Archives 2003-2008 du forum de discussions sur France Culture

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pierre

15/10/2006
21:14
Discussion sur la degradation de France Culture

@dom
Je n’ai pas dit que FC n’avait pas fait son boulot à propos du bouquin de Zeev Sternhell, Les anti-Lumières, Fayard, 2006. J’en conseillais seulement la lecture, parce qu’il fait le point sur un certain nombre d’idées reçues, ce qui n’est jamais un luxe, me semble-t-il. En tous cas, ce n’est pas du temps perdu. En voici la quatrième de couverture :
Les anti-Lumières
La déliquescence dans nos sociétés et nos organisations politiques des valeurs universelles que nous devons aux Lumières « franco-kantiennes » ne procède pas de la génération spontanée. Dès le XVIII siècle et tout au long des deux cents dernières années s’est édifiée une autre tradition – une autre modernité. Sur une argumentation similaire, elle a fait la guerre aux Lumières. L’une des raisons de la cohérence interne de cette pensée qui s’en prend aux Lumières tient au fait que tous ses hérauts se lisent les uns les autres avec une grande attention. Pour l’historien des idées, leur œuvre constitue un matériau premier, mais en même temps ils sont chacun à son tour interprètes de la pensée de leurs prédécesseurs, historiens des idées, critiques de la culture, philosophes politiques et aussi publicistes de renom.
Taine écrit longuement sur Burke et Carlyle, Meinecke consacre de longs développements à Burke et une centaine de pages à Herder, pour Renan Herder est le « penseur-roi », Maistre suit Burke et est lui-même suivi par Maurras, Sorel attaque les Lumières avec la même hargne que Maurras, Croce lit Vico avec le même enthousiasme que celui avec lequel Meinecke se penche sur Herder. Le concept de l’imperméabilité des cultures de Spengler poursuit et développe la pensée de Herder. Isaiah Berlin écrit avec un ravissement semblable sur Vico et Herder et subit l’influence de Meinecke. II attaque d’une manière comparable les Lumières françaises et, en produisant sa propre version de leur œuvre, ajoute dans la seconde moitié du XX siècle un nouveau maillon à la culture politique des anti-Lumières.
Avec la rigueur et l’esprit méthodique qu’on lui connaît, le grand historien israélien Zeev Sternhell établit avec précision une généalogie convaincante des anti-Lumières (ou des contre-Lumières, si l’on préfère). Ce faisant, il éclaire les enjeux de notre temps tant il est vrai que les maux contre lesquels ont combattu les Lumières sont de tous les temps. Pour éviter à l’homme du XXI siècle de sombrer clans un nouvel âge glacé du conformisme, la vision prospective créée par les Lumières d’un individu maître de son présent, sinon de son avenir, reste irremplaçable.

Nous sommes sur un site de défense de France Culture.
Quelle est la question, au juste ? De quelle nature profonde est cette dégradation de la chaîne ?
Pour moi, France Culture répondait en gros à ce programme de Valéry :
Culture, civilisation, ce sont des noms assez vagues que l’on peut s’amuser à différencier, à opposer ou à conjuguer. Je ne m’y attarderai pas. Pour moi, il s’agit d’un capital qui se forme [...]. Il est d’abord constitué par des choses, des objets matériels – livres, tableaux, instruments, etc., qui ont leur durée probable, leur fragilité, leur précarité de choses. Mais ce matériel ne suffit pas. Pas plus qu’un lingot d’or, un hectare de bonne terre ou une machine ne sont des capitaux, en l’absence d’hommes qui en ont besoin et qui savent s’en servir. Notez ces deux conditions. Pour que le matériel de la culture soit un capital, il exige, lui aussi, l’existence d’hommes qui aient besoin de lui, et qui puissent s’en servir – c’est-à-dire des hommes qui aient soif de connaissance et de puissance de transformations intérieures, soif de développements de leur sensibilité; et qui sachent, d’autre part, acquérir ou exercer ce qu’il faut d’habitudes, de discipline intellectuelle, de conventions et de pratiques pour utiliser l’arsenal de documents et d’instruments que les siècles ont accumulé. (Paul Valéry, La liberté de l’esprit, 1939). Ça continue par le constat que ces hommes ont disparu !
Un programme d’émancipation de l’individu, donc typique des Lumières !
Or aujourd’hui France Culture a renoncé à ce programme dynamique « de transformation intérieure, de développement de la sensibilité » de l’auditeur, lui aussi actif, puisqu’il doit « acquérir ou exercer ce qu’il faut d’habitudes, de discipline intellectuelle… ». Au profit de quoi ?
Pour aller vite, ceci :
« Je n’aime pas les idées des philosophes, des grands philosophes, mais quand un sage parle, il peut dire tout ce que Emmanuel Kant dit dans un gros volume, n’est-ce pas, il peut dire dans trois lignes, ha ha ha… ».
Jingle débile ? Pas tant que ça et je ne crois pas au hasard : il annonce très précisément la couleur. Kant (=>l’Auflklärung, les Lumières) se trouve réduit à un intarissable bavard qu’un sage (pas un philosophe, et surtout pas un grand philosophe, mais qu’est-il alors ?), pourrait résumer en 3 lignes. C’est dire l’inanité de cette pensée…

A mon sens elle est là, la substantifique mouelle du changement de France Culture ! Et c’est beaucoup plus grave qu’il y paraît. Car c’est un coup d’arrêt de plus à la diffusion de la culture au sens de Valéry. Il convient de remarquer que le texte date de 1939, où quelques rares esprits perspicaces avait compris où menait l’abandon de toute exigence intellectuelle (voir aussi Karl Kraus, La troisième nuit de Walpurgis, Agone, 2005, écrit en 1933). J’ai récemment lu Mein Kampf, et je n’arrive pas à comprendre comment un brûlot aussi ahurissant de bêtise (sauf lorsqu’il s’agit d’être « pragmatique ») a pu avoir un tel succès. C’est un profond mystère ! Il n’y a que le climat intellectuel de l’époque qui puisse l’expliquer ! Par climat intellectuel, j’entends ce qui a cours dans la sphère publique, en particulier ce qui est véhiculé par les médias et la manière dont c’est reçu, l’un interagissant avec l’autre (par exemple si le souci de l’audimat s’en mêle). L’histoire ne se répète pas, mais si un climat intellectuel repose sur l’approximation, les entorses à la logique la plus élémentaire, les contre-vérités les plus grossières, la propagande la plus éhontée, le relativisme, le bricolage de la langue, etc., et surtout si ces positions sont exaltées, explicitement ou non (toutes choses repérables sur France Culture, il suffit de parcourir ce forum), il faut craindre le pire. C’est en tout cas lui ouvrir grand la porte.
Un petit gag pour terminer ?
« A qui doivent s’adresser les médias ? Aux intellectuels ou au grand public moins instruit ? Ils doivent toujours s’adresser uniquement au grand public. Tout média doit être populaire et placer son niveau spirituel dans la limite des facultés d’assimilation du plus borné parmi ceux auxquels il doit s’adresser. Dans ces conditions son niveau spirituel doit être situé d’autant plus bas que l’audimat doit être plus élevé. Plus sa teneur scientifique est modeste, plus il s’adresse exclusivement aux sens du grand public, plus son succès sera décisif. L’art des médias consiste précisément en ce que, se mettant à la portée des milieux dans lesquels s’exerce l’imagination, ceux du grand public dominé par l’émotion, ils trouvent en prenant une forme psychologiquement appropriée le chemin de son cœur. »
Laure Adler, David Kessler, Lelay ? Pas du tout ! Il suffit de restaurer « médias » en « propagande », « grand public » en « masse », « audimat » en « masse des hommes à atteindre », et « émotion » en « instinct », pour avoir l’original, un extrait de Mein Kampf ! Troublant, non ?
Mais pas plus que celui-là, d’un certain Edward Bernays (Propaganda, New York, 1929), fondateur de l’American Public Relations, cité dans… Vivre et penser comme des porcs, de Gilles Châtelet :
« Si nous comprenons les mécanismes et les mobiles propres au fonctionnement de l’esprit de groupe, il devient possible de contrôler et d’embrigader les masses selon notre volonté et sans qu’elles en prennent conscience. La manipulation consciente et intelligente des habitudes et des opinions organisées des masses est un élément important dans une société démocratique. Ce mécanisme invisible de la société constitue un gouvernement invisible qui est le véritable pouvoir dirigeant de notre pays. Ce sont les minorités intelligentes qui se doivent de faire un usage systématique et continu de la propagande. »

Toutes mes excuses pour la longueur. Mais je ne sais pas exactement où placer ce genre d’intervention, ni même si ce forum est fait pour. Je n’ai pas internet chez moi, et je n’ai donc aucune habitude en la matière. En revanche, je ne décolère pas à propos de France Culture depuis l’arrivée de Laure Adler, et je n’ai pas pu résister à l’occasion d’exposer une infime partie de ce que j’en pense.
 
Agnès

15/10/2006
21:15
re : Discussion sur la degradation de France Cultu

Ne vous excusez pas Pierre. Il y a sur DDFC toutes sortes de contributeurs (et des lecteurs plus nombreux) qui ne décolèrent pas non plus, et à qui ce forum offre un exutoire non seulement à leur frustration, mais à leurs réflexions. Vous êtes donc le bienvenu. Quant à la longueur du propos, elle est à la mesure de l'indignation ! Si vous avez des recherches à faire sur telle ou telle émission, il y a en haut à gauche de la page d'accueil des deux forums une fenêtre "Recherche" qui permet d'aller un peu plus vite. Pour le reste, pas le temps de vous répondre, je file.


 
dom

15/10/2006
21:15
re : Discussion sur la degradation de France Cultu

putain! t'es qui toi???????

(excuse moi, pour le trivial c'est assez rare chez moi( sur un forum) mais je ne voyais pas comment approuver autrement ton message)
22 lignes pour synthetiser une approche que je comprend, arf!

mais je ne suis pas armé pour debattre, car non specialisé.
mais de commenter quand même,

""« Si nous comprenons les mécanismes et les mobiles propres au fonctionnement de l’esprit de groupe, il devient possible de contrôler et d’embrigader les masses selon notre volonté et sans qu’elles en prennent conscience. La manipulation consciente et intelligente des habitudes et des opinions organisées des masses est un élément important dans une société démocratique. Ce mécanisme invisible de la société constitue un gouvernement invisible qui est le véritable pouvoir dirigeant de notre pays. Ce sont les minorités intelligentes qui se doivent de faire un usage systématique et continu de la propagande. »""

mecanisme invisible ou facteurs hasardeux, cette phrase n'est pas tres loin des theories d'un "complot" au sens ou quelques individus agiraient pour leur propre compte.

Ne serait ce pas plutot l'addition des differents marketing commerciaux, peu importe le type de commerce, qui en convergeant vers une genrateur de profit(media)induisent par eux même l'effet decrit plus haut, a savoir une propagande additive donnant l'illusion d'une organisation, mais qui releve plus de theories du hasard.

si le constat semble juste je pense que l'énoncé est faux. mais bon je ne suis pas un specialiste et d'autre se chargeront de commenter ton mail
 
Paddy

15/10/2006
21:16
re : Discussion sur la degradation de France Cultu

Pierre, tout ce qui est réflexion sur la destruction de France Culture est bienvenu sur ce forum. Le mieux est d'ailleurs d'ouvrir un nouveau fil avec un titre approprié.

Je reflechis à la question depuis 7 ans et je n'ai toujours pas de reponse claire à proposer. Mais je crois que l'esprit exigeant de FC venait de la Resistance et de la reconstruction alors que le saccage actuel vient de l'esprit hédoniste qui entoure la société de consommation. Cette notion d'hédonisme me vient à l'esprit chaque fois que je vois à l'oeuvre la théorie selon laquelle le savoir est "ennuyeux" par essence et qu'il faudrait donc le rendre attractif, ludique et facile avant de le transmettre au public.

Contrairement aux grandes figures intellectuelles de l'après guerre comme Vilar ou Vitez ("l'élitisme pour tous"), les L.Adler et D.Kessler n'ont absolument rien à transmettre. Ce sont uniquement des carriéristes qui s'enrichissent sur les décombres d'un système. Le cas de Kessler est interessant et symptomatique car vu son âge de 47 ans il a connu les derniers feux de l'école républicaine et méritocratique (ENS, ENA) mais comme beaucoup il referme les portes derrière lui. Avec lui, FC ne sera jamais plus une "Normale Sup pour tous".


 
pierre

15/10/2006
23:43
re : Discussion sur la degradation de France Cultu

@dom
Merci pour les compliments (mais point trop n'en faut).
Le commerce? Certainement.
Le hasard? Je ne crois pas. Non pas qu'il y aurait complot, mais plutôt des visions de l'homme (2?) qui s'affrontent.
Prends une expression qu'on entend tous les jours: "le monde tel qu'il est". Nous avons en principe tous compris qu'il y avait là une sorte de fatalité (destin, providence... main invisible du marché, etc.). En tous cas, c'est évidemment fait pour nous le faire comprendre.
Nous ne pouvons rien y changer! Voilà le message.
Or, à suivre les Lumières, nous sommes des individus libres, égaux, doués de raison, c'est-à-dire, entre autres, que nous sommes en mesure de construire la société (par extension le monde) que nous souhaitons (c'est ce que la Révolution française a essayé de faire et elle a en partie réussi).
Les anti-Lumières, au contraire, refusent ça, et pour eux, l'origine de la société c'est Dieu, la providence..., et l'individu naît à la place qui lui revient. D'ailleurs ce qui existe pour eux, ce n'est pas l'individu mais la communauté (nationale, religieuse... l'Europe chrétienne à laquelle le Vatican tient tant, pas vraiment à cause de la Turquie, mais à cause de la vision du monde qu'il défend).
Je caricature, c'est évidemment plus subtil.
Seulement voilà: je constate la dégradation de FC, mais aussi l'emprise croissante des "lois" de l'économie, présentées comme des sortes de lois naturelles (j'ai fait un petit mot dans la rubrique Badou Ron Ron), le retour massif du religieux (et autres absurdes et dangereuses chimères), la puissance mondiale dominée par des néo-conservateurs, et plein d'autres choses de cette sorte (encore exprimées ici sans les nuances qui s'imposeraient). C'est-à-dire, au total, qu'on se dirige, me semble-t-il, plutôt vers un asservissement croissant de l'individu plutôt que vers son émancipation.
Il n'y a évidemment pas complot, mais convergence d'intérêts de gens qui partagent la même vision du monde, sans même nécessairement s'en rendre compte.
Julie et Brice en ont bien faite une où ils s'interrogeaient sur l'existence d'une idéologie "spontanée" des journalistes. C'est ce "spontané" qui ne l'est pas, qui ne sort pas du néant et qui reste pourtant invisible. C'est de ça qu'il cause, le Bernays.





 
dom

16/10/2006
00:31
re : Discussion sur la degradation de France Culture

techniquement ta reflexion me fais penser aux carrences de l'ISO dans son aplication a savoir que/


la normativité du poste occupé relegue la responsabilité a un autre service.
pour etre plus clair l'individualisation avec les taches a acomplir sont predeterminées font qu'on ne suit plus le probleme.

ou si tu preferes arrivé a un point de complexité tout le monde s'en fout.
certains parce qu'ils ont commis l'erreur et tente de la dissimuler dans le temps, d'autres parce qu'il sont surbookés et que la paperasse s'amoncelle, d'autres encore parce qu'ils ne s'estiment pas reconnu.
Mais ce qui est paradoxal c'est que le systeme arrive a fonctionner sous la collusions des cadres.
Ton raisonement tient la route.

Donc pour transposer a FC, ce n'est pas forcement une volonté, mais un ensemble de réformes qui tournent mal qui sous couvert de modernité engendre la degradation, constatant une degradation on reforme encore tout en cherchant la solution, donc celui qui a nommé le premier reformateur savait il ce qu'il faisait ? puisque ce genre de probleme doit etre connu dans les methodes gestion, enfin, theoriquement.

ton adresse mail ressemble a un code genetique

ps ton mail me fait plaisir , les logiques sont les mêmes en entreprise, plus simples donc plus facilement comprehensible
mais encore j'irais plus loin et je ne sais pas si je vais m'exprimer correctement
la norme concoit le produit (bien) avant l'homme
 
dom

16/10/2006
21:48
re : Discussion sur la degradation de France Culture

personne n'a rien compris c'est normal, faut vraiment etre dedans et le systeme de comparaison ne doit pas etre bon scusez moi d'avoir torpillé un peu le fil par ce gros paté, je ferais pu promis, pouratnt il me semblait que.... non j'arrete promis,
va pour les lumieres et je me tais, que quelqu'un me sorte de la merde lol recuperez ce fil et pat suprimme si j'ai pas gazer c'est important lol, on pourrait avoir une analyse de fonctionement d'autant que Pierre a l'air doué.
 
Zx

16/10/2006
21:59
re : Discussion sur la degradation de France Cultu

Non mais je crois pour ma part t'avoir compris dom et comme j'étais d'accord avec toi (et un peu occupé ) je n'ai pas jugé bon d'intervenir. Je suis sûr que je ne suis pas le seul dans ce cas.


Juste une chose pour paddy : hédonisme, certes : tout est bon pour critiquer le caractère "ennuyeux" du savoir. Mais encore faut-il penser en même temps le tournant doloriste de France Douleur (et ses antiennes favorites : génocides, problèmes sociaux, racisme, discriminations, repentance, etc.)

(Je n'ai pas le temps de développer, désolé.)
 
paddy

16/10/2006
23:57
re : Discussion sur la degradation de France Cultu

Il faudrait creuser la question avec un psychologue mais on peut facilement lier l'hédonisme au goût immodéré pour l'évocation des génocides. Par exemple:

- Le plaisir pervers pour la souffrance des autres
- la culpabilité judeo chretienne de l'occidental confortablement planqué devant le spectacle de la misère du Sud
- le plaisir narcissique de se poser en belle âme, surtout quand on ne fait rien de ses dix doigts

Pour Dom, le fonctionnement de FC est tellement particulier qu'on peut difficilement le comparer à celui d'une entreprise confrontée à la normalisation ISO. D'une part les gens qui produisent la richesse de FC, les producteurs, sont les plus précaires de l'organigramme. D'autre part, la direction peut sans être sanctionnée supprimer une émission à succès pour placer un copain qui fait un bide. De toute façon, les chiffres détaillés des audiences, émission par émission, sont secrets.


 
pierre

17/10/2006
18:08
re : Discussion sur la degradation de France Cultu

@Paddy
Vilar? Va pour Vilar. Et plus encore pour le TNP. "P" comme populaire, c'est bon à rappeler.
Il y a eu longtemps un courant de pensée qui défendait l'éducation populaire (l'élitisme pour tous). Le théâtre, bien sûr (ça commence avec le Théâtre du Peuple, à Bussang, 2000 habitants!, au tout début du XX siècle), mais aussi et avant, l'école, les universités populaires, les associations ouvrières, les bibliothèques de prêt, certains mouvements de jeunesse (prudence, il y a eu de tout, y compris le pire), les auberges de jeunesse (fondées par un instituteur, en Allemagne, dès 1907)... Il ne faut donc pas chercher les origines dans la Résistance. Celle-ci a vécu de manière particulièrement dramatique la révolution nationale de Pétain et elle a compris la philosophie qui la sous-tendait et donc la nécessité de réactiver (il s'était un peu tassé, peut-être l'euphorie de 36) ce mouvement d'éducation populaire pour y faire face. Il y a évidemment toutes sortes de nuances entre les diverses composantes de la Résistance. Il faut en réalité chercher les origines de l'éducation populaire chez les philosophes des Lumières, dans leur travail de sape de l'Ancien Régime, dans leurs idées d'émancipation de l'individu et leur vision de la société, fabriquée de toutes pièces par des individus libres, égaux, doués de raison, citoyens, responsables etc. Lors de la Révolution française, un Condorcet, un Robespierre et bien d'autres, défendaient déjà l'idée de l'éducation pour tous, pas pour satisfaire les besoins des entreprises naissantes (il y a eu ça aussi, qui a eu des suites), mais pour arriver aux individus ci-dessus.
Lutte contre l'obsurantisme, les superstitions, les préjugés, etc. Par l'éducation de tous, évidemment!
Il est vrai que les 2 situations, la Résistance face à Pétain, et la Révolution française face à l'Ancien Régime sont parfaitement similaires du point de vue des courants de pensée radicalement opposées qui s'affrontent et des régimes politiques qui en découlent. A commencer par l'idée elle-même qu'un régime politique découle d'un courant de pensée (le programme de rénovation sociale du CNR, par exemple, assez "révolutionnaire") et non pas qu'il est l'effet inéluctable de la tradition historique d'une communauté, de l'âme d'un peuple, de la providence, etc. (Clovis, Jeanne d'Arc, la France éternelle... les racines chrétiennes de l'Europe, eh oui!). Bien sûr, en réalité nul ne doute qu'un régime politique découle d'un courant de pensée (pas même Benoît XVI), mais les uns le disent et proposent à tous d'y réfléchir et d'en changer si nécessaire (la pratique est souvent éloignée de la théorie, je ne suis pas naïf, mais l'éducation populaire a précisément pour objectif de les rapprocher), et les autres préfèrent garder ce "secret" pour eux-mêmes en attribuant en dernier ressort la responsabilité à Dieu ou ce qui en tient lieu (ils ont fait, et font encore, plutôt fort en la matière).
Revenons à l'histoire (très sommaire) de l'éducation populaire.
Aussi bien pour ceux qui animaient ces groupes que pour ceux qui les fréquentaient (volontairement, hormis l'école, obligatoire, d'où l'ambiguité fréquente de ses rapports avec le monde du travail), l'idée centrale était la culture (au sens que lui donne par exemple Paul Valéry, cité dans un papier précédent).
Pour en faire quoi? Pour certains, la culture était le moyen de comprendre l'histoire, les enjeus, les stratégies des luttes sociales (que de syndicalistes, de politiques, d'élus locaux issus de là!). Pour d'autres, elle permettait l'ascension sociale (la leur, à ne pas confondre avec celle de leurs enfants, ce qui est encore autre chose)... Et toutes sortes de motivations analogues. Sans préjudice, bien sûr, du plaisir de se sentir penser, de comprendre toujours mieux le monde, et d'en discuter. Bref! Un moyen d'émancipation, tantôt collectif, tantôt plus individuel.
Pour paraphraser Pierre Bourdieu (qui n'est pas la caricature qu'on en fait aujourd'hui, loin de là, cf Jacques Bouveresse, Bourdieu savant et politique, Agone, 2003), les dominés essayaient de s'approprier les armes mêmes dont les dominants se servaient pour assurer leur domination.
Car il est évident que toute domination est en dernier ressort et fondamentalement culturelle.
Un exemple? La traduction de la bible en allemand, c'est-à-dire son appropriation par tous, a converti les 2/3 de l'Allemagne au luthéranisme en moins d'un 1/2 siècle (l'a émancipé du catholicisme dominant... encore par le biais de la culture). Là encore, mille autres causes, mais celle-là est déterminante, dès lors qu'elle a pu s'assurer le concours de l'imprimerie. Il n'y aucune difficulté à trouver une infinité d'exemples analogues et sans doute meilleurs, et les contre-exmples sont rares, s'il en existe. Même un Hitler, pourtant peu cultivé, disposait néanmoins de ce qu'il faut bien appeler une culture, une conception cohérente du monde quoique sur des fondements complètement irrationnels (ceci n'empêche pas cela, cf les rapports foi-raison), un certain nombre de savoirs et les moyens intellectuels de les rendre opérants, ne fut-ce qu'en s'entourant très vite de collaborateurs compétents. Il a beaucoup lu durant sa période viennoise, y compris Theodor Herzl, le père du sionisme.

Il va de soi que les dominants, s'ils veulent le rester, se doivent de lutter contre cette appropriation de la culture par les domninés. Ils ne s'en sont pas privés, dès les origines de ces tentatives. Et ils ont eu un coup de génie, difficile à dater, mais en tous cas vers les années 1960, et probablement déjà avant (mai 68 n'est en rien à l'origine de ces idées et ne s'est absolument pas rendu compte de ses faux pas, sauf exception, en particulier Guy Debord, cf. Oeuvres, Gallimard, 2006, voir quelques lignes de lui à la fin).
Un renversement total par rapport à ce qui précède:

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Dévaloriser l'élitisme au nom de l'égalité (facile et même justifié, d'où l'élitisme pour tous, une réaction possible), puis, dans la foulée, dévaloriser la culture de l'élite (le coup de force est là), et la remplacer par une autre (contre?) culture, attrayante, divertissante, populaire (au plus mauvais sens du terme), facile d'accès et surtout... totalement inoffensive.
"L'élitisme pour tous" a tout simplement été renversé en "tous contre l'élitisme". D'où aussi l'interprétation fallacieuse du célèbre slogan "savoir = pouvoir". "L'appropriation du savoir confère le pouvoir ou permet de lui faire face à armes égales" qui se retourne en "lutter contre le savoir, c'est lutter contre le pouvoir"
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Quand je disais que c'était un coup de génie... On remarquera en passant qu'ici il s'agit d'invoquer l'égalité et non pas l'égalité des chances (je vous suggère de méditer là-dessus).
L'élite, qui n'a aucune raison de disparaître dans la manoeuvre, bien au contraire, se bornera à monopoliser la culture et à la transmettre à ses rejetons, assurant ainsi la pérénité de sa domination. Comme elle a toujours fait! Quant à cette nouvelle "culture", rien de plus simple avec les développements des médias d'une part, de l'industrie culturelle d'autre part, et enfin des connaissances de plus en plus fines en psychologie, fonctionnement des groupes, techniques commerciales, etc. (toutes choses qui constituent les matériaux de la culture, justement, à quoi il faut ajouter les autres sciences, les arts, etc.). Restent à trouver les vraies sources (théoriques) à l'origine du renversement (je ne crois ni au hasard, ni au complot, mais à la puissance de la pensée et de son expression par la parole: il suffit qu'elle tombe dans de multiples oreilles qui y trouvent leur intérêt et ont les moyens de passer aux actes). J'ai quelques idées sur la question, mais encore assez vagues (ZX en sait sans doute un peu plus)...

Une preuve (soyons modestes, un indice)? Les banlieues! Personne n'a remarqué que tous ces "jeunes de banlieue" sont très cultivés (si ce n'était dramatique, j'ajouterais plus encore que les autres). Ils regardent la télé, jouent à des jeux vidéos, "lisent" des mangas (et autres bd), écoutent du rock, du rap, de la techno, vont au foot, ont internet... Bref ! La culture jeune ! Je précise que par "jeunes de banlieues" je songe essentiellement à ces quelques 150000 jeunes qui sortent par an du milieu scolaire en ne sachant pas toujours lire, et à tous les autres, probablement beaucoup plus nombreux, qui n'en sont pas très loin. On en trouve évidemment partout, mais plus fréquemment dans les zones défavorisées dont ceraines banlieues qu'à Neuilly (où l'on fait encore ses humanités, comme on disait, la culture jeune n'étant qu'un loisir, ce qui change tout).
En quoi cette culture jeune leur est-elle utile? Ni vraiment à s'en sortir individuellement, ni vraiment non plus à mener des actions collectives construites, destinées à changer un tant soit peu en leur faveur l'ordre établi. Quelques sporadiques explosions de violence, sans revendications bien précises, qui s'arrêtent aussi vite qu'elles démarrent. Juste de quoi alimenter les médias et les discours démagogiques et électoraux des uns et des autres... Autrement dit, cette culture jeune ne leur est strictement d'aucune utilité, ce n'est donc pas une culture, mais simplement une consommation de distractions, de divertissements (notez les mots: distraire, détourner l'attention), le plus souvent abêtissants (y compris internet, quand on ne dispose pas au préalable des outils qui permettent d'en tirer profit, et il en faut quelques uns et solides), un moyen de passer le temps... A quoi on ajoutera volontier quelques psychotropes genre anxiolytiques (cannabis...).
A mon avis, c'est même l'ensemble de la consommation (au sens qu'a ce mot dans "société de consommation") qui a pour rôle essentiel de faire passer le temps (ce qui n'a rien d'hédoniste, a priori), mais c'est une autre histoire, sur laquelle j'aurais sans doute l'occasion de revenir.

Machiavélique, tout ça? Si moi j'ai pu y penser, d'autres ont pu y penser aussi bien, et même bien mieux. D'ailleurs ils y ont bel et bien pensé et depuis très longtemps: je ne fais qu'appliquer et pousser à leurs extrémités des idées glanées dans des bouquins, dont, en particulier et le plus récent, Zeev Sternhell, Les anti-Lumières, Fayard, 2006, dont j'ai déjà vivement recommandé la lecture. Bien des choses s'éclaircissent un peu...
En voici un exemple ancien, de ces idées machiavéliques:
L’Etat [...] ne croira pas que sa tâche éducatrice se borne à faire entrer dans les cerveaux la science à coups de pompe ; il s’attachera à obtenir, par un élevage approprié, des corps foncièrement sains. La culture des facultés intellectuelles ne viendra qu’en seconde ligne. Mais ici même le but principal sera la formation du caractère, notamment le développement de la force de volonté et de la capacité de décision ; on habituera en même temps les jeunes gens à prendre avec joie la responsabilité de leurs actes. L’instruction proprement dite ne viendra qu’en dernier lieu. [...] L’école consacrera infiniment plus de temps aux exercices physiques. Il ne convient pas de surcharger les jeunes cerveaux d’un bagage inutile ; l’expérience nous apprend qu’ils n’en conservent que des fragments et, en outre, qu’il leur en reste non pas l’essentiel, mais des détails secondaires et inutilisables ; un jeune enfant est, en effet, incapable de faire un tri raisonné des matières qu’on lui a comme entonnées. Consacrer, comme on le fait actuellement, deux courtes heures du programme hebdomadaire des écoles secondaires à la gymnastique et, par-dessus le marché, rendre la présence des élèves facultative, c’est commettre une lourde erreur, même au point de vue de la formation purement intellectuelle...
Adolf Hitler, Mein Kampf, 1926
Intéressant, non? Une sorte de socle commun? Podcastez maintenant le doc de 16h du 16/10/06 et écoutez-le attentivement. Ça devient saisissant!

Revenons, pour terminer, à France Culture. C'était encore l'un des derniers bastions de l'élitisme pour tous.
S'il faut effectivement en finir avec ça, c'est-à-dire priver le plus grand nombre des armes qui pourraient lui permettre de s'émanciper (la culture), nul doute que FC était l'un des derniers gêneurs. Le problème est en bonne voie de règlement. Laure Adler a fait ce qu'il fallait pour ça, et l'équipe qu'elle a constituée assure la mise en oeuvre. On y trouve, à mon avis, 3 sortes de journalistes. Les quelques rares survivants de l'ère précédente, ensuite ceux qui se bornent à promouvoir la culture jeune (la leur!) et enfin ceux, plus cultivés que les précédents et probablement issus de l'élite, qui participent activement à la destruction. Quand les premiers auront disparu (retraite), le problème sera définitivement réglé!

Et tout ça fonctionne à merveille: on ne fait déjà plus que de dures manifestations festives, avec merguez, pétards, pogo, concert de rock (et c'est le medef qui offre la bière, c'est un petit conseil pour la Parisot), parfois ça cogne un peu, pour égayer, on obtient toujours le retrait d'un petit texte de loi (le CPE, par exemple, à se demander s'il n'a pas été jeté en pâture pour susciter une petite séance de défoulement bien nécessaire), pendant qu'il y en a 100 beaucoup plus graves qui passent à l'insu du plein gré de tous, et tout le reste à l'avenant. Les seules avancés sociales qu'on revendique encore, c'est le ralentissement de leur destruction qu'on dit inéluctable! Le monde tel qu'il est, guidée par la main invisible du marché ou par le croupier suprême de la nouvelle donne et autres fariboles, dont bientôt à nouveau, au train où ça va, la divine providence.

Comme promis, petite citation de Guy Debord (Revue I.S. n° 8, 01/63, 1963, donc bien avant mai 68)
Nous sommes contre la forme conventionnelle de la culture, même dans son état le plus moderne, mais évidemment pas en lui préférant l’ignorance, le bon sens petit-bourgeois du boucher, le néo-primitivisme. Il y a une attitude anti-culturelle qui est le courant d’un impossible retour aux vieux mythes. Nous sommes pour la culture, bien entendu, contre un tel courant. Nous nous plaçons de l’autre côté de la culture. Non avant elle, mais après. Nous disons qu’il faut la réaliser...
Guy Debord, Œuvres, Gallimard, 2006
L'avatar le plus radical de l'élitisme pour tous! "le courant d’un impossible retour aux vieux mythes"? Pas si impossible que ça (Debord est encore trop optimiste), surtout si on les toilette un peu, les vieux mythes. Au XXI siècle, comment lire, qui la Torah, qui la Bible, qui le Coran? "Lire" signifiant bien davantage "croire" que lire comme on lirait n'importe quoi d'autre. On n'entend que ça partout et tous les jours. Le plus gênant, de mon point de vue, c'est que l'opposition classique rationalisme-religion a disparu au profit des oppositions des religions entre elles: est-ce que le Coran ceci ou cela, alors que les Evangiles... Terrain théologique, donc de croyants!

@ZX: pardon de radoter!
 
dom

17/10/2006
20:28
re : Discussion sur la degradation de France Culture

heu..... c'est pourtant bien l'elite qui a voulu la creation de France culture, c'est une autre élite qui veux sa destruction? Qu'est devenue l'ancienne élite et pourquoi on a decidé de la supprimmer si tel est le cas ?


 
pierre

17/10/2006
20:58
re : Discussion sur la degradation de France Cultu

J'ai évoqué deux courants de pensée qui s'opposent. Chacun a évidemment ses élites... Mais lis donc le bouquin de Sternhell. C'est très clair.

 
dom

17/10/2006
21:11
re : Discussion sur la degradation de France Culture

je vais m'y pencher serieusement, mais a petite dose car l'activité reprend de plus belle et me bloque l'esprit par un travail repetitif.
c'est un réel plaisir de te lire, rarement les faits devellopés sont aussi clairs dans leurs cheminements et leur descriptions,

 
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