Archives 2003-2008 du forum de discussions sur France Culture

Le forum de discussions sur FRANCE CULTURE du site DDFC est fermé mais vous pouvez accéder en lecture aux 35.000 messages d'auditeurs archivés, ainsi qu'aux fameux SMILEYS et DÉCALCOS. Mention légale : les textes, idées et contenus présentés ici n'engagent que leurs auteurs à titre personnel et non le propriétaire du site DDFC.


 La pétition SOS France Culture continue sur le site sosfranceculture.free.fr        Dictionnaire TLF 
 Recherche :
 Dans le fil

Retour à la liste des messages
Agnès

13/04/2006
11:09
Exquise anecdote etymologique

Il est un substantif, honnête et banal autant que modeste, dont l'origine relève pourtant de la plus esbaudissante truculence : le mot "patère". Vous savez, ce machin après quoi on oublie sa gabardine, là où les gens qui en portent encore oublient leur chapeau. (…)
Adoncques, il était autrefois, dans l'"île aux Singes", une langue de verdure qui, au-delà des Gobelins, partageait en deux notre vieille amie la Bièvre, des constructions de bois et de branchages. Le terrain était à tout le monde : et les riverains qui disposaient de quelques loisirs aimaient à venir se prélasser de temps à autre dans ce lieu calme et ombragé.
Or, en un temps que je crois pouvoir situer aux environs de 1350, un prêtre séculier dont la postérité ne nous a point légué le patronyme, faisait retraite en cette île durant la belle saison. Robinson d'avant la lettre, il vivait chichement dans une cahute par lui construite, et s'adonnait à de profondes et sévères méditations. Il ne dédaignait point, lorsque le temps était chaud, de s'aller livrer dans les eaux de la rivière, à de dévotes ablutions. Peu d'humains vivaient en ce lieu; et le prêtre à l'âme pure, n'ayant rien à cacher au créateur, se baignait dans le plus simple appareil, en gardant toutefois, suprême déférence, son chapeau.
Des ronces, des broussailles formaient de touffus promontoires, et les rives de l'île étaient ainsi bordées de criques charmantes où l'on se sentait chez soi, dans l'intimité confiante des premiers âges.
Un jour, le prêtre s'aventura un peu plus loin que n'eût dû lui permettre le rideau de feuillage. Il n'avait de l'eau que jusqu'à mi-cuisses. Et là, il se trouva nez à nez, si l'on peut ainsi dire, avec deux adorables naïades –comme si Ève eût eu une sœur jumelle. La surprise immobilisa, pour un temps, nos sirènes. Peut-être aussi je ne sais quelle curiosité…
Les voies du Seigneur sont impénétrables. Cette vision à lui offerte n'était-elle point l'une des tentations contre quoi l'Évangile nous met en garde?
Deux soucis assaillirent l'esprit du prêtre : celui de déférer aux liminaires préceptes de pudeur : celui aussi d'implorer Dieu qu'il ne le laissât point succomber et délivrât son esprit de tous ses désirs impurs.
Fortement troublé, il ôta son chapeau, qu'il plaça là où le lui commandaient d'éternels principes, joignit les mains au-dessus de sa tête, et en toute humilité récita : Pater noster qui es in coelis
Alors s'accomplit le miracle : ô l'ineffable vigilance du Seigneur omniprésent! Le chapeau resta en place .
Adveniat regnum tuum ...
La merveilleuse efficacité du Pater prononcé en d'aussi dramatiques circonstances confirma notre prêtre dans ses édifiantes convictions.
Dans l'île même, il bâtit, de ses mains, une chapelle dont il orna le fronton d'un visage féminin rayonnant de divine pureté. Et la chapelle fut dédiée à "Sainte Patère". Nul ne lui tint rigueur d'avoir improvisé, à l'intention de Sainte Nitouche, une sœur cadette…
Chez les Élus aussi, il doit y avoir une "Compagnie Hors-Rang"…
J'ai retrouvé, jusque dans les grimoires de la fin du XVIème siècle, mention des vestiges de la chapelle "Sainte Patère". J'éprouve pour la petite sainte une tendre vénération. Vers elle vont mes pensées, chaque fois que j'accroche mon imperméable.

(Jacques Yonnet - "Rue des maléfices")

 
Retour à la liste des messages

Page générée en 2.92 seconde(s) par la technique moderne