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Henry Faÿ

01/05/2007
19:56
Peut-on être nietzschéen de gauche?


Edmond dans le forum bleu:
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<<Il est dommage que ce débat qui semble passionner les uns et les autres, tant effectivement il a des résonances actuelles, soit confiné à ce forum (bleu) un peu confidentiel alors qu’il a été initié suite à l’émission de F.C. du 31 janvier 2007 « Du Grain à moudre » (Couturier/Clarini) intitulé « Les paradoxes du nietzschéisme de gauche » (autour du livre d’Aymeric Monville « Misère du nietzschéisme de gauche. ») et donc à mon avis aurait de ce fait toute sa place sur l’autre forum.
Ci-dessous un lien sur l’émission en question :
http://www.tv-radio.com/ondemand/france_culture/GRAIN/GRAIN2 0070131.ram>>
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Très intéressé de retrouver cette émission, merci Edmond, j'en ai fait le compte-rendu. Ah, mes amis, quel boulot! Je le soumets à votre méditation. Il donnera, je l'espère, du grain à moudre à notre discussion sur Nietzsche et le nietzschéisme de gauche.


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Yellow submarine, we all live in the yellow submarine..

Les paradoxes du nietzschéisme de gauche
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Brice Couturier : Le nietzschéisme français a connu pas mal d’incarnations successives : il y a eu le nietzschéisme gidien dans les années dix et vingt esthète et bien sûr immoraliste, ensuite une tendance plus sévère et tragique avec le collège de sociologie foyer d’énergie au centre duquel rayonnait Georges Bataille. Il y a eu un nietzschéisme fasciste mêlant socialisme sorrélien, culte de l’énergie et rêve de domination continentale, un nietzschéisme camusien. Mais le dernier grand moment nietzschéen remonte aux années soixante et fut dominé par Michel Foucault
Je passe par pour le moment par indulgence sur le cas le plus récent, celui de l’athéologue Michel Onfray sur lequel on va s’en doute d’attarder.

Comment semblable lignée d’hommes se réclamant généralement de la gauche et aux talents divers a pu se réclamer d’un penseur qui n’a jamais caché le mépris que lui a inspiré la démocratie, démocratie en laquelle il voyait la revanche de la plèbe sur les aristocraties naturelles, un philosophe qui a poussé l’apologie de la hiérarchie et de la domination jusqu’à avoir proclamé l’esclavage condition de toute civilisation supérieure, telle est la question aujourd’hui que pose aujourd’hui un jeune philosophe marxiste, Aymeric Monville auquel nous sommes redevables d’une réédition partielle de l’œuvre introuvable de Lukacs, la destruction de la raison.


Il faut bien dire que cette question comment des hommes de gauche peuvent-ils penser avec Nietzsche, elle avait déjà été posée en 1991 par un collectif de philosophes emmenés par le duopole Luc Ferry Alain Renaut, ça s’appelait Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens.

Pour vous, Aymeric Monville, ce anti-nietzschéisme bien pensant était le fruit de ce que vous appelez l’alliance d’une droite bégueule et d’une gauche bigote. Votre anti-nietzschéisme est d’obédience marxiste, un marxisme assez orthodoxe et vous avez tendance à ne voir dans Nietzsche que l’ombre portée des mouvements politiques qui se sont réclamés du philosophe allemand plusieurs décennies après sa mort.

Or comme l’a écrit Philippe Raynaud, si Nietzsche occupe dans l’histoire de la philosophie un place singulière, elle vient du caractère divers, parfois désastreux de sa postérité, qui ne se limite pas à Philippe Raynaud. Mussolini et surtout Hitler s’en sont réclamé.

Après tout si le marxisme a été transformé en religion d’Etat par Staline, l’un des plus grands massacreurs de l’histoire moderne, cela n’entraîne pas nécessairement l’invalidation du marxisme en tant que philosophie.


Les questions de fond, on va en poser pas mal. Un penseur est-il responsable de L’usage que l’on peut faire de sa pensée. Au-delà du cas Nietzsche qui va nous occuper ce soir, de bien grââââââves questions.

Julie : Aymeric Monville Brice vous a présenté comme un jeune philosophe marxiste, vous êtes aussi traducteur et directeur d’une collection.Votre essai, votre pamphlet presque s’intitule Misère du nietzschéisme de gauche, de Georges Bataille à Michel Onfray aux éditions Aden, il vient de sortir.

Nous attendons avec impatience Jean-Pierre Faye qui normalement ne se trouve pas très loin de ce studio. Il est philosophe, il est l’auteur de Le vrai Nietzsche, guerre à la guerre en 1998 . Et Nietzsche et Salomé, la philosophie dangereuse. Paru en 2001

BC : ça va être très difficile de faire un débat tout seul (petit rire, hin, hin, hin). Je vais commencer à jouer son rôle. Je vais prendre la place (rire) d’un nietzschéen, ce qui me ressemble mal. À vos yeux, le fait que les nazis se soient réclamés de la pensée de Nietzsche mort quand même plusieurs décennies avant la prise de pouvoir par Adolf Hitler invalide-t-il la pensée de ce philosophe. Si c’est le cas laissez moi vous demander quel sort vous réservez à Marx …dont la pensée a été élevée au rang de religion d’État par Joseph Staline. Pourquoi Nietzsche serait-il compromis par l’usage politique qu’en a fait Hitler alors que Marx sortirait indemme de son utilisation par Joseph Staline.

Aymeric Monville : je ne parlerais pas dans le cas de Nietzsche d’invalidation. Je pose simplement une question simple. Pourquoi un philosophe aussi sulfureux que Nietzsche est-il depuis, par exemple, depuis 1970 six à sept fois à l’agrég. de philo, alors que Marx n’y est pas du tout ? C’est une question qu’il faut se poser. Vous avez évoqué cette réception de Nietzsche…

BC : oh, très, très sommairement, parce qu’il y aurait…

AM C’est vrai que on pourrait… Il y a un tout débat comme vous l’avez rappelé chez les marxistes qui est d’essayer de voir ce que Nietzsche a véritablement écrit, de
combattre une sorte de révisionnisme philosophique qui consiste à dire Nietzsche a tout dit et son contraire, je peux vous citer par exemple Derrida, tous les énoncés, avant et après, à gauche et à droite sont à la fois possibles, Nietzsche a tout dit, à peu près les choses les plus contradictoires. Il a dit les choses les plus incompatibles entre elles et il a dit qu’il le disait. Je reviens sur cet énoncé de Derrida. Je ne vois pas chez Nietzsche une pensée pour les esclaves, je ne vois pas chez Nietzsche une pensée pour la démocratie.

BC ah non, C’est une pensée des maîtres, il est clair que c’est une pensée des maîtres.

AM : Je suis heureux de vous l’entendre dire. Pourtant même Monsieur Faye qui n’est pas encore là, c’est pour ça, je m’excuse, j’espère qu’il vous répondra, vous lui rappelerez. Jean-Pierre Faye va lire les fragments avec les généalogies de la morale ou dans les fragments 1886-1888

Il cite : « Avec les juifs, c’est le soulèvement des esclaves dans la morale… »
Il aussi, par exemple, il va lire : « Les tchandalas, les parias en fait ont le dessus et par-dessus tout les juifs » et il qualifie cette phrase de phrase extraordinaire, le plus beau texte de Nietzsche le plus secret, évidemment si on se met du côté de ces esclaves qui ont le dessus dans la morale… d’un point de vue si vous voulez romantique, on peut pourrait penser que Nietzsche. va dans ce sens. C’est faire dire n’importe quoi à Nietzsche. Il cite deux phrases qui appartiennent l’une à la généalogie de la morale

« Reconnaissons les faits. Le peuple l’a emporté ou bien les esclaves, la plèbe ou encore le troupeau. Comme il vous plaira de l’appeler. Les maîtres ont fait leur temps. La morale de l’homme a vaincu. La délivrance du genre humain délivré de ses maîtres est en bonne voie ; Tout s’enjuive, se crisanise ( ?), se plébéise. Cet empoisonnement pénètre par tout le corps de l’humanité et semble inextinguible. »

Je demande une lecture complète de Nietzsche. Je n’ai pas dit qu’il était invalidé.

BC: vous savez bien que la philosophie de Nietzsche elle-même repose sur l’idée que il n’y a pas de texte originel qu’il n’y a que des interprétations. Donc vous tombez dans le piège que tend Nietzsche en pensant qu’il y a une vérité originelle de Nietzsche. Je me fais le porte-parole d’une certain nietzschéisme des années soixante et soixante-dix. Vous voyez qu’il y a une profonde ambiguïté, euh, dans cette interprétation . Est-ce qu’on peut dire que Nietzsche est un philosophe directement politique, parce qu’après tout, c’est un philosophe. Donc il s’exprime à un autre niveau que simplement celui de l’intervention de l’homme politique dans la cité.

AM : la philosophie, si vous voulez, c’est la partie immergée de l’iceberg qu’est la politique.

BC : c’est très réducteur, tout de même, carrément althussérien même, la théorie de la pratique.

AM : si vous pensez que la philosophie plane au dessus des eaux et n’a aucune incidence sur la politique. .. Il y aurait tout un débat à faire là dessus. Il n’y a pas de philosophie innocente.

J’espère que Monsieur Faye pourra me répondre. Nietzsche dit : « Parmi toute la racaille d’aujourd’hui, qu’est-ce que je hais le plus ? C’est la racaille socialiste. Les apôtres tchandalas.qui ruinent l’instinct des travailleurs, leur joie, leur contentement, qui les rendent envieux et leur enseignent la vengeance ». L’Antéchrist c’est écrit en 1890. Donc Monsieur Faye…

BC Attendez, attendez peut-être que Faye soit arrivé.

Simplement, pour résumer… C’est difficile de résumer votre bouquin, il est très brutal, il est très virulent, très véhément. En gros, Pour vous, le nietzschéisme, c’est le masque que se sont donné tous les ennemis du socialisme depuis que le socialisme est apparu en France, en gros, je caricature à peine votre pensée, pour vous, le nietzschéisme, c’est le masque qu’ils ont utilisé pour cacher leurs véritables intentions qui était celle de combattre le socialisme

AM : plus précisément je vois que dans le nietzschéisme dit de gauche basé sur le révisionnisme philosophique et dans le nietzschéisme de droite plus fidèle à l’original à mon sens, il y a un point commun, c’est la lutte contre le socialisme, la lutte contre le marxisme. Ce nietzschéisme de gauche vous l’avez brièvement rappelé, bien sûr il ressortit à certaines lectures de Bataille, de Camus, une lecture humaniste de Nietzsche qui déjà dans un sens était anti-marxiste, surtout le Camus de la fin qui s’élève violemment contre…


BC : le moins nietzschéen de tous, entre parenthèses, c’est une pierre dans votre jardin le Camus le plus nietzschéen, c’est quand même celui d’avant-guerre. Celui de l’homme révolté ne l’est plus du tout, il a abandonné la révolte au profit de l’humanisme.


AM : non, au contraire par rapport au mythe de Sisyphe l’homme révolté s’appesantit beaucoup sur Nietzsché et il s’en sert dans un point de vue… Pour Camus, Nietzsche combat les doctrines socialistes en tant que doctrines morales dans ce monde débarrassé de Dieu et des idoles morales, l’homme est solitaire et sans maître. Il va faire appel à l’individu contre la masse. Cette vision de l’individu… et là encore en tant que marxiste, je ne joue pas la masse contre l’individu, je sais la manière qu’on a de caricaturer Marx ici. Pour moi, c’est dans un système socialiste que l’individu peut s’épanouir, théoriquement.
Nietzsche combat les doctrines socialistes. Il va faire appel à l’invidu. La vision de l’individu qu’a Nietzsche est une vision croupion, une vision complètement biaisée de l’individu, une réduction à l’instinct, une réduction biologique, une réduction à la nature.

Je reprends sur cette généalogie, je n’aime pas ce terme sur ce parcours du nietzschéisme de gauche.

Vers 1968, un peu avant, il est préparé, le nietzschéisme de gauche se présente comme une critique de l’humanisme, là, c’est beaucoup plus intelligent, je pense à mon sens. C’est avec Deleuze qui fait un livre qui s’appelle Nietzsche et la philosophie, ce livre paraît en 1962. Il va y avoir ses collègues de Royaumont, le colloque de Cerisy, toute une renaissance de Nietzsche, il y a la parution des œuvres complètes, les fragments. Et Nietzsche va accéder au programme de l’agrégation de philo en 1970 pour ne plus en ressortir comme je vous l’ai annoncé.

On a l’impression, vu de loin, étant donné que c’était dans un contexte révolutionnaire, un contexte…

Il y a une formule que je n’aime pas : Nietzsche plus Marx plus Freud pour caractériser cette époque. Peut-être que certaines personnes le vivaient comme ça mais en tout cas les nietzschéens de l’époque, c’est quelque chose que je dis dans mon livre, étaient des anti-marxistes. Si vous voulez, dès le livre de Deleuze, Nietzsche et la philosophie, ce qu’il attaque, c’est la dialectique, la dialectique hégélienne, c’est-à-dire le ressort de Marx.

Je sais bien que quelqu’un comme Althusser aussi attaquait la conception de la dialectique chez Marx. C’est quelque chose qui aujourd’hui passe pour des vieilleries, plus personne n’y croit.


BC : je vais vous donner une information qu’on va partager, Aymeric Monville, Jean-Pierre Faye ne viendra pas. Il s’est trompé de jour.

On va avoir un autre adversaire, ne vous en faites pas, vous n’allez pas batailler dans le vide, on va vous opposer quelqu’un d’autre, un nietzschéen de gauche, maison, non des moindres, Raphaël Enthoven, plutôt de gauche, un jeune philosophe, qui est plutôt favorable aux thèses nietzschéennes, il a accepté... ça sera pas… Je suis désolé… C’est vraiment les problèmes du direct.

AM : ça ne me gène pas.


BC : ça sera un débat contradictoire, on prévient en même temps les auditeurs. Vous êtes là, c’est l’essentiel parce que c’est vous qui êtes l’auteur de ce bouquin. Vous n’avez pas en tête que Faye mais beaucoup d’autres, de Bataille à Onfray, vous allez nous expliquer ce que vous entendez par là.

Julie : en fait le nietzschéisme a été le masque d’un anti-marxisme. Il semble que dans votre livre vous allez un peu plus loin, c’est juste dit très rapidement. Vous dites : la philosophie de Nietzsche s’est développée dans l’ombre du principal mouvement de son temps, le socialisme. C’est ce qu’a montré Lukacs dans la destruction de la raison. C’est une thèse assez originale. Je voudrais en savoir un peu plus.

Est-ce qu’il ignore le socialisme ? Est-ce qu’il le combat ? Quelle est exactement la teneur de cette relation ? Ça n’a jamais été explicite.

AM : Nietzsche, le socialisme, il en voit les effets clairement avec la Commune de Paris on le sait, on a tous les témoignages, qui l’a particulièrement effrayé. Il y a un livre là-dessus Nietzsche et la Commune que je vous conseille.

Pour ce qui est du marxisme, de la pensée du mouvement ouvrier à cette époque même s’il y a d’autres courants, la pensée qui commençait à apparaître, je vous rappelle, en 1864, la première Internationale a été fondée. Ce marxisme commence à se faire ressentir mais Nietzsche n’en a pas une très grande connaissance de même que Nietzsche connaît assez mal les philosophes, c’est d’ailleurs un argument de Deleuze c’est d’essayer faire croire que Nietzsche répond point par point à Hegel. Il répond peut-être à des bribes d’hégélianisme qu’il entend, à une vulgarisation de l’hégélianisme qu’il a, il ne répond pas de façon….


Julie : il s’y intéresse ou il ne s’y intéresse pas ? C’est le sens de ma question.

AM : il le connaît mal. On peut le regretter. Il se construit contre le mouvement ouvrier. On peut citer ce passage du Gai savoir sur les ouvriers: « C’est une honte d’avoir fait une question ouvrière ». Pour montrer d’ailleurs à quel point il connaît mal l’économie. Il pense que c’est parce que la bourgeoisie de son temps est décadente, que ces gens là ont créé une question ouvrière. Il pense qu’il peut y répondre que ce n’est pas le mouvement ouvrier qui se développe par les contradictions du capitalisme, ses propres motu proprio si vous voulez. Il termine, vous savez très bien, c’est très célèbre, cet aphorisme : « quand on veut des esclaves, il est totalement fou de vouloir ’en faire des maîtres ». Il a une pensée complètement anti-ouvrière. Pour lui, simplement les ouvriers, c’est la masse, c’est la haine de la culture. C’est une vision de la culture totalement rétrograde, la culture comme commémoration du passé. Le mouvement ouvrier a montré qu’il pouvait développer ses propres formes de culture.

BC : Raphaël Enthoven, merci de remplacer au pied levé Jean-Pierre Faye dans le rôle du nietzschéen de service, du nietzschéen en gauche, merci beaucoup. Vous venez d’entendre des citations rassemblées ici par Aymeric Monville pour sa thèse, condamnant les nietzschéens de gauche comme étant essentiellement des gens qui veulent intervenir en réalité dans le champ politique et qui sont travestis en philosophes et dont l’ennemi acharné, c’est le socialisme naissant, c’est le mouvement ouvrier. Qu’avez-vous à répondre pour la défense du pauvre Frédéric ?

RE : c’est intéressant parce que je ne suis pas moi-même franchement un nietzschéen de gauche. Mais en même temps comme Nietzsche se contredit lui-même fréquemment et qu’il pense en permanence contre lui-même, la possibilité d’un nietzschéisme de gauche est pensable sous certaines réserves.

Il y a un point qui est incontestable, je crois que vous serez d’accord avec moi : Nietzsche déteste l’égalité. Il y voir le nivellement, il y voit le syndrome de Procus. C’est la raison pour laquelle il déteste la démocratie, le régime selon lui où on coupe les têtes qui dépassent. Donc Nietzsche, de ce point de vue, n’est ni démocrate ni de gauche.

Il ne l’était pas naturellement et il a pensé effectivement contre le socialisme, contre la démocratie.

Reste que il y a chez Nietzsche quelque chose qui est très intéressant, son individualisme. Et la façon dont il le conçoit Nietzsche n’est pas le penseur d’un individualisme au sens où on l’entend aujourd’hui, c'est-à-dire au sens grosso modo libéral du terme. Son système de pensée, son anti-système de pensée plutôt est compatible avec un individualisme que je qualifierais plutôt de libertaire. Il y a effectivement chez Nietzsche la possibilité à l’intérieur de ce tempérément aristocratique qui est la sien de concevoir un individu qui ne fait pas dans les ralations humaines et dans le rapport avec autrui le calcul de son intérêt mais qui donne sans compter, qui aime sans compter. Nietzsche est le penseur des natures généreuses. Ce faisant, il est compatible non pas avec une gauche systématique qui voudrait imposer l’égalité par le haut mais je crois qu’il est compatible avec une aspiration élémentaire qui est celle de la gauche qui est celle de la droite, l’exigence de générosité et l’aptitude à souffrir de douleurs qui nous sont épargnées. De ce point e vue, peut-être on peut tirer Nietzsche de ce côté-là. En tout cas, comme comme Nietzsche se contredit lui-même, ça n’est pas le contredire que de le faire.


AM : quand vous dites que Nietzsche est une nature généreuse je ne sais pas sur quel critère vous vous basez. Moi, ce que je vois, en lisant Nietzsche, moi je fais sans doute une lecture trop littérale, je ne crois pas.

Lorsqu’il dit dans l’Antéchrist : « Périssent les faibles et les ratés. Premier principe de notre amour des hommes et qu’on les aide à disparaître ».
Crépuscule des idoles : « — Le malade est un parasite de la Société. Arrivé à un certain état il est inconvenant de vivre plus longtemps. L'obstination à végéter lâchement, esclave des médecins et des pratiques médicales, après que l'on a perdu le sens de la vie, le droit à la vie, devrait entraîner, de la part de la Société, un mépris profond. »

Quand on sait comment Nietzsche a fini, si on l’avait suivi, il aurait fallu le mettre à mort.

RE : précisément, je crois qu’il y a une erreur philologique majeure.à exhumer une phrase de Nietzsche pour la lui opposer sur toute la durée de son système. C’est méconnaître une dimension essentielle du nietzschéisme qui est de se considérer lui-même comme la première victime des attaques qu’il porte. Nietzsche est trop compliqué pour être identifié comme le penseur de la droite, ou le penseur de la gauche. On peut dire que le nietzschéisme de gauche parfois, sous certains aspects, est caricatural. Ce n’est pas parce que Nietzsche a dit périssent les faibles et les ratés. Je vous signale que le faible et les ratés , il ne faut pas entendre dans ce terme ce qu’on entend aujourd’hui. Ce sont des significations très différentes, c’est l’homme de pouvoir. C’est l’homme qui vérifie dans le pouvoir qui est le sien la puissance qui lui fait défaut ou l’être qui lui fait défaut… Quand il parle des faibles et de ratés…

AM : je suis désolé que vous soyez arrivé en retard, je comprends le problème. La vision des tchandalas et des juifs, je montre bien qu’une lecture complète, il faudrait la faire. Je demande qu’on fasse une lecture complète. On ne peut pas dire que ce sont les baladins, les jongleurs, comme le dit par exemple Monsieur Faye. La vision qu’il a est proprement négative.

RE :je vais vous demander...

AM : laissez-moi répondre. Je demande qu’on fasse une lecture complète, globale évidemment, on n’a pas forcément le temps de la faire ici.
Quand vous dites que c’est une nature généreuse, il ne me semble pas.

Je voudrais vraiment vous répondre. Quand vous dites « on peut tout à fait utiliser Nietzsche d’une manière ou d’une autre ». Je n’interdis à personne le droit de lire Nietzsche et de l’étudier, d’en faire ses choux gras, ça ne me gène absolument pas. Ce que je pointe néanmoins dans mon livre, c’est qu’il y a ce que j’appelle le nietzschéisme de gauche qui est une philosophie qui s’est créée de façon très cohérente contre le marxisme, contre le socialisme qui poursuivait le combar de Nietzsche contre le socialisme simplement en atténuant les passages qui pouvaient trop choquer certaines oreilles après la guerre et les massacres que l’on sait.

RE mais là, vous avez historiquement raison, c’est incontestable, tout à fait. Ceux qui combattaient le marxisme en se servant de Nietzsche justement pour le lancer à la figure de Marx comme de tout système qui comme vous savez étaient pour Nietzsche l’indice d’un manque de probité, tous ceux qui brandissaient Nietzsche pour le lancer à la figure des systèmes de toutes espèces hégélianisme, marxisme tout ceux qui faisaient ça pouvaient légitimement être tenus pour de gauche et sincèrement, profondément.

Il n’est pas douteux que Michel Onfray soit nietzschéen et qu’il soit de gauche.


AM : je voudrais qu’on parle de sa manière à Michel Onfray d’être de gauche.


RE : ou d’être nietzschéen.

AM : quand Michel Onfray dit que le capitalisme est un mode de production de richesses par la propriété privée , le libéralisme une modalité de la répartition par un marché libre, Il conclue, on peut donc être, ce qui est mon cas, antilibéral et défenseur du capitalisme. Moi, ça m’interroge, cette phrase au moins en tant que marxiste.

Il se présente donc comme pro-capitaliste et antilibéral. Pour lui, il y a un mode production qui est le capitalisme et le libéralisme, une modalité de la répartition par le marché libre. Le libéralisme, ce n’est pas ça. Le libéralisme c’est une théorie de l’échange, pas une théorie de la répartition. Le libéralisme, c’est se préoccuper de savoir si une offre rencontre une demande dans un marché et comment…
La question de la répartition est complètement secondaire.

Prétendre comme Michel Onfray qu’on pourrait changer la répartition sans changer le mode de production, la question de la répartition ne serait pas liée au mode de production… de ce point de vue là, je considère que c’est une aberration. C’est l’erreur de beaucoup de réformistes.


BC : je précise Michel a été invité à cette émission, qu’il n’a pas donné suite. On a très peu de chance avec les nietzschéens de gauche.

RE : permettez-moi de me faire l’avocat de Michel Onfray, quand michel Onfray dit qu’il est capitaliste et antilibéral, c’est le même homme qui en l’occurrence croit à la lutte des classes comme il croit au bien et au mal, qui en même temps n’a pas renoncé à une existence tournée vers le plaisir et vers la quête d’une individualité magnifique et qui comme le disait Jaurès marche sur les cimes. La figure de l’anarque chez Michel Onfray est une figure très intéressante et très importante. Michel Onfray fait le pari qu’on peut croire à la fois à la lutte des classes et être tourné vers l’individu. Etre l’ami du singulier et de l’individu. On peut trouver ça incohérent quand on est marxiste mais on peut aussi lui trouver le mérite de porter avec lui des contradictions et un système dont la diversité fait également la richesse.

AM : je peux vous répondre là-dessus.

RE : il y a un point, quand vous parlez d’une lecture complète globale exhaustive, c’est un contre-sens. Moi, je ne conseille à personne de le faire, voillà. Parce qu’une lecture complète exhaustive de Nietzsche c’est un contre-sens.

AM : pourquoi ?

RE : parce que Nietzsche collectionne les aphorismes. On ne juxtapose pas les étincelles, pas plus que les aphorismes. Ce n’est pas un système, précisément, voilà.

AM : je pense que c’est l’exigence même de la raison que d’essayer de voir ce qui est cohérent chez Nietzsche malgré Nietzsche.

Je vous rappelle même que Marx en analysant le système de Spinoza disait : la cohérence que Spinoza a voulu donner à son système, elle n’est même pas forcément dans son système elle est peut-être ailleurs, c’est à nous de la trouver. C’est le travail de la raison contre le confusionnisme de tous bords.

Pour répondre à Monsieur Enthoven, lorsqu’il dit Michel Onfray croit à la lutte des classes, oui , c’est bien ça le problème. Si c’est de l’ordre de la croyance et pas de l’analyse concrète, ça ne m’intéresse pas.
Je ne pense pas forcément qu’il emploierait ce terme

RE : je vous garantis qu’il l’emploie , il l’écrit, il le dit

AM : d’un côté, il parle de la lutte des classes, d’un autre côté, il défend un hédonisme, comme si justement par la lutte des classes on rehausserait un hédonisme. Le seule chose que je dis, à propos de l’hédonisme de Michel Onfray c’est que vouloir tout en conservant ce mode de production capitalisme de propriété des moyens de production des richesses, prôner cet hédonisme participe d’une malhonnêteté intellectuelle au sens où on sait très bien que dans le capitalisme cet hédonisme là se fait au détriment d’un autre. Qu’on nous dise qui jouit de qui et de quoi. Là on passe dans la politique et là Michel Onfray est nettement moins disert.

BC Jean-Paul…

RE : moi c’est Raphaël, (c’est le tréma qui m’ensorcelle, dans le prénom de Raphaël), Brice Couturier, Jean-Paul n’est que mon père,. Vouloir mettre un nietzschéen en contradiction avec lui-même est en soi contradictoire précisément en ce qu’il est nietzschéen.
Il me semble que de ce point e vue, si vous faites une analyse marxiste de Nietzsche… Je n’ai pas lu votre livre, Monsieur. Si vous faites une analyse marxiste de Nietzsche, de ce point de vue appliquer une grille d’intelligibilité qui prétend, c’est son droit, à l’exhaustivité, qui prétend saturer l’horizon de la compréhension ou de l’intelligence de quelque chose à un philosophe comme Nietzsche procède d’un malentendu de départ qui fait que quand on veut mettre un nietzschéen en contradiction avec lui-même, c’est peut-être le cas au regard de la raison c’est faire peu de cas que Nietzsche lui-même était misologue et que la question de la raison lui importait assez peu. comme la question de la vérité d’ailleurs. C’est un homme qui préférait le masque à la vérité, qui tenait la vérité pour un mensonge supérieur au mensonge lui-même. Cet esprit subtil qui est celui de Nietzsche, cet esprit merveilleux dont certains qu’ils soient de gauche d’extrême de gauche, de droite, d’extrême droite sont les héritiers parfois cohérents, parfois non, cet esprit subtil je crois est hermétique à une analyse systématique ou exhaustive de sa pensée.

Vous savez… Raymond Aron en mai 68 disait : quand c’est trop bête, je renonce à comprendre. En l’occurrence, c’est la phrase la plus bête que Raymond ait jamais dite, probablement. Il n’y a pas lieu, il n’y a jamais lieu de renoncer à comprendre et en particulier quand ça déjoue la raison.

AM : excusez-moi, la raison n’est jamais déjouée, je suis dans cette tradition. ..

RE : vous dites la raison n’est jamais déjouée

AM : non, je crois pas. Le rationnel est réel, le réel est rationnel.

RE : qu’est-ce que vous faites de l’éthique de conviction ? Qu’est ce que vous faites de tout ça ?

AM : laissez-moi parler. Un individu ne peut pas posséder la rationalité à lui tout seul, ça, c’est évident, c’est une mauvaise interprétation de Hegel pour dire Hegel totalitaire, c’est pas du tout ça. C’est le réel qui est rationnal, le rationnel qui est réel. Nietzsche a une cohérence interne malgré lui, ça, il faut l’analyser. Nous proposons des clefs d’analyse.
Quand vous parlez de Nietzsche misologue, vous savez qu’il y a toute cette puissance universitaire en France qui fait que Nietzsche est sept fois à l’agrég de philo quand Marx n’y est pas. Est-ce qu’on a raison de porter au pinacle un philosophe, plutôt un penseur voilà qui n’obéit même pas au principe de cohérence formulé déjà depuis Socrate.

RE : lui-même refusait qu’on le qualifie de philosophe, il serait ravi de vous entendre.

AM : de ce côté-là, je demande qu’on rende justice à Nietzsche aussi.
Quand il dit dans Zarathoustra : "je suis fatigué de tous les poètes qui troublent leurs eaux afin qu’elles paraissent profondes", j’y vois un écho, on dirait qu’il parle des nietzschéens de gauche, tous ces confusionnistes là.. Nietzsche est un penseur absolument pas hypocrite, absolument pas sournois. De ce point de vue là, je lui reconnais ce mérite. Est-il un philosophe ? Accepte-t-il cette exigence minimum du discours socratique ? Qu’est-ce que demande Socrate ? Une morale qui soit en cohérence avec un savoir. C’est le principe de la philosophie. Quand on est en dehors de ça, on est dans la pensée, on est si vous voulez, peut-être dans l’art, vous avez sans doute raison d’aimer ça, pourquoi pas ? C’est votre droit, on n’est pas dans la philosophie, on est en dehors de toutes ces catégories.

Le retour de Nietzsche, justement aujourd’hui a plusieurs fonctions, parce que ça permet :
• la dépréciation de l’entendement et de la raison
• le primat de l’émotionnel et de l’intuitif sur le rationnel.
• on pourrait ajouter aussi une pensée différentialiste, interprétation ethniciste des phénomènes sociaux, en géopolitique.
• le recours aux mythes à défaut de l’analyse concrète d’une situation concrète.
• une forme de pseudo aristocratisme, une fuite dans une…

RE : qu’est-ce que vous appelez pseudo aristocratisme. Qu’est-ce que c’est un aristocrate chez Nietzsche?

AM justement…

RE : C’est pas une interro mais enfin quand même. (c’est pas une interro, mais ça y ressemble. Il se sent en position de force, il croit tenir sa proie, il mitraille). Faut employer les mots précisément. Qu’est-ce que c’est un aristocrate chez Nietzsche ? Qu’est-ce qu’il appelle la noblesse ? Qu’est-ce qu’il entend par noblesse, selon vous ? En quel sens l’entendez –vous. Est-ce que vous donnez une réponse de classe ?

AM : Nietzsche demande la création de nouvelle caste pour diriger l’Europe.

RE : est-ce que vous pensez que c’est l’argent, le critère, en l’occurrence , le puissance sociale ? Qu’est-ce qu’il entend par cela ?

AM : l’aristocratie n’est pas basée sur l’argent

BC : (privant Aymeric de la possibilité de s’expliquer) apparemment, vous ne parlez pas la même langue.

AM : Nietzsche cherche clairement à créer une nouvelle aristocratie. Il dit : je suis un décadent qui cherche une nouvelle aristocratie, qui cherche à la fonder. Dans le Gai Savoir, il demande un ordre nouveau, un nouvel esclavage, lorsqu’il dit, donc…

BC : (coupe arbitrairement) : je vous signale qu’il est 17h30, qu’on est sur France Culture dans un état de confusion extrême puisqu’on on avait organisé un débat Aymeric Monville traducteur et directeur d’une collection d’ouvrages marxistes qui vient de sortir un pamphlet qui s’appelle misère du nietzschisme de gauche de Georges Bataille à Michel Onfray et au pied levé Raphaël Enthoven qui passait par là parce qu’il est producteur à France Culture a accepté de prendre la place de Jean-Pierre Faye qui s’est trompé de jour.

Je voudrais qu’on recentre le débat sur quelque chose que vous avez évoqué tout à l’heure, Aymeric Monville, pour le refuser, cette fameuse triade Marx, Nietzsche, Freud qui formait effectivement le panthéon de la philosophie à l’époque de ce qu’on appelait la philosophie du soupçon dans les années soixante, soixante-dix.

Vous dites qu’ils n’avaient pas de point commun. Mais moi je trouve qu’ils en avaient plusieurs. D’abord le fameux soupçon porté sur le discours de vérité lui-même. On disait toujours « qui parle à travers celui qui parle. Au nom de quels intérêts, de quelles passions s’expriment-ils ? Qu’est-ce qui se dit à travers de ce qu’il dit ? » On a souvent souligné le caractère non naturel de cette trilogie ; je pense qu’il y avait quelques passerelles en particulier entre ces différents penseurs et en particulier entre les deux que vous opposez, Marx et Nietzsche puisque c’est au nom du marxisme que vous attaquez le nietzschéisme de gauche. Je pense en particulier au discrédit du droit. Le droit qui est une mascarade à la fois chez Nietzsche, et un rideau de fumée chez Marx. Le droit qui n’est que le travestissement d’un pur rapport de force dans les deux cas une espèce d’hypocrisie brandie par les classes dominantes chez les marxistes, pour graver provisoirement les maximes qui garantissent leur domination quitte à être remplacés par d’autres au fur et à mesure que d’autres classes sociales arriveront au pouvoir. Pour les deux courants, le droit est une mystification destinée à aveugler les dominés sur la réalité du rapport de force. Je ne l’invente pas, J’ai trouvé ça chez Luc Ferry pour être tout à fait honnête. Il faut reconnaître que donc il y avait une cohérence. Est-ce que vous en êtes conscient ?

AM : oui, parfaitement

BC : une pierre dans votre jardin

AM : merci et puis de toutes façons il est évident qu’on peut trouver dans la boue nietzschéenne quelques perles.

RE ; (choqué ou faussement choqué) : la boue nietzschéenne ?

AM : excusez moi, Il y a des phrases qui sont complètement nazies.

RE : des phrases nazies ?

AM : ben oui, sur l’eugénisme, je ne vais pas vous en sortir. Sur la brute blonde qui fonde toutes les races aristocratiques. Il demande dans ecce homo la destruction impitoyable de tout ce qui présente des caractères dégénérés, parasitaires.

RE (quelque peu méprisant) : dégénéré, pour Nietzsche, c’est l’homme de pouvoir, Monsieur. Si vous dites que Nietzsche est nazi, c’est comme si vous disiez que Marx est stalinien.

AM : Pourquoi cette analogie, je ne comprends pas ?

RE : Parce que ni l’un ni l’autre ne peuvent assumer un héritage. Marx est plus proche du stalinisme que Nietzsche du nazisme, c’est ça, la vérité en l’occurrence.

Ce qui se passe avec Marx, Nietzsche et Freud qui sont les philosophes du soupçon c’est qu’ils ont un ancêtre commun qui est Spinoza et une idée commune qui est que la liberté ou le libre-arbitre n’est que l’illusion, l’ignorance des causes réelles qui nous font agir.

AM : ouais

RE : permettez-moi. C’est le cas chez Marx qui considère que quand on croit agir librement, en fait, c’est la vie qui détermine la conscience.
C’est le cas chez Nietzsche qui dit que la volonté n’est en fait que l’agrégat des pulsions qui nous traversent.
C’est le cas chez Freud naturellement l’inventeur et le promoteur de la notion d’inconscient.
Ce sont trois analystes critiques de la liberté, de la vérité également, c’est ce qu’on appelle les généalogistes. Il y a en l’occurrence des points communs, une grande différence entre Nietzsche et Marx et Freud, Nietzsche n’a pas justement cet esprit systématique qui vaudra à Marx et à Freud de construire des systèmes donc Karl Popper dira plus tard qu’ils ont le tort de d’être hermétiques à la possibilité d’être réfutés, ce qui était le cas quand vous disiez tout réel est rationnel, on ne peut pas vous donner tort, on peut seulement dire qu’on n’est pas d’accord avec vous.

AM : je le reconnais parfaitement. Ces passerelles juste pour répondre à Monsieur Couturier, les passerelles entre Nietzsche et Marx, vous avez parfaitement le droit d’en faire. Ce sera forcément dans un rapport critique, d’une manière ou d’une autre. Pareil pour Freud et Marx. Je vais vous donner un exemple qui me vient à l’esprit : un philosophe de grande importance, Michel Clouscard a fait une analyse qui me semble intéressante de Freud, en marxiste, il a dit qu’il existe un inconscient à l’inconscient freudien, c’est la praxis. Vous replacez Freud dans une perspective marxiste.

BC : c’est le soupçon porté sur le soupçon, finalement.

AM : Voilà, c’est comme ça que la pensée critique évolue. Pour ce qui est des rapports entre marxisme et stalinisme, tout le monde voit bien en quoi il y avait distorsion. Il y a un livre qui est paru en Allemagne qui s’appelle Ontologie de l’être social de Georges Lukacs dont je vais faire une traduction prochainement, je publie la première partie les prolégomènes, qui montre véritablement comment il y a pu avoir cette distorsion.

BC : vous me tendez une perche. Je vous disais qu’il y avait des passerelles entre Marx et Nietzsche. J’en vois Une deuxième, c’est le statut ambigu du concept de vérité chez Nietzsche et chez Marx. Dans les deux cas vous avez affaire à quelqu’un qui vous dit qu’il n’y a pas de vérité ultime, que la vérité c’est ce qui est scientifique mais c’est aussi ce qui est issue de l’idéologie du prolétariat lui-même.

Dans les deux cas également on a un soupçon porté sur l’idée de vérité dont nous souffrons encore aujourd’hui les conséquences. J’aimerais bien avoir l’avis de Raphaël Enthoven.

AM : excusez-moi, je connais la question, je vais d’abord répondre. Marx est quand même d’abord un penseur scientifique, il a une conception scientifique là aussi vous pouvez ne pas être d’accord avec lui. Il oppose l’idéologie à la science.

BC : c’est Althusser, je ne trouve pas ça chez Marx, je ne suis pas d’accord.

AM : vous avez une drôle de culture. La conception qu’il a de la science…

BC : le prolétariat a une position épistémologique privilégiée dans le système marxiste. Ah oui !

AM : qu’il accomplit la philosophie vous faites référence à ce genre de phrase.

BC : non, non, la construction de la vérité elle-même procède de la vision qu’a le prolétariat dans le déroulement de l’histoire universelle.
Le prolétariat est un acteur…

AM : c’est une conception sujectiviste de Marx que vous trouvez Chez le jeune Lukacs, par exemple.

BC : votre idole.

AM : je crois qu’il y a une différence entre le jeune Lukacs et le Lukacs de la maturité.

RE : chez Nietzsche, la question de la vérité c’est tout à fait intéressant.
C’est ce qui fait justement de Nietzsche une antidote à ceux qui s’en réclament comme à ceux qui le dénoncent. Nietzsche considère pour le dire très rapidement que la vérité est une idole, est une idole qu’il faut abattre comme les autres que c’est une idole à laquelle il convient renoncer et que être un chercheur de connaissance, aimer le savoir, chercher à comprendre le monde, c’est remettre la vérité à sa place c’est ne pas être en être l’esclave. C’est ne pas être inféodé à ce qu’il appelle l’idole de la vérité.

Nietzsche est plus le penseur d’une certaine forme de la sincérité, sincérité qui implique la possibilité de se contredire mais qui implique également le sentiment que la vérité est un mensonge comme les autres parmi lesquels il incluait. .. Il y a un passage très intéressant le Gai Savoir j’en ai la réminiscence, c’est le chapitre 357
Qu’est-ce qui est allemand ? C’est un passage très intéressant. Dans lequel Nietzsche reconnaît à Hegel le mérite d’avoir fait descendre le ciel des idées sur la terre.
Il reconnaît à Schopenhauer d’avoir été du côté de la profondeur
Il reconnaît à Leibniz d’avoir inventé l’inconscient
À Kant, d’autres mérites. C’est un passage où Nietzsche rend hommage à ce qu’il combat d’habitude. Et quand il fait cela, Nietzsche montre surtout que tout philosophe est comptable de l’interprétation nouvelle qu’on lui propose et qu’en définitive, finalement, la philosophie, j’allais dire est une question d’épiderme, une question d’humeur, une question d’instant, qu’elle devient véritablement sérieuse à ce prix. C’est-à-dire que l’identification exorbitante du réel et du rationnel qui est celle de Hegel cette identité exorbitante qui sature l’horizon de la pensée, Nietzche précisément la disloque, la brise par une subjectivité qui n’est pas aliénable pour parler le langage des marxistes à la façon d’ailleurs dont Bergson pourra le faire ensuite à sa suite. Et je crois que de ce point de vue, il y a une fécondité de la pensée nietzschéenne qui invite non pas à reproduire quelque chose mais qui invite à inventer précisément quelque chose.

AM : vous avez dit qui brise cette conception du réel. Vous faites écho je pense à une certaine conception de Foucault lorsqu’il dit Platon, Spinoza, les philosophes du XVIIIe, Hegel tout ça passe par nietzsche et cependant par rapport à la philosophie Il y a chez Nietzsche par rapport à la philosophie une rugosité, une rusticité, une extériorité, une espèce de paisaré ( ?) qui permet d’un coup d’épaule sans que ça soit aucunement ridicule, à voir, de dire avec une force qu’on ne peut pas éviter … allez, tout ça baliverne ce débat (c’est de la philosophie) implique nécessairement pareille désinvolture. Ce n’est pas en restant dans la philosophie en la raffinant au maximum, ce n’est pas en contournant avec son propre discours qu’on en sortira, non. C’est en lui opposant une espèce de bêtise, une sorte d’éclat de rire incompréhensif…

Laissez-moi terminer, je cite Foucault, au moins. Une sorte d’éclat de rire incompréhensible qui finalement comprend oui, il casse plutôt qu’il ne comprend. J’ai envie de dire : chacun ses goûts.
.
BC : je voudrais reprendre la parole parce que, une chose importante du débat qu’on devait avoir avec Jean-Pierre Faye, c’était le nietzschéisme des années soixante et soixante-dix. Or La figure centrale de ce nietzschéisme, c’était Foucault . Il est bien évident que par ricochet, ce que vous attaquiez, dans votre livre, Aymeric Monville, c’est Foucault. Or là aussi on a quelque chose qui est important, la réduction de la politique au pur pouvoir, à ses stratégies, à son déploiement, à son extension infinie qui est au centre de l’œuvre de Foucault et qui est bien entendu basé sur une idée nietzschéenne, c’est l’idée la volonté de puissance. Or Comme l’a écrit Vincent Descombes dans le livre que je cirtaos tout à l’heure en introduction Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens le manifeste d’une d’une génération de philosophes d’un humanisme troublé par les philosophies du soupçon je cite Vincent Descombes mais depuis quand le domaine politique pourrait-il être défini par la détermination des rapports de force et là, on a aussi quelque chose d’important parce que le marxisme n’est pas indemne de ce reproche. Vous voyez, toutes mes critiques vont dans le même sens, pour vous mettre dans le même sac finalement, Aymeric Monville, que ceux que vous dénoncez. Finalement J’essaye de montrer qu’il y a une espèce cohérence entre ce nietzschéisme contre lequel vous combattez au nom des positions lukacsiennes, en tant que déploiement d’un irrationalisme, on peut vous suivre et c’est pour ça qu’il est très intéressant et très important que vous ayez republié dans une nouvelle traduction, un extrait de ce livre introuvable de Lukacs, qui a été écrit pendant la guerre, un petit peu après, La destruction de la raison et qui montrait à quel point les intellectuels marxistes avaient besoin de se rassurer en se disant qu’il y avait des lois de l’histoire, une constance, une régulation, une régularité dans le déroulement historique qui contredisait la folie irrationaliste du déploiement de la volonté de puissance nazie.

Mais néanmoins je fais quand même observer qu’entre ce que vous attaquez et ce que vous défendez, un espèce de marxisme assez orthodoxe excusez-moi du terme, il y a quand même quelques passerelles qui sont celles que Ferry et Renaut avaient pointé dans la pensée de 68.

AM : l’erreur à mon avis de Ferry-Renaut dans leur conception de base, c’est un humanisme non-social qui se fait une idée... Moi aussi, je suis un humanisme, au sens… Je demande que ça soit une vision complète donc sociale, globale historique de l’être humain.

BC : pourquoi bégueule alors? Pour les caractérisez, vous dites bégueule. Pourquoi bégueule ? , bégueule, bégueule…

AM : non, parce que si vous voulez cette critique de soixante huit du point de vue de droite, qui est à peu près la seule autorisée. Je vous rappelle qu’on ne parle jamais de Michel Clouscard, le seul philosophe, un des rares philosophes marxistes à avoir fait une critique de gauche de 68, attention, dans ses aspects les moins défendables. Parce que dix millions d’ouvriers dans la rue ça, c’ était très important

BC : Clouscard est un auteur remarquable, incontournable, bien connu, Je me battrai pour qu’il le soit davantage avec vous … Le premier à avoir identifié l’idéologie libérale libertaire et avant Marc Lila, bien avant et en avoir fait une critique d’un point de vue marxiste, bon.

AM : je voudrais vous répondre sur bégueule, pourquoi je dis que c’est une critique bégueule, parce qu’elle s’appuie sur le côté attention, n’allez pas trop loin sur le plaisir, sur l’hédonisme. Je pense aussi à Jean-Claude Guillebaud, c’est un peu son point de vue. Clouscard, il ne dit absolument pas ça, il dit même le contraire. Il dit on a réduit la liberté complète, globale, qui s’exprime socialement, historiquement qui se conquiert en l’expression d’un désir lui-même complètement idéologisé et ce désir là, on l’a réduit au marché et c’est pour ça qu’il donne cette formulation de 68 qui à mon avis est éclairante : tout est permis mais rien n’est possible. Après mai 68, la fin, c’est quand même la fin, disons c’est le déclin des deux force de résistance que sont le gaullisme et le communisme…

BC rigolant : gaullisme et communisme ?

AM : une nouvelle société se met en place. Une société qui est toujours répressive sur le producteur, qui se prétend, qui l’est d’ailleurs permissive pour le consommateur. Encore, qui consomme quoi, qui jouit de quoi, c’est la question que je pose à Michel Onfray. Qui jouit de quoi ?

RE : Sur cette question de Nietzsche, de gauche et par rapport éventuellement à mai 68, On ne peut pas tout dire et n’importe quoi sur Nietzsche,et en l’occurrence l’idée qu’il se faite du maître par exemple, ce qu’on a appelé la volonté de puissance.

AM : excusez-moi, on ne peut pas tout dire et n’importe quoi, c’est exactement ce que dit Derrida.

RE : merci de me donner raison en citant Derrida. Précisément, lui-même était expert d’ailleurs en cette matière.

Pour en revenir à Nietzsche, la question de la maîtrise, la position du maître, la position d’un homme qui est l’esclave du pouvoir qu’il exerce c’est une position qui quoi n’est pas très originale, qu’il emprunte à Rousseau qui parlait de domination servile. Vous avez chez Nietzsche de quoi déconstruire l’idée d’une puissance ou d’une domination exercée par un homme sur un autre homme. Nietzsche est corrosif à l’attention de tous ceux qui pratiquent l’exploitation de l’homme par un autre homme et on peut s’en servir de cette manière là. Il y a un usage de Nietzsche qui est celui-là.

Que Nietzsche n’ait pas été de gauche, c’est incontestable.
Que Nietzsche ait eu un tempérament conservateur c’est inconstable.
Qu’il n’ait pas été antisémite, c’est incontestable également comme le démontre Jean-Pierre Faye.

Néanmoins être fidèle à Nietzsche, je vous renvois à un très beau texte de Michel Onfray sur Nietzsche, il dit qu’être fidèle à Nietzsche, ça n’est pas être nietzschéen, être antidémocrate . Ce n’est pas être un peu, je ne sais pas, bipolaire, cyclothymique, ce n’est pas prendre Nietzsche à la lettre. Etre nietzschéen, c’est s’appliquer à soi-même ce qu’il conseillait à ses rares élèves c’est cette phrase toute simple qui est : n’aie cure de n’être fidèle qu’à toi-même et tu m’auras suivi. Et cette phrase est parfaitement exploitable par une gauche qui certes n’est pas marxiste, qui est même résolument anti-marxiste mais qui est incontestablement de gauche. N’aie cure de n’être fidèle qu’à toi-même et tu m’auras suivi.
J’attire votre attention sur la possibilité d’être de gauche sans être marxiste. Il me semble que c’est la question qu’on doit vous poser.

AM : je vous réponds sur cette probité de Nietzsche dont vous avez fait mention. Par rapport à son attitude mise en doute de la vérité. Il me semble que l’esprit même scientifique qui est apparu il y a cinq siècles en Occident de manière très forte , le porte en lui. Cet esprit scientifique donne beaucoup plus de garanties que Nietzsche.

BC, un peu paternaliste : je ne vous comprends pas, Aymeric Monville, on vient de vous tendre une perche. Je trouve que vous auriez dû vous engouffrer dedans. « N’aie garde de n’être fidèle qu’à toi-même », c’est exactement ce que dénonce Clouscard dans l’idée de l’hédonisme post-sixante huitard, que Boltanski reprend aujourd’hui à nouveau, vous auriez du vous engouffrer là-dedans. Finalement, c’est exactement ce que vous dénoncez, c’est-à-dire la dérive d’un capitalisme hédoniste qui se déploie avec une merchandisation de la totalité de la vie quotidienne et coetera. C’est des thèses qui étaient dans Clouscard en 1969. Donc vous avez raison d’être antinietzschéen, dans votre logique.

AM : ma thèse n’est pas que les nietzschéen de gauche n’ont pas le droit de l’être, c’est qu’il ne le sont pas pour rien. Ils le sont par antimarxisme, par antisocialisme. Avec leur idéologie… Elle mène à la sape de tous les fondamentaux pas forcément du mouvement ouvrier mais des fondamentaux de la République.

BC : sauf qu’il y a un socialisme nietzschéen avec Georges Sorrel que vous ne citez jamais.

AM : Sorrel, ça débouche sur la pensée fasciste

BC : peut-être mais il y a eu un socialisme nietzschéen et Sorrel en a été l’incarnation.

RE : Georges Palente…

AM : Palente, ce qui m’amuse en lisant le livre de Michel Onfray sur Palente, qu’il nous présente comme nietzschéen de gauche, c’est quelqu’un qui était pour Clémenceau, qui mettait en cause les syndicats, la possibilité même de l’ organisation des partis ouvriers, l’organisation de classe des ouvriers.

BC : en fait un peu archéo.

AM : non, écoutez, le marxisme, je vais vous le dire, c’est une idée neuve en Europe. Ça a deux siècles. Le libéralisme en a quatre.

BC : le nietzschéisme, beaucoup plus récent

RE : surtout le marxisme bientôt, quand les dernières dictatures qui s’en réclament auront disparu ne sera plus comptable de ses incarnations et par conséquent se donnera à tout le monde comme une idéologie d’avenir, ça, c’est incontestable, je vous rend raison sur ce point.

AM : je vais juste terminer sur le nietzschéisme de gauche, il sape
• la possibilité d’une action collective
• le principe de l’égalité entre tous les hommes, égalité au moins républicains
• l’Idée de progrès fondé sur la raison, on a déjà eu de débat.
C’est ça que je reproche au nietzschéisme de gauche, je ne leur reproche pas d’être ce qu’ils sont.

BC : les derniers mots pour Raphaël Enthoven.
Raphaël, Peut-on être nietzschéen de gauche, oui ou non ?

RE : écoutez, la meilleure preuve qu’on peut être nietzschéen de gauche c’est qu’il y a d’incontestables nietzschéens qui sont de gauche je ne suis pas sûr qu’on soit nietzschéen au détriment du sentiment d’être de gauche ni de gauche au détriment D’être nietzschéen. D’ailleurs Nietzsche lui-même enseigne qu’on peut tenir et porter justement des discours
qui peut-être sonnent contradictoires et qui ne le sont pas forcément, en tout cas, ce qui est certain c’est qu’être nietzschéen de gauche, c’est être anti-marxiste, ça, c’est incontestable. C’est qu’il livre là des ferments qui soit par le biais de l’anarchie ou d’un tempérament libertaire principalement, donnent à la gauche les moyens de briser l’emprise considérable et systématique que le marxisme exerce sur les consciences et encore aujourd’hui cette espèce d’emprise morale qu’on sent sur les consciences fussent-elles anti-marxistes. Le nietzschéisme de gauche donne les moyens de briser, me semble-t-il ce qui relève d’une chape de plomb et de ce point de vue, il a ses vertus, en tout cas, il permet le débat,
alors qu’en face il y a un système qui ne s’expose jamais à la possibilité d’être réfuté, ce que Nietzsche enseigne , apprend à chacune de ses pages, En se contredisant, d’ailleurs.

BC : Aymeric Monville, une phrase de conclusion.

AM : face à cette réfutation mondaine du marxisme je ne peux qu’inciter les auditeurs à aller le lire.

RE : pourquoi mondaine ? pourquoi, en quel sens l’employez-vous ?.

AM : franchement vous avez une conception du marxisme…
Quand vous dites que le marxisme … (inaudible) la subjectivité, l’individualité, c’est complètemt faux, absolument faux.

BC : on en restera là pour aujourd’hui. Je remercie énormément Raphaël Enthoven d’être venu sans notes, sans manteau dans ce studio pour remplacer au pied levé Jean-Pierre Faye qui s’était trompé de jour. Je rappelle quand même. Que Jean-Pierre Faye est l’auteur de le vrai Nietzsche, guerre à la guerre.
Je vous remerncie d’avoir mis en circulation une œuvre introuvable de Georges Lukacs, la destruction de la raison.

Julie un peu confuse: je n’ai pas beaucoup pris la parole, je n’ai un peu renoncé à comprendre ce qui est déjà bien.

T’excuse pas, Julie, une émission où tu n’as pas dit grand-chose, ce n’est pas forcément si mal.










 
dom

01/05/2007
20:31
re : Peut-on être nietzschéen de gauche?

AM : excusez-moi, je connais la question, je vais d’abord répondre. Marx est quand même d’abord un penseur scientifique, il a une conception scientifique là aussi vous pouvez ne pas être d’accord avec lui. Il oppose l’idéologie à la science.

ah!la je capte pas, la scientologie peut etre ?
bravo Henry joli travail, mais en quoi on avance de savoir dans qui a été quoi, la politique se mele de philosophie c'est pour paraitre plus intelligente?
 
Henry Faÿ

02/05/2007
07:44
rien appris, rien compris

Quand il dit que Marx oppose l'idéologie à la science, Aymeric Monville ne manque pas d'un certain culot qui frise l'inconscience, on dirait qu'il n'a rien compris, rien appris. L'apport de Marx à la science économique est certes important, mais il a allègrement mélangé analyse et prophétie. Toutes ses prévisions ont été démenties. Ses adeptes l'ont largement suivi dans cette attitude qui consiste à mettre des considérations idéologiques sous les habits de la science, ils l'ont fait avec constance et jusqu'à l'absurde, les dogmes pseudo-scientifiques ont longtemps eu la vie dure, ça ne leur a guère réussi, le maigre score de Marie-Georges Buffet en est une lointaine et peut-être ultime conséquence. Quand on voit un jeune marxiste poursuivre dans cette voie sans issue, on a l'impression d'assister à l'éternel retour, thème nietzschéen.

 
dom

02/05/2007
20:44
re : Peut-on être nietzschéen de gauche?

le probleme, Henry c'est que je ne comprends rien a ce qu'il raconte, et que si toi l'instruit tu peux relever la faille et contredire,moi je coupe le poste pour ne plus écouter quelque chose qu'on ne peut pas m'expliquer.

mais j'ai enfin compris ce a quoi pensait une vache en regardant passer un train /
AM : je voudrais vous répondre sur bégueule, pourquoi je dis que c’est une critique bégueule, parce qu’elle s’appuie sur le côté attention, n’allez pas trop loin sur le plaisir, sur l’hédonisme. Je pense aussi à Jean-Claude Guillebaud, c’est un peu son point de vue. Clouscard, il ne dit absolument pas ça, il dit même le contraire. Il dit on a réduit la liberté complète, globale, qui s’exprime socialement, historiquement qui se conquiert en l’expression d’un désir lui-même complètement idéologisé et ce désir là, on l’a réduit au marché et c’est pour ça qu’il donne cette formulation de 68 qui à mon avis est éclairante : tout est permis mais rien n’est possible. Après mai 68, la fin, c’est quand même la fin, disons c’est le déclin des deux force de résistance que sont le gaullisme et le communisme…

Henry, je vais etre un peu trivial, mais si ce type formule de la même maniere lors des preliminaires, il y a de grande chance qu'il tache son slip, d'autant que l'auteur est figé dans un espace temps tres limité, petite vision particulierement egocentrique, on apprend rien et on ne comprend rien.

 
Henry Faÿ

03/05/2007
03:34
la candeur du point de vue marxiste rétro


Oui, pour comprendre ça, il faut entrer dans la vision du monde assez particulière des marxistes dont il n'est pas difficile de deviner que celui qui avait la parole ce jour là a vraisemblablement voté pour Marie-Georges Buffet, vision selon laquelle les fruits du capitalisme aussi séduisants soient-ils en apparence sont empoisonnés, pour qui la liberté, la vraie ne se trouvera que dans ce socialisme qu'ils continuent d'appeler de leurs voeux, c'est pourquoi ils critiquent l'hédonisme que défend Michel Onfray, je dois dire que même si mon point de vue est radicalement différent du leur, je le ferais aussi, à mon avis, prôner l'hédonisme dans une société qui ne connaît rien d'autre n'a strictement aucun intérêt, c'est aller dans le sens du poil, j'espère être à peu près clair.

On peut dans cet échange sur le nietzschéisme de gauche mis en musique par Brice Couturier critiquer la candeur du point de vue marxiste rétro d'Aymeric Monville mais le jeune philosophe n'a pas dit que des idioties et il a fort bien lu Nietzsche, sa lecture de Nietzsche rejoint tout à fait celle du tout petit lecteur que je suis, elle me paraît parfaitement honnête, en revanche, la vision édulcorée et idéalisée de Nietzsche qu'a présentée avec fougue Raphaël Enthoven est elle une sorte de fiction que je ne trouve ni fidèle ni honnête, comme a dit Aymeric Monville, il faudrait prendre la peine d'examiner et d'analyser les textes avec soin sans chercher à leur faire dire ce qu'ils ne disent pas et ce faisant les assertions fantaisistes de Raphaël Enthoven ainsi que celles de Jean-Pierre Faye ne trouveraient invalidées.


 
edmond

28/05/2007
11:05
re : Peut-on être nietzschéen de gauche?

Bravo Henri pour le précieux travail de transcription de cette émission.

1/ Best of de l’émission :
Raphaël Enthoven le 31/01/2007 à 17h20 : « Nietzsche est le penseur des natures généreuses. »
Aymeric Monville citant Nietzsche le 31/01/2007 à 17h22 : « Périssent les faibles et les ratés. Premier principe de notre amour des hommes et qu’on les aide à disparaître »

2/ Par contre je ne trouve pas la position d’Aymeric Monville rétro mais étonnamment moderne :
En effet, c’est au contraire la bourgeoisie qui entrave la marche de la science en l’arrêtant au seul positivisme, celui qui permet via la technique de faire marcher ses usines (et c’est déjà il est vrai un progrès par rapport à la féodalité qui elle-même fut progressiste à ses débuts puisqu’elle permit la mise en valeur agricole du territoire par le déboisement…) et en refusant toute extension de la science à la société (la bourgeoisie relève le pont-levis : la science n’ira pas plus loin, et pour cause… : si l’extorsion de la plus-value est reconnue, les privilèges sautent), produisant à la place, la pensée irrationnelle appropriée à chaque époque pour stopper le progressisme, l’hégélianisme, le marxisme, leur faire concurrence, les neutraliser et c’est alors : Schelling, Schopenhauer, Nietzsche, la philosophie de la « vie », Bergson, Heidegger, le surréalisme, la psychanalyse, l’existentialisme, le structuralisme, Deleuze, Foucault, l’empirisme (Bourdieu) ou le formalisme (Baudrillard) sociologique, Onfray, etc. comme l’ont montré Lukacs, Politzer, Clouscard et d’autres comme Aymeric Monville.
C’est le capitalisme qui est un combat d’arrière-garde. Il a usé jusqu’à la corde toutes les ficelles irrationnelles pour perdurer (saignées patriotiques, antisémitisme, fascisme, idéologie du désir, Le Pen et Harlem Désir, Jack Lang, Bernard Kouchner, l’écologie) et doit sans cesse se renouveler ou réchauffer des vieilles recettes, proposer des combinaisons inédites de ces vieilles lunes (voir les changements sur France Culture ou la récente « Grande Rupture de Nicoléon » remake éventé du « Grand Changement de Giscard » en 1974)…

Si on fait du marxisme à la louche, on peut avancer que Marx, irrigué par son prédécesseur Hegel, indique que le sens de l’histoire pointe vers la régression de l’extorsion de la plus-value : anthropophagie -> esclavage -> servage -> salariat. Cette tendance est irréfutable. Au constat de cette séquence, Marx ne fait qu’apposer le dernier maillon : la société sans classe.
Sur un forum internet du paléolithique, des « progressistes esclavagistes » se seraient vus rétorquer pour les réfuter, que l’anthropophagie a toujours existé.
Sur un forum internet de l’antiquité tardive, des progressistes féodaux se seraient vus rétorquer pour réfuter le servage comme une utopie, que l’esclavage a toujours existé.
Sur un forum internet médiéval, des bourgeois progressistes se seraient vus rétorquer pour réfuter le salariat comme une utopie, que le servage a toujours existé.
Etc., etc.
Le discours d’Aymeric Monville n’est donc pas rétro mais progressiste et s’inscrit dans le sens de l’histoire de l’humanité.

 
dom

28/05/2007
13:46
re : Peut-on être nietzschéen de gauche?

anthropophagie -> esclavage -> servage -> salariat->

et apres l'automation, je crains que la vision de l'homme sans la machine n'est pas imputable a un systeme, mais a une évolution qui est visible parout mais dont personne ne parle, quelque soit le systeme il engendre une économie cette économie va vers ce qui est le plus rentable, l'homme esclave salarié n'etant plus forcement le centre de cette économie
 
Henry Faÿ

29/05/2007
16:36
les joyeusetés du marxisme rétro


<<Bravo Henri pour le précieux travail de transcription de cette émission.

1/ Best of de l’émission :
Raphaël Enthoven le 31/01/2007 à 17h20 : « Nietzsche est le penseur des natures généreuses.>>

Oui, Nietzsche penseur des natures généreuses, ça fera doucement rigoler ceux qui ont pris la peine de lire l’auteur… Il dit que les âmes nobles doivent pratiquer l’égoïsme et ailleurs que l’altruisme, ce n’est pas bien du tout. C’est très facile à retrouver dans les éditions munies d’un index.

<<Aymeric Monville citant Nietzsche le 31/01/2007 à 17h22 : « Périssent les faibles et les ratés. Premier principe de notre amour des hommes et qu’on les aide à disparaître »>>

Oui, j’ai vraiment l’impression que le sémillant Raphaël Enthoven n’a pas lu Nietzsche, alors que Monville l’a lu très attentivement, je lui rend hommage sur ce point, c’était sa force dans le débat.


<<2/ Par contre je ne trouve pas la position d’Aymeric Monville rétro mais étonnamment moderne :
En effet, c’est au contraire la bourgeoisie qui entrave la marche de la science en l’arrêtant au seul positivisme,>>

Étrange, très étrange proposition. Il y a fort longtemps que la bourgeoisie a largué le positivisme qui n’a jamais été défendu que par un très petit segment de cette classe sociale. Je ne suis pas sûr que la bourgeoisie soit une catégorie pertinente s’il s’agit de philosophie.

<<celui qui permet via la technique de faire marcher ses usines (et c’est déjà il est vrai un progrès par rapport à la féodalité qui elle-même fut progressiste à ses débuts puisqu’elle permit la mise en valeur agricole du territoire par le déboisement…) et en refusant toute extension de la science à la société>>

Refus de toute extension de la science à la société, ça voudrait dire qu’il n’y a pas de sciences sociales, mais c’est tout le contraire, dans notre société « bourgeoise », les sciences sociales se portent plutôt bien, merci pour elles. Aux Etats-Unis, elles se portent encore mieux.


<< la bourgeoisie relève le pont-levis : la science n’ira pas plus loin, et pour cause… : si l’extorsion de la plus-value est reconnue, les privilèges sautent),>>

Ce qui voudrait dire que si on reconnaissait l’extorsion de la plus-value, il n’y aurait plus de privilèges. Mais c’est le délire le plus total, c’est se payer de mots, c’est du abracadabra, c’est le comble de la naïveté ! Il y a eu des tonnes et des tonnes d’études sur cette fantomatique plus-value, elles ont rarement convaincu en dehors des adeptes de l’idéologie marxiste et elles n’ont pas fait sauter les privilèges. Pour ce qui est des profits, ils sont bien reconnus, il y en a qui en font l’éloge sans le moindre complexe.


<<produisant à la place, la pensée irrationnelle appropriée à chaque époque pour stopper le progressisme, l’hégélianisme, le marxisme, leur faire concurrence, les neutraliser et c’est alors : Schelling, Schopenhauer, Nietzsche, la philosophie de la « vie », Bergson, Heidegger, le surréalisme, la psychanalyse, l’existentialisme, le structuralisme, Deleuze, Foucault, l’empirisme (Bourdieu) ou le formalisme (Baudrillard) sociologique, Onfray, etc. comme l’ont montré Lukacs, Politzer, Clouscard et d’autres comme Aymeric Monville.>>

C’est quand même assez ahurissant. Parce ce que cette fameuse plus-value n’aurait pas assez bien reconnue, en dépit de la somme colossale d’études qui lui ont été consacrées et qu’on peut toujours consulter dans les bibliothèques, nous aurions eu tous ces méchants irrationalistes, à divers titres je suppose, Schelling, Schopenhauer, Nietzsche, la philosophie de la « vie », Bergson, Heidegger, le surréalisme, la psychanalyse, l’existentialisme, le structuralisme, Deleuze, Foucault, l’empirisme (Bourdieu) ou le formalisme (Baudrillard) sociologique, Onfray, etc. Bigre ! Si on veut se faire bien voir de ces marxistes orthodoxes et maintenu, on n’a pas intérêt à trop spéculer. Si on considère que tout n’est pas à jeter dans cette étonnante liste qui va de Schelling à Onfray, on peut se dire que le mépris de cette fantomatique plus-value a produit de belles choses, mais c’est si peu sérieux que mieux vaut ne pas trop en discuter.


<<C’est le capitalisme qui est un combat d’arrière-garde. Il a usé jusqu’à la corde toutes les ficelles irrationnelles pour perdurer (saignées patriotiques, antisémitisme, fascisme, idéologie du désir, Le Pen et Harlem Désir, Jack Lang, Bernard Kouchner, l’écologie) et doit sans cesse se renouveler ou réchauffer des vieilles recettes, proposer des combinaisons inédites de ces vieilles lunes (voir les changements sur France Culture ou la récente « Grande Rupture de Nicoléon » remake éventé du « Grand Changement de Giscard » en 1974)…>>


Et le grand amalgame, de plus en plus délirant, continue. Le capitalisme en plein désarroi aurait inventé pour assurer sa survie (i) les saignées patriotiques, (ii) l’antisémitisme, (iii)le fascisme, (iv) l’idéologie du désir ( !), (v) Le Pen, (vi) Harlem Désir, (vii) Jack Lang, (viii) Bernard Kouchner, (ix) l’écologie, (x) les changements sur France Culture (xi) la récente « Grande Rupture de Nicoléon ». Il en a des ressources, ce capitalisme ! Je ne sais pas s’il a échappé à l’auteur du message que depuis la chute du mur de Berlin, le capitalisme n’a plus d’ennemi, que le capitalisme a pris toute la place, que ce n’est même plus une catégorie, sauf pour quelques nostalgiques, qu’on n’en parle plus guère, on emploie un euphémisme économie de marché, mais personne ne saurait dire au juste à quoi ressemblerait une économie qui ne serait pas de marché.


<<Si on fait du marxisme à la louche, on peut avancer que Marx, irrigué par son prédécesseur Hegel, indique que le sens de l’histoire pointe vers la régression de l’extorsion de la plus-value : anthropophagie -> esclavage -> servage -> salariat.>>

À la louche, pour le marxisme ou ce qu’il en reste, je l’espère. Cette notion de sens de l’histoire, hautement suspecte et empreinte de religiosité, elle est ce qu’il y a de moins rationnel dans le marxisme.

<< Cette tendance est irréfutable.>>
Ah bon ?

<< Au constat de cette séquence, Marx ne fait qu’apposer le dernier maillon : la société sans classe.>>
Et sur quelles bases rationnelles ?

<<Sur un forum internet du paléolithique, des « progressistes esclavagistes » se seraient vus rétorquer pour les réfuter, que l’anthropophagie a toujours existé.
Sur un forum internet de l’antiquité tardive, des progressistes féodaux se seraient vus rétorquer pour réfuter le servage comme une utopie, que l’esclavage a toujours existé.
Sur un forum internet médiéval, des bourgeois progressistes se seraient vus rétorquer pour réfuter le salariat comme une utopie, que le servage a toujours existé.
Etc., etc.>>

Comme si le salariat était une abomination, alors qu’il y a des centaines et des centaines d’humains, parlez-en un peu aux naufragés de la Mer Méditerranée, qui voudraient à tout prix entrer dans le salariat. L’abolition du salariat, aussi urgente que l’abolition de l’anthropophagie, du servage, de l’esclavage, on en parlera plus tard.


<<Le discours d’Aymeric Monville n’est donc pas rétro mais progressiste et s’inscrit dans le sens de l’histoire de l’humanité.>>

Rétro, parce qu’il recycle avec candeur une idéologie qui a fait des centaines de millions de victimes, qui a fait lamentablement faillite et dont il ne reste quelques débris (voyez, par exemple le score de Marie-Georges Buffet aux dernières élections). Le sens de l’histoire de l’humanité n’est pas une notion rationnelle, c’est une notion pseudo-religieuse.

S'il le faut, je repasse au forum bleu



 
edmond

04/08/2007
14:06
re : Peut-on être nietzschéen de gauche?

Comme le nietzschéisme de gauche a repris ses quartiers d’été sur France Culture, réactivons donc ce fil.

Quelques objections donc (desquelles la problématique de la casse de France Culture n’est pas absente) aux objections ci-dessus :

1/ La prétendue innocence des sciences sociales :
[[« Refus de toute extension de la science à la société, ça voudrait dire qu’il n’y a pas de sciences sociales, mais c’est tout le contraire, dans notre société « bourgeoise », les sciences sociales se portent plutôt bien, merci pour elles. Aux Etats-Unis, elles se portent encore mieux. »]] […]
[[« Ce qui voudrait dire que si on reconnaissait l’extorsion de la plus-value, il n’y aurait plus de privilèges. Mais c’est le délire le plus total, c’est se payer de mots, c’est du abracadabra, c’est le comble de la naïveté ! Il y a eu des tonnes et des tonnes d’études sur cette fantomatique plus-value »]]
Faisons un détour explicatif par France Culture. Notre frottement (de bientôt 8 ans) à la dégradation de cette radio de service public culturelle nous a permis de dégager quelques points dont nous avons une connaissance sinon totale, du moins très approfondie. Appelons cette dégradation programmée, ce hold-up fait aux auditeurs, l’extorsion du sens et notre état consécutif d’auditeur floué, l’aliénation de l’auditeur.
Mais d’autres instances prétendent aussi ou ont prétendu à une connaissance des changements sur France Culture, en se réclamant d’une approche scientifique ou d’un travail d’experts. Ainsi des études médiamètriques biaisées (ne prenant en compte que le passage de l’auditeur sur la chaîne et non le temps qu’il y reste), des rapports de commande orientés (rapport Ténèze), des enquêtes bidonnées (enquêtes de l’AFC qui s’occupaient en 2000 de calculer l’âge moyen de l’auditeur et la couleur de la chemise du capitaine quand alors il y avait le feu au château France Culture).
Appelons reconnaissance, notre connaissance d’auditeur, enrichie de toutes les déterminations vécues de l’intérieur par rapport à cette radio. Et appelons connaissance formelle (ou morte) cette connaissance « scientifique » amputée de toutes ces déterminations.
Quelqu’un d’extérieur à la radio, qui connaît un peu France Culture comme tout le monde mais n’en ai pas un auditeur, se fiera à ces études « scientifiques », à ces rapports d’experts et il n’ira pas plus loin. Et face à quelqu’un qui lui parlera de l’extorsion du sens sur France Culture depuis 8 ans, il lui rétorquera qu’il y a eu « des tonnes et des tonnes d’études », de rapports d’experts sur ces changements, sur cette « fantomatique » extorsion du sens… Il illustrera parfaitement ce que dit Hegel : « Tout ce qui est bien connu en général, justement parce qu’il est bien connu, n’est pas connu ».
Reconnaître l’aliénation de l’auditeur de France Culture, au contraire, ce serait que le débat contradictoire soit instauré, organisé librement dans la presse, à l’antenne de France Culture sur les bienfaits ou non des changements de la chaîne. Nul doute alors que ces changements n’y survivraient pas tellement la contradiction apportée par les auditeurs serait tsunamique et emporterait tous les arguments vides et mondains qui ont prévalu et cautionné ces changements. L’audience du procès de Lubrina en fut une parfaite illustration : ces gens-là ont besoin d’interdire tout débat contradictoire pour se conserver et ceci de plus en plus (verrouillages médiatiques de plus en plus complets comme on l’a vu récemment pour affermer aussi Rue89 et Libération). Ouvrons une parenthèse à ce sujet car je crois que ça n’a pas été dit : aucun membre du personnel de Radio France n’est venu à ce procès pour leur témoigner leur soutien, ce qui est quand même très révélateur de leur solitude pour faire ce boulot de casse. Toute la salle était acquise à Lubrina. Fermons la parenthèse.
On est dans le même cas de figure pour l’extorsion de la plus-value organisatrice de l’aliénation de l’homme en régime capitaliste. En effet, cette distinction entre connaître et reconnaître, opératoire donc au niveau très local de France Culture, l’est à fortiori bien plus (les enjeux étant bien plus grands) au niveau global de l’aliénation de l’homme en régime capitaliste. Les sciences sociales y ont pour fonction de neutraliser la reconnaissance de l’extorsion de la plus-value comme organisatrice de l’aliénation de l’homme, par des études formelles ou fragmentantes, tout comme les études médiamètriques biaisées, les rapports Ténèze orientés, les enquêtes bidonnées de l’AFC ont pour fonction de masquer l’extorsion de sens sur France Culture génératrice de l’aliénation de l’auditeur.
De la même manière, reconnaître l’aliénation de l’homme consécutive à l’extorsion de la plus-value, ce serait faire en sorte que le débat contradictoire soit instauré, organisé dans la presse, les sciences, à la radio sur la redistribution effective des fruits du travail à ceux qui l’ont effectivement produit et sur le fait que ceux-ci puissent décider de leur consommation et non pas subir la consommation abêtissante, aliénante imposée par le capitalisme. De tels moments se produisent à des moments de l’histoire de France et ils aboutissent à des avancées qui vont tendanciellement dans ce sens d’une reconnaissance critique de l’extorsion de la plus-value et d’un recul consécutif des privilèges (1789, le CNR à la Libération, les accords de Grenelle, etc.) même si ces avancées sont regagnées, regrignotées après par la réaction, etc.

2/ La prétendue innocence idéologique du capitalisme :
[[« Et le grand amalgame, de plus en plus délirant, continue. Le capitalisme en plein désarroi aurait inventé pour assurer sa survie (i) les saignées patriotiques, (ii) l’antisémitisme, (iii)le fascisme, (iv) l’idéologie du désir ( !), (v) Le Pen, (vi) Harlem Désir, (vii) Jack Lang, (viii) Bernard Kouchner, (ix) l’écologie, (x) les changements sur France Culture (xi) la récente « Grande Rupture de Nicoléon ». Il en a des ressources, ce capitalisme ! »]]
Là encore, pour un enjeu infiniment moins important, à savoir la persistance d’une radio de service public culturelle de qualité comme France Culture, on a vu avec quelle force, le brouillage idéologique a été organisé. Personne ne jugera délirant, je pense, d’en rappeler les opérateurs : actuocentrisme, jeunisme, entrisme journalistique, promotionisme culturel, magazinisme, etc. Alors a fortiori, pour un enjeu bien plus important que France Culture, à savoir la reconnaissance de l’extorsion de la plus-value comme organisatrice de l’aliénation de l’homme, il est encore moins délirant de poser la nécessaire existence d’un brouillage idéologique. Les opérateurs n’en sont plus alors l’actuocentrisme, le jeunisme, l’entrisme journalistique, le promotionisme culturel, le magazinisme mais sont des opérateurs d’un autre ordre (philosophique) : négation de l’histoire, négation de la production, négation de la dialectique. Ces grandes catégories philosophiques du brouillage idéologique se redistribuent alors, en se recombinant entre elles au besoin, pour aboutir à des concrétisations sociétales idéologiques neutralisantes effectivement comme le surréalisme, la psychanalyse, l’antisémitisme, le fascisme, l’existentialisme, le structuralisme, l’idéologie du désir, Le Pen et Harlem Désir, Jack Lang, Bernard Kouchner, l’écologie, le dénigrement de la transmission des savoirs, etc.

3/ [[« Je ne suis pas sûr que la bourgeoisie soit une catégorie pertinente s’il s’agit de philosophie. »]]
Non, la bourgeoisie n’est pas une catégorie philosophique : c’est une catégorie sociale qui instrumentalise des catégories philosophiques (exemples : Nietzsche, Onfray et tous les autres) pour se conserver. « Les idées de la classe dominante sont toujours les idées dominantes. (…) La classe qui dispose des moyens de production matérielle dispose donc en même temps, des moyens de production intellectuelle, si bien qu’à celle-ci se trouvent globalement assujetties les idées de ceux qui manquent des moyens de production intellectuelle. » Marx.

4/ Le sens de l’histoire :
[[« Cette notion de sens de l’histoire, hautement suspecte et empreinte de religiosité »]] […] [[« Le sens de l’histoire de l’humanité n’est pas une notion rationnelle, c’est une notion pseudo-religieuse. »]]
Je pense au contraire que c’est la notion d’ « histoire sans sens » qui est empreinte de religiosité. Les religions animistes adoptent plutôt le temps circulaire comme « vision du monde », calée sur la circularité immuable des saisons, le temps dont on ne sort pas, l’Eternel Retour. Cette notion est récupérée par toute la pensée réactionnaire de la négation de l’histoire, car ce qui est visé par cette posture idéologique de critique du « sens de l’histoire », c’est la notion de progrès (social s’entend) pour lui retirer toute légitimité philosophique.
C’est d’abord les monothéismes, c’est vrai, qui marquent clairement un sens qui nous arrache justement à cette circularité, aux diktats de la nature, qui nous arrachent à… cette religiosité. En cela entre autres ils pointent un progrès même s’ils ne sont qu’un moment de ce progrès. Les monothéismes sont l’antichambre du socialisme et Nietzsche les stigmatisera de la même manière que le socialisme (morales d’esclaves).
Par ailleurs, s’il n’y avait pas de sens à l’histoire, c’est qu’elle serait soit un chaos stochastique, une entropie généralisée, soit une pure circularité. Or tout le dément. On pourrait enchaîner de multiples séquences qui illustrent le contraire, telles que :
Empereur tyran (Pharaon, Chine)-> Noblesse féodale->Bourgeoisie->Communisme
Animisme->Polythéisme->Monothéisme->Athéis me
Oralité->Ecriture hiéroglyphique->Ecriture alphabétique
Anthropophagie->Esclavage->Servage->Salariat
Cheval->Train->Avion
Papyrus->Codex->Livre imprimé->Internet
Etc., etc.
Et puis d’ailleurs, ce qui fonde l’homme par rapport aux animaux, c’est bien d’être un être téléologique : il a la capacité de se fixer des buts, de se projeter mentalement dans l’avenir afin de planifier l’exploitation de la nature, ce qui lui a donné l’avantage sélectif que l’on sait sur les animaux. Le sens est donc dès le départ chevillé à l’homme, que çà soit pour son histoire personnelle comme pour son histoire collective. Vouloir l’en séparer sous prétexte de connotation de religiosité est par conséquent au mieux absurde, à moins de vouloir prôner la régression à la bête.

 
pierre

04/08/2007
17:16
re : Peut-on être nietzschéen de gauche?

à Edmond
Bravo! Enfin autre chose que la moraline actuelle qui pourrait bien vous faire détester la démocratie!
Petite citation :
L’homme tel qu’il est représente une valeur très supérieure à celle de l’homme tel qu’il « devrait être » pour satisfaire à n’importe lequel des idéals antérieurs ; c’est que tous les desiderata imposés à l’homme ont toujours été d’absurdes et dangereuses chimères, par le moyen desquelles une certaine sorte d’hommes tâchaient d’ériger en loi pour toute l’humanité les conditions propices à sa propre existence et sa propre croissance ; c’est que toute formule, en arrivant à prédominer, a rabaissé la valeur de l’homme, diminué sa force, ses certitudes d’avenir ; c’est que la misère et l’indigence spirituelle de l’homme ne se révèle jamais mieux, même de nos jours, que dans ce qui fait l’objet de ses vœux ; c’est que l’aptitude à créer des valeurs a été jusqu’à présent trop peu développée pour que l’on puisse juger équitablement de ce qui est la valeur réelle et non pas simplement « désirable » de l’homme ; c’est que l’idéal, jusqu’à présent, a été la véritable force de dénigrement appliquée au monde et à l’homme, le gaz méphitique répandu sur la réalité, la grande tentation du néant...
Je vous le donne en mille... c'est Friedrich Nietzsche

 
Henry Faÿ

06/08/2007
08:03
si on voulait la mort définitive de France Culture

Si vraiment on voulait la mort définitive de France Culture, il n'y aurait qu'à mettre à l'antenne ce catéchisme marxiste, ce charabia hors d'âge du genre "l’extorsion de la plus-value organisatrice de l’aliénation de l’homme en régime capitaliste" ou les "concrétisations sociétales idéologiques neutralisantes effectivement comme le surréalisme, la psychanalyse, l’antisémitisme" etc., ces amalgames d'une naïveté confondante entre des enquêtes éventuellement contestables aux objectifs limités et un vaste complot visant à détourner l'auditeur de sa raconnaissance de l'extorsion de la plus value capitaliste, je vois qu'il n'y a pas que Michel Onfray qui traîne derrière lui des billevesées qu'on croyait définitivement périmées.


 
pierre

07/08/2007
22:39
re : Peut-on être nietzschéen de gauche?

Pas de réponse à la citation de Nietzsche, qui dit pourtant quelque chose du même genre?
"tous les desiderata imposés à l’homme ont toujours été d’absurdes et dangereuses chimères, par le moyen desquelles une certaine sorte d’hommes tâchaient d’ériger en loi pour toute l’humanité les conditions propices à sa propre existence et sa propre croissance"
Ce ne serait donc plus vrai aujourd'hui?
"la misère et l’indigence spirituelle de l’homme ne se révèle jamais mieux, même de nos jours, que dans ce qui fait l’objet de ses vœux"
Et ça non plus?

 
edmond

08/08/2007
15:53
re : Peut-on être nietzschéen de gauche?

A Pierre :
Bravo pour vos contributions :
« Ils sont ainsi parvenus à mettre en place des choses comme la limitation de la durée du travail, les congés payés, la sécu, les services publics, etc. (à grand renfort de morts, faut-il le rapeler?). » […] « Ce vaste mouvement historique a toujours été associé à un aussi vaste mouvement d'éducation (l'école obligatoire, les universités populaires, le travail du PC, dont il reste des traces à Aubervilliers par exemple, etc.). France Culture était d'ailleurs dans cette ligne à sa création (l'élitisme pour tous cher à Villar et bien d'autres), et c'est précisément la raison d'être de ce forum (en principe) que de défendre cette position, si toutefois il reste encore quelque chose à défendre. » […] « Le fait est que ça a commencé à porter ses fruits mais que brutalement les forces dont ce n'est en rien l'intérêt (l'école c'est juste bon à former des presse-boutons performants, aujourd'hui c'est en passe d'être vrai aussi pour l'université...) ont repris le dessus. Et la machine fait marche arrière toutes! »

Par contre votre citation ci-dessus de Nietzsche me semble aller contre ce que vous dites très justement dans ces contributions. Cette citation m’a semblé aussi aller contre ce que je disais un peu plus haut et que vous sembliez agréer, si bien que je me suis demandé si vous la citiez de manière apologétique ou critique.
En effet, si on la découpe un peu en tranches :

[[« L’homme tel qu’il est représente une valeur très supérieure à celle de l’homme tel qu’il « devrait être » pour satisfaire à n’importe lequel des idéals antérieurs ; »]]

Une apologie donc de « l’homme tel qu’il est » contre « l’homme tel qu’il ‘devrait être’ ». Ceci renvoie à mon avis à une exaltation du spontanéisme, à un refus du sens, du progrès humain, qui contribue à faire le lit théorique de toutes les idéologies de la négation de l’histoire (le progrès social y est invalidé philosophiquement). Par ailleurs, par rapport à ce que vous disiez sur la déroute de notre éducation, ce passage contredit aussi, je pense, vos justes préoccupations puisqu’il pourrait contribuer à valider des slogans tels que « c’est à l’enfant de construire lui-même ses propres savoirs » comme avec Allègre, Jospin (et consort) et autres inepties pseudo pédagogiques qui tuent la transmission des savoirs.

[[« c’est que tous les desiderata imposés à l’homme ont toujours été d’absurdes et dangereuses chimères, par le moyen desquelles une certaine sorte d’hommes tâchaient d’ériger en loi pour toute l’humanité les conditions propices à sa propre existence et sa propre croissance ; « ]]

De la même manière, sans ces « desiderata imposés à l’homme », on risque fort avec cette invitation de Nietzsche à la table rase de ne fabriquer que des « enfants sauvages » : soit des petites oranges mécaniques dépolitisées soit une main d’œuvre hypermalléable désyndicalisée.

[[« c’est que toute formule, en arrivant à prédominer, a rabaissé la valeur de l’homme, diminué sa force, ses certitudes d’avenir ; »]]

Une fois n’est pas coutume, citons de mémoire Onfray, entendu récemment sur France Culture. Ouvrons une parenthèse, à ce propos : comme le signale Henry j’ai l’impression qu’il change un peu en ce moment, qu’il se repositionne. J’ai été très étonné de ne pas l’entendre pourfendre Rousseau et « Le Contrat Social » que je l’avais entendu (au moins en ce qui concerne Rousseau) critiquer les années précédentes. Peut-être que comme le rappelle Henry, la lecture d’ouvrages comme « Misère du nietzschéisme de gauche » d’Aymeric Monville qui le prennent indirectement à parti contribue-t-il à cette recomposition que je détecte aussi un peu. Encore un effort Michel pour être républicain ! Fermons la parenthèse. Néanmoins quand il dit de manière critique que la métaphore de « la main invisible » d’Adam Smith, çà veut philosophiquement dire « qu’il ne faut pas que l’homme intervienne, qu’il faut laisser faire la nature », il a bien raison. Et que dit Nietzsche dans l’extrait cité plus haut sinon ceci qu’il ne faut qu’aucune « formule arrive à prédominer », c'est-à-dire « qu’il ne faut pas que l’homme intervienne, qu’il faut laisser faire la nature ». Il est tout à fait à l’unisson de cette idéologie de la main invisible (de la concurrence libre et non faussée : aucune intervention de formules coercitives au niveau économique et par contre intervention répressive pour ceux qui dérogeraient à cette injonction) qui casse « la limitation de la durée du travail, les congés payés, la sécu, les services publics, etc. ».

[[ « c’est que la misère et l’indigence spirituelle de l’homme ne se révèle jamais mieux, même de nos jours, que dans ce qui fait l’objet de ses vœux ; c’est que l’aptitude à créer des valeurs a été jusqu’à présent trop peu développée pour que l’on puisse juger équitablement de ce qui est la valeur réelle et non pas simplement « désirable » de l’homme ; c’est que l’idéal, jusqu’à présent, a été la véritable force de dénigrement appliquée au monde et à l’homme, le gaz méphitique répandu sur la réalité, la grande tentation du néant... »]]

Nietzsche est, je pense, effectivement un tueur de sens. Songeons à l’Eternel Retour, temps circulaire qui boucle à l’infini sur lui-même. Songeons à son parti pris en général pour Dionysos et les instincts contre Apollon et la raison. Songeons que le stade suprême de ses trois métamorphoses est l’enfant qui dit oui au tragique, oui à tout, à tous les sens donc à aucun (cruauté décomplexée pour le maître et résignation absolue pour l’esclave à la manière des intouchables en Inde) qu’il place au-dessus du stade du lion, c'est-à-dire du révolté pour qui le sens a du sens, pour qui donc le progrès existe ! Tout ce dispositif philosophique comme l’a montré Lukacs s’inscrit dans une réaction philosophique consistant entre autre en une négation de l’histoire pour faire pièce au marxisme montant et à la montée des partis ouvriers de masse au XIXe et XXe siècle.
Les trois points que je citais dans un autre fil pour Onfray se retrouvent d’ailleurs chez Nietzsche :
- Promoteurs de l’atomisation sociale : les deux sont individualistes forcenés.
- Philosophies de la résignation : promotion de l’ataraxie individuelle à travers les philosophies hellénistiques pour Onfray. Le grand oui à la vie, au tragique pour Nietzsche.
- Grands pourfendeurs de l’universalisme tous les deux (platonisme, christianisme, hégélianisme, marxisme).
Ces trois points (non exhaustifs) étant des mesures d’accompagnement du capitalisme.

 
pierre

08/08/2007
21:22
re : Peut-on être nietzschéen de gauche?

A Edmond
Je ne sais que répondre.
Il me semble que Nietzsche travaille en permanence sur plusieurs registres, et qu'on peut le lire de diverses manières (pas toujours très heureuses).
Ainsi « l'homme tel qu'il est ». De quoi s'agit-il? Dans certains cas, le « surhomme », assurément. « Deviens qui tu es » écrit-il à Lou Salomé, en évoquant les cimes où ils pourraient se rejoindre (il a toujours aussi un côté poétique, au sens le plus fort du terme, ce qui ne simplifie pas la lecture).
Ici, associé au « même de nos jours » un peu plus loin, qui situe son propos dans le contemporain (ce qu'il voit autour de lui), l’homme tel qu’il « devrait être » pour satisfaire à n’importe lequel des idéals antérieurs me paraît se référer à ses contemporains. Autrement dit, il me semble qu'il observe tout simplement que l'homme vaut mieux qu'un bon chrétien, qu'un joyeux consommateur, etc. (pardon pour l'anachronisme, quoique...). En tous cas, je ne vois pas là l'apologie du spontanéisme.
La suite est dans la même logique, si on la lit bien:
tous les desiderata imposés à l’homme ont toujours été d’absurdes et dangereuses chimères, par le moyen desquelles une certaine sorte d’hommes tâchaient d’ériger en loi pour toute l’humanité les conditions propices à sa propre existence et sa propre croissance
Il me semble qu'il ne fait pas allusion à une quelconque loi qui permettrait aux hommes de coexister harmonieusement (par exemple), mais bien à un conditionnement des hommes (« les desiderata imposés », et l'on sait les moyens utilisés aujourd'hui à cette fin) pour qu'ils restent dans une position aliénée, ce qui est mis à profit par « une certaine sorte d'hommes » (tous les pouvoirs l'ont toujours fait).
Et encore:
la misère et l’indigence spirituelle de l’homme ne se révèle jamais mieux, même de nos jours, que dans ce qui fait l’objet de ses vœux
Toujours à cause du « même de nos jours », il parle encore de ses contemporains. Et que désirent-ils? Devenir riches, acheter un 16x9 pour regarder le match (les ventes ont explosé lors de la coupe du monde!), une bagnole plus grosse que celle du voisin, le dernier portable-photo-télé-rasoir-électrique, etc. Je cite au hasard. Quant au bon sens, c'est la chose du monde la mieux partagée (en général on s'arrête là pour conclure que tout le monde en a bien assez), si bien que ceux-là mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n'en désirent point plus qu'ils en ont (je cite Descartes de mémoire). Nietzsche, me semble-t-il, ne dit rien d'autre ici. Et il n'a pas l'air de la défendre, « la misère et l’indigence spirituelle » (on retrouve ça partout dans son œuvre). Enfin, il ajoute que l'on devrait développer l'aptitude des hommes à créer des valeurs. Comment cela, si ce n'est en combattant leur misère et leur indigence spirituelle, c'est-à-dire en les éduquant correctement (à penser, évidemment, et non à presser efficacement sur des boutons)? A refaire éternellement, à chaque génération...

Bien sûr, comme je suis autodidacte (je suis plutôt scientifique dur de formation), je peux aussi me tromper dans ma lecture. A l'évidence, singulièrement différente de la vôtre. Mais prenons garde: la bonne question n'est jamais de savoir ce qu'Untel a dit ou pas dit, mais d'analyser ce qui se passe et comment y faire face! Untel peut juste se révéler un bon catalyseur de la réflexion.
 
edmond

08/08/2007
23:18
re : Peut-on être nietzschéen de gauche?

Je pense que pour Nietzsche "la misère et l’indigence spirituelle", c'est le socialisme, le christianisme, etc., car il ajoute après "dans ce qui fait l’objet de ses vœux". C'est à dire qu'à partir du moment où pour Nietzsche l'homme fait des vœux, a un idéal, c'est à dire est tendu vers des "arrières-mondes" (société sans classe, paradis, etc.) alors il est dans "la misère et l’indigence spirituelle".
D'ailleurs il dit à la fin du passage : "c’est que l’idéal, jusqu’à présent, a été la véritable force de dénigrement appliquée au monde et à l’homme".

Je crois que Nietzsche n'est pas du tout partisan d'"éduquer correctement" les hommes au sens "Univerité Populaire" première mouture ou France Culture ancienne mouture. J'en veux pour preuve la citation ci-dessous et tout particulièrement la dernière phrase qui est assez connue :

« La bêtise, au fond la dégénérescence de l’instinct qui est aujourd'hui à l'origine de toutes les bêtises, tient au fait qu’il y ait une question ouvrière. A propos de certaines choses, on ne pose pas de questions : premier impératif de l'instinct. Je ne vois vraiment pas ce qu'on veut faire de l’ouvrier européen depuis qu'on a fait de lui une question. Il se trouve si bien qu’il posera, pas après pas, d'autres questions, et les questions les plus effrontées. L’ouvrier a en fin de compte le nombre pour lui. Il faut complètement renoncer à l'espoir de voir se former ici un genre d'homme modeste et réservé, comme le type du Chinois : pourtant cela aurait été rationnel, cela aurait vraiment été une nécessité. Qu'a-t-on fait ? Tout pour étouffer dans l'œuf cette possibilité. On a détruit de fond en comble les instincts grâce auxquels les ouvriers peuvent exister en tant que catégorie sociale, peuvent exister en soi, et ceci, par une absence irresponsable de pensée. On a imposé aux ouvriers le service militaire, on leur a donné le droit de coalition et le droit de vote : comment s'étonner dès lors que l’ouvrier ressente déjà sa propre existence comme une détresse (ou pour dire cela en termes moraux, comme une injustice) ? Mais que veut-on ? Je pose encore une fois la question. Si l’on veut un but, on doit vouloir aussi les moyens. Si l’on veut des esclaves, on est un sot de les éduquer pour en faire des maîtres » VIII, 153. (Crépuscule des idoles)



 
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