Archives 2003-2008 du forum de discussions sur France Culture

Le forum de discussions sur FRANCE CULTURE du site DDFC est fermé mais vous pouvez accéder en lecture aux 35.000 messages d'auditeurs archivés, ainsi qu'aux fameux SMILEYS et DÉCALCOS. Mention légale : les textes, idées et contenus présentés ici n'engagent que leurs auteurs à titre personnel et non le propriétaire du site DDFC.


 La pétition SOS France Culture continue sur le site sosfranceculture.free.fr        Dictionnaire TLF 
 Recherche :
 Dans le fil

Retour à la liste des messages
Alfred Jarry

31/01/2006
03:50
Le piéton écraseur

L’opinion publique s’est émue à l’occasion de la course d’automobiles Paris-Berlin, de l’incident suivant : dans une des villes neutralisées, un enfant de 10 ans a voulu traverser devant l’un des véhicules qui roulait à une allure très modérée de douze kilomètres à l’heure, et a été tué sur le coup.

C’est, à notre avis, chose excellente, pour des raisons que nous allons exposer. Les touristes à bicyclette ou à bicycle, en l’an 1888 ou 1889, étaient insultés en langue aboyée, mordus et incités à choir, jusqu’à ce que les chiens, ainsi qu’on le constate aujourd’hui, eussent pris l’habitude de se ranger, comme d’une voiture, du nouvel appareil locomoteur. L’éducation canine parachevée, les cravaches et autres moyens de défense du cycliste en ces temps reculés ont pu aller rejoindre le démonte-pneus de l’âge de pierre.

L’être humain adulte en est venu, quoique plus lentement que son compagnon quadrupède, à laisser le passage libre aux véhicules rapides. L’homme à pied ne grouille plus par bancs sur les trottoirs cyclables par contre l’ours y est assez commun au voisinage des roulottes de nomades, et nous y rencontrâmes un jour au mépris des règlements, jusqu’à un cheval surmonté d’un officier français.

L’être humain en bas âge, l’enfant, puisqu’il faut l’appeler par son nom, s’exerce au courage des guerres futures en traversant par bravade les toutes devant les cycles et les automobiles. Notons qu’à l’exemple de certaine peuplade sauvage, qui manifeste sa valeur en montrant son derrière à l’ennemi, mais chez qui une telle sécurité n’est point d’usage trop près de l’ennemi, l’enfant ne s’amuse à courir ce péril que quand le véhicule n’arrive pas très vite. L’accident de Paris-Berlin s’est produit rapidement, par suite de l’absurde idée de « neutraliser les villes ». Il est même extraordinaire qu’un seul enfant, et pas dix mille personnes ayant atteint depuis longtemps ce qu’on est convenu de dire l’âge de raison, n’aient point gambadé devant les coureurs qui leur donnaient le temps de le faire. En revanche, on remarquera qu’aucune collision n’a eu lieu sur la route parcourue à près de 100 kilomètres à l’heure.

Ajoutons, pour justifier notre titre, que le piéton court moins de risques que le cycliste ou le chauffeur ; il s’expose à une chute de sa hauteur et non à une projection hors d’un appareil de vitesse, ni au bris de cet appareil précieux ; donc, jusqu’au jour où cette folie n’aura point cessé de laisser circuler des gens à pied, non munis d’autorisation préalable de plaque indicatrice, frein, grelot, trompe et lanterne, nous aurons à vaincre ce danger public : le piéton écraseur.

La Revue Blanche - 15 juillet 1901
 
Retour à la liste des messages

Page générée en 0.01 seconde(s) par la technique moderne