs avec les mots (et avec le reste : la vie).
Merci, Agnès, bonne année aux liserons, ce qu'il faut de pluie et de beau temps .
 
Bécassine

06/01/2008
12:20
Le dernier des vacances

Jed Rubenfeld : "L'Interprétation des meurtres"
Il y a New York, en plein essor urbain et architectural, avec son pont de Manhattan à la technique novatrice, appuyé sur le lit de la rivière grâce à des caissons pneumatiques, avec ses immeubles sordides de Chinatown et ses palaces et gratte-ciel à l’architecture aussi inventive qu’éclectique : marbre, brique, verre, acier, Grèce, Gothique, Renaissance italienne, passages secrets, aquariums avec otaries !…
Il y a son maire, l’érudit George McLellan, partagé entre son intégrité et son désir d’être réélu, autour duquel gravitent les grands de ce monde : financiers, aristocrates, nababs, magnats, hommes d’action et d’argent en leurs clubs très fermés. Il y a leurs épouses et leurs filles, créatures fascinantes et infiniment désirables, infiniment névrosées….
Il y a Sigmund Freud quinquagénaire, père d’une théorie révolutionnaire sur l’origine sexuelle des névroses obsessionnelles et des névroses hystériques, qui vient, invité par une prestigieuse université du Massachussetts, apporter sur le nouveau continent ses idées dérangeantes, accompagné de ses disciples Jung et Ferenczi.
Enfin il y a Jed Rubenfeld, juriste à Yale, spécialiste de Freud et passionné d’Hamlet, qui a choisi, pour donner chair et vie à ce qui lui est intellectuellement le plus cher, la forme d’une fiction historico-policière.
Freud va donc rencontrer, outre le très réel Abraham Brill, Stratham Younger, brillant jeune homme de très aristocratique extraction, « le premier psychanalyste américain », lequel doit lui servir de cicerone dans sa découverte de New York. Mais voilà qu’une suite de crimes sexuels que l’on voudrait garder secrets met la police sur les dents. Sur les conseils de Younger, le maire consulte Freud.
Conjointement menée par le jeune inspecteur Littlemore, sorte de Rouletabille yankee tavelé de taches de rousseur, et semble-t-il exempt de toute névrose, et par Younger coaché par Freud, Younger qu’ont fasciné les yeux bleus, les formes graciles et les douloureux secrets de l’une des victimes, Nora Acton, l’enquête croise les traces d’un très réel meurtrier mal enfermé en son asile d’aliénés, de mystérieux chinois, d’une maquerelle et de ses filles, d’un club très fermé, d’un éditeur marron, et surtout d’un couple séduisant et énigmatique, les Banwell. Lui, un prince de l’immobilier. Elle une femme irrésistiblement belle.
C’est encore un pavé (450 pages) chez Panama ( ?), avec une couverture discutable, où l’on a rajouté au montage photo de l’édition américaine des taches sanglantes en surimpression très tape-à-l’oeil. C’est assez correctement traduit à quelques horreurs près. Ça fait encore un après-midi d’oisiveté ou une nuit d’insomnie. Il y a un site http://www.interpretationofmurder.com/ avec photos d’époque. À ne pas lâcher en cours de route tant les différents fils de l’intrigue s’enchevêtrent touffus sur la fin (il y a d’ailleurs un détail qui cloche, dans la solution, me semble-t-il). C’est palpitant. Les personnages réels et imaginaires sont campés avec vivacité, ça déborde d’anecdotes sur New York, sur la psychanalyse et les psychanalystes (Jung, le « fils élu » en rupture d’orthodoxie théorique, en prend passablement pour son grade…), sans lourdeurs ni temps morts. Et puis à la fin, chose traditionnelle dans les romans américains, l’avalanche des remerciements, et, suprême révérence de l’auteur, cinq bonnes pages de mises au point historiques, afin que nul n’en ignore ni ne se fourvoie.
De Dora à Nora, de Nora à Clara, de Jung à Younger, l’auteur joue et jongle avec la théorie freudienne, qu’il réinterprète au passage à la lumière d’Hamlet. Après son unique voyage aux États-Unis, Freud a manifesté à l’égard de ce pays toutes sortes de réserves et une vive et tenace, quoiqu’inexplicable, hostilité. Jed Rubenfeld s’est engouffré dans ce mystère biographique, il en a fait un thriller épatant. C’est un premier roman, bigrement prometteur.

 
Agnès

14/01/2008
09:54
Michèle Lesbre - Le Canapé rouge

Je n’ai pas DU TOUT aimé ce roman. J’aurais bien voulu. On m’en avait fait l’éloge, le titre sonnait bien. Je l’ai lu à contrecœur, avec irritation, dès les premières pages.
La narratrice, une femme vieillissante, un peu évanescente, exilée des idéaux de sa jeunesse militante par la force de l’Histoire, est partie sur les traces à demi-effacées d’un amant d’autrefois, ami d’aujourd’hui, qui s’en est allé faire du théâtre et fabriquer des cerfs-volants dans une bourgade des rives du lac Baïkal. Sans nouvelles de lui depuis plusieurs mois, elle a quitté Paris, les revues où elle écrit, et la vieille voisine au canapé rouge, pour embarquer dans une sorte de Transsibérien omnibus, jusqu’à Irkoutsk.
Rencontres au fil du voyage, en pyjama dans son russe hésitant, allers-retours du wagon-couchette au wagon-restaurant, du présent au passé, des hommes d’aujourd’hui à ceux d’autrefois, sa vie mêlée à celle de Clémence, la modiste qui malgré la perte de son amant à dix-neuf ans a traversé la vie en souriant jusqu’au canapé rouge qui l’ancre sur les rives d’une mémoire défaillante….

Il y a des silhouettes pittoresques et souvent pathétiques, des histoires, celles des femmes libres et insolentes qu’elle raconte à Clémence ou à ses lecteurs, celles qu’elle prête aux voyageurs de rencontre… et des avalanches de citations : sur les 140 pages de ce très joli petit volume – chez Sabine Wespieser, format presque carré, fond beige clair liseré beige plus foncé, auteur et titre sur bandeaux sobrement colorés – on croise, après les deux épigraphes, (Luc Dietrich, Anna Maria Ortese), Jankelevitch, Dostoïevski, Iouri Bouïda, Milena Jesenska (une de ses belles rebelles), Michel Strogoff, Medvellin, Tarkovski, Maïakovski, Anna Prucnal, Claude Roy, Olympe de Gouges (autre belle favorite), Pessoa, Antonioni, Vaillant, Cézanne…. ! J’arrête - à peine à la moitié. On crie grâce. Comme si l’on offrait au lecteur la biblio-disco-filmo-pinacothèque idéale du militant humaniste, pour ancrer en certitudes l’incertitude qui est la trame même du livre et du personnage, comme si sa fragilité profonde ne se pouvait dire qu’à travers des vérités éprouvées, égrenées, assenées. Ça ne sonne pas juste. Aucun travail d’effacement, ni de suggestion : une litanie de noms, d’allusions, de références, tout est explicite, et pourtant muet : « la radio diffusait un vieil air de Joe Dassin chanté en russe ( !) ». Joe Dassin est mort en 80, c’est forcément pas du récent, mais quel air ??? On n’entend rien ! (Il est vrai que J. D n’est pas un chanteur-phare des années militantes…) et puis, outre des tics d’écriture qui ne m’ont pas séduite, cette exaspérante tournure d’inspiration psy, caractéristique de la langue orale contemporaine : « être dans » : « je ne savais plus être dans cette perpétuelle quête »…, « j’étais moins dans le chagrin que dans la certitude d’avoir à comprendre son geste… » Grrrrr ! Quant à moi, je suis restée en dehors de cette histoire flottante, entre plusieurs sièges, plusieurs styles, plusieurs lits.


 
Zx

14/01/2008
10:57
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Sûrement "A toi" qui est, semble-t-il, un classique en Russie.
 
Agnès

14/01/2008
22:55
re : C'est en lisant qu'on devient liseron V

Trouvé ceci, à défaut d'interprétation en russe..
http://www.russie.tv/Joe-Dassin-descendant-d-emigres.html
Thanx, Zx.
 
Agnès

21/01/2008
11:40
About Cendrars

Connaissez-vous « L’Un & l’Autre » ? C’est une très jolie collection chez Gallimard, dirigée par J. B. Pontalis, éminent psychanalyste et écrivain mélancolique, discret, élégant. La collection http://www.gallimard.fr/collections/fiche_unautre.htm évoque des figures connues ou inconnues des arts, de la littérature, de l’histoire, ou parfaitement anonymes (les « Autres ») évoquées par des écrivains qui en quelque sorte se cherchent en évoquant ces autres-eux-mêmes (les « uns »). Le catalogue est riche, divers, surprenant, avec de très beaux titres : "La Pleurante des rues de Prague" (Sylvie Germain), "Elle, Par Bonheur et toujours nue" ou "Verlaine d’Ardoise et de pluie" (Guy Goffette), "La Plus que vive" (Bobin)…. J’en ai lu peu, somme toute, parce qu’ils sont chers (14, 90€ le volume, 84 titres parus, 58 auteurs, et peu en Folio), mais toujours avec surprise et plaisir. Le premier, c’était "L’Enfant d’Aurigny" de Catherine Axelrad, un Hugo à Jersey vu par une petite servante.
Dans les derniers titres, "La Grange de Navarin" de Gisèle Bienne, dont j’avais lu "Marie-Salope", l’un des titres-phares des éditions Des Femmes, il y a bien longtemps.
C’est une errance, à pied et en voiture, dans les paysages désolés ou les recoins secrets de la Champagne et au fil des textes du poète, en quête du Cendrars de la blessure, avant et après l’amputation. Errance mentale aussi, en quête d’elle-même, dont le grand-père a croisé ces chemins, laissant dans la famille une douleur indicible et un silence épais. Étendues arides, ossuaires et monuments : les lieux portent aussi la mémoire d’Yves Gibeau, inlassable collectionneur révolté des restes inépuisables de la grande guerre, comme celle des toiles d’Otto Dix ou du « J’Accuse » d’Abel Gance, où tourna Cendrars. Il y a de beaux passages sur la "Prose", que l’auteur a croisée à vingt ans dans sa chambre d’étudiante pour ne plus l’oublier. Le texte est ponctué de nombreuses citations, de réflexions sur son inimitable rythme et ses images sauvages. C’est une rencontre intéressante et attachante avec Cendrars, une entrée oblique dans sa biographie. Où l’on apprend aussi que Myriam Cendrars a republié en 2006 une version revue et augmentée de sa biographie, qui m’avait autrefois bouleversée : autre quête, cette fois celle d’un père par sa fille délaissée, tardivement retrouvée. Un pavé, qui se lit comme un roman, et retisse, outre la vie de Blaise, les fils de celle de Féla, sa petite épouse résolue et bien souvent laissée pour compte, et des leurs trois enfants : Odilon, Rémy, et Myriam.
Nombreux sont ceux qui (re)viennent à Cendrars, semble-t-il. Le bref opus de Gisèle Bienne, sobre et juste, le pavé de Myriam, un Cendrars annoncé aux éditions Aden http://www.editionsaden.com/blais-cendrars.htm , une note passionnante d’Alain Garric sur Libellules (l’article est de 86, mais je l’ai découvert en août), il doit y en avoir d’autres. Je m’en réjouis. L’incongruité radicale de ce dévoreur de vie, arpenteur d’écriture, de couleurs, de formes, de rythmes, romanesque poète, vates contemporain, mystique et ardent, souffle jusqu’à nous. Braises encore vives sous les cendres.


 
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