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Benoît Beyer

10/01/2007
14:15
Décès de Jean-Pierre Vernant

Nécrologie
Jean-Pierre Vernant, grand résistant et helléniste, est mort
LE MONDE | 10.01.07 | 11h01

Jean-Pierre Vernant est mort mardi 9 janvier, à son domicile, à Sèvres
(Hauts-de-Seine). Celui dont les travaux ont bouleversé le regard sur
l'homme et le monde de la Grèce antique, du CNRS (1948) à l'Ecole pratique
des hautes études (1958), puis au Collège de France (1975), venait d'avoir
93 ans.

Né à Provins (Seine-et-Marne) le 4 janvier 1914, Jean-Pierre Vernant reste
orphelin à 8ans, après la mort de sa mère, puisqu'il n'a pas connu son
père - ce qui lui fit dire qu'il ne savait pas trop ce qu'est le complexe
d'Odipe. Une boutade, puisque, même recomposée, la figure paternelle fut
décisive. Engagé volontaire dans l'infanterie aux premières heures de la
Grande Guerre, Jean est mort au front en 1915. Cet agrégé de philosophie,
qui avait dû renoncer à la carrière universitaire pour reprendre
l'entreprise de presse que son père avait fondée à Provins à la fin du XIXe
siècle, sut défendre avec Le Briard les options éthiques d'une lignée
d'intellectuels engagés dans le siècle, anticléricaux, voire antireligieux,
et dreyfusards de la première heure. Un héritage que ses deux fils, Jacques
et Jean-Pierre, reçus tous deux majors de l'agrégation de philosophie - un
exploit inédit ! - n'eurent de cesse d'assumer. Quand l'aîné, Jacques,
dénonce à l'été 1939 la signature du pacte germano-soviétique, Jean-Pierre,
le cadet, rappelle que "le vrai courage, c'est, au-dedans de soi, de ne pas
céder, ne pas plier, ne pas renoncer. Etre le grain de sable que les plus
lourds engins, écrasant tout sur leur passage, ne réussissent pas à briser".
Partager cette profession de foi suffit à vous faire adopter comme frère
d'armes, puisque la résistance ne peut qu'être un combat, pour soi et les
autres.
"SE FAIRE GREC AU-DEDANS DE SOI"

D'entrée, la vie de Jean-Pierre Vernant semble placée sous le signe de la
fraternité. Son frère d'abord et les cousins et cousines font de l'enfance à
Provins un univers de joyeuse bande s'égaillant dans le jardin familial; les
études à Paris, au lycée Carnot, puis l'hypokhâgne à Louis-le-Grand n'y
changent rien, sinon que le cercle des"frères" s'élargit aux militants
antifascistes qui font avec lui dès février 1934 le coup de poing au
Quartier latin contre les tenants de l'Action française, comme aux
activistes et sympathisants communistes, dont il partage le violent rejet du
nationalisme.
Si son frère reste sur les marges, "Jipé" s'engage - il n'acceptera
toutefois jamais aucune responsabilité au sein du parti, même s'il conserve
sa carte jusqu'en 1970, exerçant de l'intérieur la critique du dogmatisme
qui ruine la généreuse philosophie de l'idéal communiste, au point qu'il
se"réfugie" dès 1948 sur les terres de la Grèce ancienne. Pour mieux
conserver cet espace de liberté et cette marge de manouvre intellectuelle
refusés au sein du PCF aux penseurs du contemporain. Un retrait moins
paradoxal qu'il n'y paraît, puisque c'est en essayant "de se faire grec
au-dedans de soi", dans ses façons de penser et ses formes de sensibilité,
qu'il a retenu les leçons dont il s'est fait l'infatigable passeur :
l'exigence d'une totale liberté d'esprit, dont le crible critique ne
reconnaît ni dogme ni interdit, le credo en une participation de l'individu
à une communauté d'égaux qui fait autant l'homme que le citoyen, la
fascination pour la beauté du monde, qu'il convient de recevoir avec cette
gratitude qui arme les champions.
Pour ces joutes, amorcées dès la vingtième année, il faut une hygiène
d'athlète. Le jeune homme, qui fut, adolescent, sociétaire du Racing,
foulant la cendrée des stades et avalant les longueurs de piscine, quand il
n'affrontait pas l'océan à Saint-Jean-de-Luz, part à la découverte des
reliefs, à pied et en bande. Toujours ce compagnonnage qui définit une
famille d'esprit, la seule qui vaille. Culottes courtes et sac à dos, il
parcourt les Alpes - ce grand randonneur devait du reste, sitôt après
l'agrégation, en 1937, être affecté lors de son service militaire au
6erégiment des chasseurs alpins-, d'autres horizons plus lointains aussi, de
la Corse à la Grèce, qu'il découvre à l'été 1935, en pleine dictature de
Metaxas. Dans la volonté de rencontrer les Hellènes, le contexte politique
lui importe davantage que la confrontation physique au berceau de la culture
occidentale; pas de révérant retour aux sources donc, même s'il finit par
gravir l'Acropole. De fait, c'est en anthropologue qu'il arpente ces terres
pour lui nouvelles, au nom d'une universelle fraternité humaine dont il
mesure alors la force, et dont le souvenir l'éblouit encore.
Fraternité reste le maître mot avec l'épreuve de la guerre. Démobilisés à
Narbonne à l'été 1940, les frères Vernant, en marge d'un activisme qui
commence par la distribution de tracts qu'ils impriment eux-mêmes,
retrouvent leur vocation première : l'enseignement. L'aîné est affecté à
Clermont, le plus jeune à Toulouse. C'est là que Jean-Pierre rencontre
réellement Ignace Meyerson, inventeur de la psychologie historique, dont il
a suivi les cours en Sorbonne avant guerre et qu'une amie de sa femme Lida
lui a adressé à Narbonne. Il devient dès lors son disciple. Comme lui, il
entre dans l'Armée secrète et, au sein du mouvement Libération Sud,
travaille à la libération du territoire.
Plus tard, les mêmes soutiens l'entraînent à d'autres équipées -
intellectuelles celles-là : grâce à Jean Bottéro et Elena Cassin, Jacques
Gernet, Luc Brisson et Jean Yoyotte, la Mésopotamie, la Chine, Rome et
l'Egypte rencontrent la Grèce. Au nom de l'amitié et d'une préoccupation
commune : le comparatisme.
AVANCÉES "SUR LA FRONTIÈRE"

Dès le début des années 1960, le groupe d'amis se réunit une ou deux fois
par mois, dans une salle du Musée Guimet. On y débat de grands problèmes :
le pouvoir, la guerre, Dieu, et chacun présente succinctement la physionomie
de la question dans son espace d'études. Séances de travaux pratiques d'un
comparatisme dont ils inventent les règles. Deux ou trois ans de cette
pratique et chacun se convainc qu'il serait bon d'institutionnaliser
l'aventure. Le Centre, que Vidal-Naquet devait placer sous la figure
tutélaire de Louis Gernet, père de l'anthropologie historique, naît en 1964.
Premières enquêtes : Terre et occupation du sol, divination et rationalité,
la mort et les morts. Le monde officiel des hellénistes est distant, voire
haineux devant ces avancées "sur la frontière", mais rien ne peut enrayer le
mouvement, d'autant que d'autres, ailleurs (Jean Bollack à Lille, Pierre
Lévêque à Besançon), travaillent dans le même sens.
Et l'élève de Meyerson peut mesurer, malgré l'hostilité des sorbonnards, la
fécondité et la divulgation à l'étranger des pistes amorcées par la bande.
Le courant a bientôt son adresse éditoriale. Grâce à l'engagement de
François Maspero, qui publie en 1965 Mythe et pensée chez les Grecs, dans la
collection de Vidal-Naquet "Textes à l'appui". Certes, c'est le philologue
Georges Dumézil qui commande d'abord à Vernant un court essai pour la
collection des PUF "Mythes et religions" : ce sera Les Origines de la pensée
grecque (1962) - "Un livre 'contre' puisque cette machine de guerre était
autant dirigée contre le PC que contre les tenants du 'miracle grec'". Mais
c'est la disparition de Gernet, la même année, qui sert de déclic. Le
recueil des articles du maître attendu par Les Belles Lettres n'intéresse
plus l'éditeur et serait resté dans les cartons sans la générosité et
l'intelligence de Maspero. Désormais, les élèves de Vernant savent où
prendre leur envol : Nicole Loraux, Alain et Annie Schnapp, François Hartog,
François Lissarrague, Françoise Frontisi-Ducroux, Pauline Schmitt-Pantel,
Hélène Monsacré.

En marge de cette aventure collective, Vernant, dont la renommée
internationale s'impose bien avant la distinction suprême - la médaille d'or
du CNRS en 1984 -, fut aussi un défenseur acharné du grec. Toujours mobilisé
par la défense des langues anciennes, dont il s'alarmait de la mort
programmée par les options scolaires, le philosophe y voit plus qu'un enjeu
d'érudition, le problème de la dette envers les origines. "Notre monde n'est
compréhensible que si on cherche comment ça a été fabriqué." Relayée par les
mondes romain et arabe, la civilisation grecque participe d'un creuset
méditerranéen, matrice humaine, où Vernant tente de "comprendre ce qui
aujourd'hui est précieux". Ce qui mérite d'être passé au fil des
générations. Comme le témoin d'un relais entre égaux. C'est cette mission
que Jean-Pierre Vernant s'est choisie, et qu'il a impeccablement remplie,
avec l'ardeur d'un esprit libre en résistance.


Philippe-Jean Catinchi


Bibliographie sélective

Chez Maspero : Mythe et pensée chez les Grecs (1965) ; Mythe et société en
Grèce ancienne (1974) ; Religion grecque, religions antiques (1976) ;
Religion, histoires, raisons (1979).
Chez d'autres éditeurs : Les Origines de la pensée grecque (PUF, 1962) ; La
Mort dans les yeux (Hachette, 1985) ; L'Individu, la mort, l'amour
(Gallimard, 1989) ; Mythe et religion en Grèce ancienne (Seuil, 1990) ;
L'Univers, les dieux, les hommes. Récits grecs des origines (Seuil, 1999).
Les Mémoires : Entre mythe et politique (Seuil, 1996) et La Traversée des
frontières (Seuil, 2004).
Avec Pierre Vidal-Naquet : Mythe et tragédie en Grèce ancienne (tome 1 : éd.
Maspero, 1972 ; tome 2 : La Découverte, 1986) ; Travail et esclavage en
Grèce ancienne (Complexe, 1988).
Avec Marcel Détienne : Les Ruses de l'intelligence (Flammarion, 1974) ; La
Cuisine du sacrifice en pays grec (Gallimard, 1979).
Sous la direction de Jean-Pierre Vernant : L'Homme grec (Seuil, 1993) ;
Mythes grecs au figuré, de l'Antiquité au baroque (Gallimard, 1996).

http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0,50-853661, 0.html

 
Agnès

10/01/2007
15:24
re : Décès de Jean-Pierre Vernant

Oh ! c'est le départ d'un très grand petit homme. Je l'aimais énormément. Il parle en ce moment sur FI, je ne savais pas qu'on le diffusait c'était parce qu'il était mort.
 
Agnès

10/01/2007
15:25
re : Décès de Jean-Pierre Vernant

Oh ! c'est le départ d'un très grand petit homme. Je l'aimais énormément. Il parle en ce moment sur FI, je ne savais pas qu'on le diffusait parce qu'il était mort.
 
Agnès

14/01/2007
17:43
re : Décès de Jean-Pierre Vernant

J'espère que vous êtes en train de savourer Vernant en sa voix, sa pensée limpide et aiguë, sa conviction chaleureuse...
 
w

14/01/2007
20:26
re : Décès de Jean-Pierre Vernant

vu sur arte, redife de Mépris de pensée, mais hélas sans les coupures de la casaque orange.

 
Anne

14/01/2007
23:06
re : Décès de Jean-Pierre Vernant

Je ne l'ai qu'entendu conter Ulysse (à 21h). Incroyable de vie, de verve, d'intelligence, d'amour, pour les hommes, pour les femmes, pour la langue, pour la langue grecque, pour les mythes, pour les jeunes et même pour la vie brève.
 
Agnès

14/01/2007
23:25
Jipé redivivus

C'était très émouvant de se dire qu'à la toute fin de sa vie, ce qui importait le plus à Vernant, c'était de conter encore et toujours, avec la même passion, de sa voix faiblissante, à un public toujours plus vaste, une très vieille histoire tellement fondatrice. ça m'avait déjà frappée au moment de la publication de [(i[L'Univers,_les dieux,_les hommes]i)]_ : tant de travail, tant d'années de réflexion et de débats et d'écriture, le Collège de France et tous les honneurs et ce choix de redevenir simplement conteur.
 
A.

14/01/2007
23:26
Zutre

[(i[L'Univers,_les dieux,_les_hommes]i)]_ .
 
AArgh!

14/01/2007
23:27
Grrrr

L'Univers,_les_dieux,_les_hommes .
 
Agnès

27/03/2007
19:50
re : Décès de Jean-Pierre Vernant

Hommage à Vernant à la BNF :
http://www.bnf.fr/pages/cultpubl/hommage_688.htm
 
Agnès

04/06/2007
09:14
re : Décès de Jean-Pierre Vernant

Où il est question de Vernant, Vidal-Naquet, Gernet chez Laurentin. C'est Alain Schnapp qui cause.
 
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