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el bandito

26/11/2003
10:06
on peut m'expliquer ceci?

Conférences
Mercredi 6 novembre 2002

Peut-on se changer ?

Michel Cazenave, écrivain, producteur à France Culture.
Guy Gilbert, prêtre éducateur.
Michel Lacroix, philosophe, auteur de Le Mal


Si on me pose la question « peut-on se changer ? », je répondrai : « je ne suis pas certain que ce soit toujours possible ». Si, en revanche, on me pose la question « peut-on changer ? », je répondrai sans hésitation : «oui».
On ne peut changer que si la situation et les circonstances dans lesquelles on se trouve vous appellent à vous changer et quelquefois vous obligent à vous changer.
Je sais bien que cette position ne conviendra pas à tout le monde, parce qu'elle prend parti dans un débat qui est en fait de nature politique et idéologique : faut-il d'abord changer les hommes ? ou faut-il d'abord changer les structures ?

Dire qu'il faut changer les structures pour changer les hommes, c'est une position plutôt marxiste. Dire que les hommes peuvent se changer même si les structures ne changent pas, c'est une position plutôt humaniste.
Donc, il me semble que c'est le changement des situations et des structures qui permet le changement des hommes. Prenez l'exemple du fils prodigue : qu'est-ce qui l'a incité à changer et à revenir vers la maison paternelle ? Ce n'est pas un mouvement de coeur ! C'est le fait que la situation dans laquelle il s'est trouvé l'a incité à une prise de conscience qui lui a fait dire : « Combien d'employés chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je péris à cause de la famine » Luc 15,17.

Je voudrais donc tenter de comprendre de quelle manière et par quoi on peut être changé. Qu'est-ce qu'il se passe lorsque, brutalement ou peu à peu, un événement ou une prise de conscience vous changent, et éventuellement vous font prendre une décision que vous n'auriez pas prise sans cela ?
Je m'appuierai sur deux exemples : le premier, c'est celui de la conversion au Christianisme de la philosophe Simone Weil. Le second concerne l'expérience qui a changé Jésus-Christ et lui a fait donner une nouvelle orientation à son ministère.


Simone Weil
Il est intéressant en effet de voir de quelle manière la philosophe Simone Weil, qui était tout à fait athée pendant sa jeunesse, relate comment « le Christ l'a prise », pour reprendre sa propre expression.
En fait, elle dit elle-même que c'est l'expérience du malheur qui a été à l'origine de son « changement » et de sa conversion. Elle a d'abord découvert le malheur pendant la période qu'elle a passée en usine. « Etant en usine, confondue aux yeux de tous et à mes propres yeux avec la masse anonyme, le malheur des autres est entré dans ma chair et dans mon âme. J'ai reçu là pour toujours la marque de l'esclavage... Depuis, je me suis toujours regardée comme une esclave ».
Et elle poursuit ainsi : « Etant dans cet état d'esprit, et dans un état physique misérable, je suis entrée dans un petit village portugais, qui était très misérable aussi, seule, le soir, sous la pleine lune, le jour de la fête patronale. C'était au bord de la mer. Les femmes de pêcheurs faisaient le tour des barques, en procession, portant des cierges, et chantaient des cantiques probablement très anciens, d'une tristesse déchirante. Rien ne peut en donner une idée.
Je n'ai jamais rien entendu de si poignant, sinon le chant des haleurs de la Volga. Et j'ai eu soudain la certitude que le christianisme était par excellence la religion des esclaves, et que les esclaves ne peuvent pas ne pas y adhérer, et moi parmi d'autres ».

On voit là les ressorts de ce que l'on peut appeler la conversion de Simone Weil. D'abord une « révélation », c'est-à-dire le dévoilement d'une vérité, celle du malheur, et du lien fondamental entre le malheur et la religion ; puis la découverte d'une « certitude » : le christianisme est la religion des esclaves.
A partir de cet exemple, on peut analyser de quelle manière on « change » dans sa manière de voir. On pourrait parler d'une prise de conscience, mais le terme n'est pas assez fort et il est trop intellectuel. Ce qui suscite la conversion (et aussi, à un degré moindre, le changement), c'est une vérité qui vous saute aux yeux, comme si, tout à coup, tombait la taie de l'¦il qui occultait la vision de cette vérité. Il s'agit de la dé-couverte et du dé-voilement d'une vérité jusque là méconnue et occultée, ou plutôt refusée et récusée. Il s'agit d'une « illumination », au sens étymologique, à savoir de l'advenue d'une lumière qui met en lumière une vérité jusque là recouverte. Et c'est la dé-couverte et la mise en lumière de cette vérité qui opère la conversion, c'est-à-dire le changement dans la manière de voir. Simone Weil parle d'une emprise sur elle d'une vérité qui s'est révélée à elle. Et c'est ainsi que « le Christ l'a prise ».
Ainsi la conversion, c'est une obéissance à une vérité qui se révèle à vous.

Certes, cette vérité se révèle inopinément, mais elle prend néanmoins appui sur un donné préalable, une expérience antérieure. Et pour Simone Weil, cette expérience antérieure, c'est le fait que, pendant son séjour en usine, elle s'était déjà reconnue comme « une esclave ». La vision des villageoises portugaises a dés-enfoui un sentiment personnel qui, de manière latente, la prédisposait à comprendre que le Christianisme est la religion des esclaves et qu'elle ne pouvait donc qu'y adhérer.
Ainsi, le changement ne se fait pas par une création « ex nihilo » d'un comportement nouveau ou d'une attitude nouvelle. Nous avons en nous-mêmes des caractéristiques différentes et quelquefois contradictoires, un peu comme si nous avions plusieurs « moi » différents. Et nous « changeons » lorsque l'un des « moi » qui était déjà présent en nous « relève la tête ».
Et ce, il le fait lorsqu'il est sollicité par une circonstance nouvelle. Il prend alors le pouvoir sur les autres « moi » qui auparavant avaient fait la loi. Mais ces « moi » destitués restent néanmoins présents de façon latente. Ainsi, d'une certaine manière, Simone Weil est restée athée dans sa manière de concevoir son adhésion au Christianisme. Et, de même celui qui était « de gauche » reste encore « de gauche » même s'il en vient à professer des opinions « de droite » (cf Jacques Chirac). Et l'inverse est vrai aussi (cf François Mitterand).
Ainsi le changement, c'est l'apparition et l'émergence d'une « portion de soi » qui était jusqu'alors occultée. Et ce qui suscite cette émergence, ce sont les circonstances et les situations.


Jésus-Christ
On peut rapprocher la « conversion » de Simone Weil du changement que Jésus a opéré dans sa manière de concevoir son ministère. Il considérait que sa mission devait se limiter au peuple juif. Mais une femme non juive, cananéenne plus précisément, fait irruption dans son univers et vient déranger les règles et les limites qu'il s'était fixées pour exercer ce ministère Mat 15, 21-28.
C'est cette rencontre avec cette femme qui va décider Jésus à prêcher son Évangile non seulement auprès des Juifs mais aussi auprès des non Juifs.
Comment s'est opérée cette « conversion » ?

La femme cananéenne crie et vocifère que sa fille est tourmentée par le démon. Et elle supplie Jésus de la guérir. Ici aussi, c'est la vision du malheur qui va susciter la conversion. Jésus, interloqué, garde le silence comme s'il était pris dans ses contradictions. Puis il se défend, on pourrait dire se débat, en affirmant avec une extrême dureté la conception qu'il se fait de son ministère : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël. Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants (les juifs) pour le jeter aux petits chiens » (les païens).
Mais la violence de ces propos montre que c'est contre lui-même que Jésus se défend et qu'il est déjà fortement ébranlé par la vision de la souffrance de cette Cananéenne. Et lorsque la femme cananéenne, prenant Jésus au mot, se présente elle-même comme un « chien » et sollicite à ce titre la guérison de sa fille, alors Jésus se rend. Il capitule. Il lâche prise. Il renonce à ses a priori. Il guérit la malade. Et dès lors il prêchera la bonne nouvelle du salut non seulement aux Juifs mais aussi aux païens.

C'est l'insupportable du malheur qui produit le changement. C'est lui qui ébranle l'insoutenable de la fidélité à des positions de principe. C'est lui qui vous ouvre les yeux.
Mais, ici aussi, comme pour Simone Weil, la vision de cette femme païenne qui crie pour obtenir la guérison de sa fille fait sans doute levier sur un élément du passé personnel de Jésus. En effet, peu avant, il avait accédé à la demande de Jaïrus (l'un des chefs de la synagogue juive) qui s'était prosterné devant lui pour obtenir la guérison de sa fille Mat 9,18-24.
Ainsi la supplique de la Cananéenne, qui, elle aussi, implorait pour sa fille, le plaçait devant une contradiction interne. Comment pourrait-il avoir accepté de guérir la fille de Jaïrus sans accepter maintenant de guérir la fille de la femme cananéenne ? La situation nouvelle créée par la supplication de la Cananéenne ne lui laissait pas le choix. Il lui fallait obéir.
A mon avis, c'est ainsi que s'opèrent les changements les plus profonds. Ils adviennent comme une obéissance à une nécessité inéluctable. Jésus, lorsqu'il en vient à guérir la fille de la Cananéenne, aurait pu dire, lui aussi, « je ne puis autrement », comme l'a dit Luther.

Ainsi, on peut être changé par une rencontre. Et je pense en particulier au héros du livre Le loup des steppes d'Hermann Hesse qui a été changé en profondeur par sa rencontre avec une femme. On peut aussi être changé par une expérience telle que le deuil d'un proche ou par une maladie qui vous a fait frôler la mort. On découvre alors à la fois la fragilité de la vie et aussi le goût de la vie. Ceux qui ont perdu ou failli tout perdre voient la vie et les autres avec une sorte de tendresse. Ils perdent leurs principes intransigeants et leurs jugements sévères. Ils gagnent en humanité.
L'homme ne change pas de lui-même. Il réagit à des coups de poing. Et ces coups de poing, ce sont les situations auxquelles il est confronté qui les lui donnent.
Mais ce qu'il y a de bien dans ces coups de poing, c'est que, même si quelquefois ils vous rendent plus durs, plus méchants et plus aigres, ils peuvent aussi vous changer en vous rendant plus humbles, plus tolérants, plus compréhensifs, moins intransigeants, en un mot plus tendres .
Il y a certes des changements qui s'opèrent au nom d'exigences de plus en plus grandes que l'on s'impose à soi-même par une sorte de quête d'un idéal solitaire. Mais les changements de ce genre sont rares et fragiles.
Les véritables changements sont plutôt de l'ordre du lâcher-prise.


Peut-on se changer ?
Mais revenons à la question posée : « Peut-on se changer soi-même ? ». Peut-on se changer par une décision de sa volonté ? A mon avis on ne peut se changer par une simple décision de la volonté. La détermination ne suffit pas, pas plus que le raisonnement, l'effort, la bonne volonté, le fait de prendre de bonnes résolutions. En effet ce qui est de l'ordre de l'involontaire (c'est-à-dire le caractère, le désir du plaisir, l'irraisonnable, l'instinctif, les habitudes et en particulier les mauvaises habitudes) reprend très vite le pouvoir.
Ma thèse c'est que : on ne peut pas se changer par ce qui est de l'ordre du « volontaire » (c'est-à-dire la bonne volonté, l'effort...). On ne peut se changer que par ce qui relève de l'« involontaire » (c'est-à-dire le désir, le plaisir, l'instinctif, les habitudes).
Pour que l'on puisse se changer, il faut que la volonté s'incarne dans l'involontaire, ou mieux encore il faut que l'involontaire soit le seul moteur du changement. Il faut que ce qui est l'obstacle au changement (ce qui relève de l'involontaire) devienne l'organe de ce changement.

Et c'est ici que la notion de « motivation » est fondamentale, car la motivation permet de poursuivre par l'involontaire du désir et du plaisir un objectif qui, lui, relève de la décision et de la volonté. Les spécialistes du management savent bien que pour que le personnel d'une entreprise puisse « changer », il faut le « motiver ». Et pour motiver le personnel, ils créent des structures qui suscitent la motivation de ce personnel. Ils donnent aux employés des objectifs, ils leur donnent une « zone d'autonomie », ils établissent un système de récompenses. Et tout ceci suscite la motivation du personnel. Ainsi l'employé fait, de lui-même, par goût, par plaisir et par motivation propre ce qui lui est demandé de faire par la hiérarchie.
Certes il s'agit bien là d'une forme de manipulation. Mais le personnel y trouve son compte parce qu'il trouve du plaisir à changer d'attitude, à multiplier ses efforts pour atteindre les objectifs qui lui sont proposés. Il accomplit ce qu'on lui demande non pas par discipline et par obéissance, mais par jouissance, par plaisir et par désir.

Ainsi, pour répondre, enfin, à la question « Peut-on se changer soi-même ? », je répondrai « oui ! », mais seulement par une stratégie comparable à celle qu'opèrent les stratèges du management. Nous ne pouvons nous changer par un effort de volonté. Mais nous pouvons nous changer en suscitant en nous de nouveaux désirs, de nouveaux plaisirs, de nouvelles habitudes, bref de nouvelles motivations.
Ainsi, pour que nous puissions nous changer, il faut que nous instituions nous-mêmes de nouvelles structures qui suscitent en nous une sorte de changement quasiment involontaire.
Et c'est ici que la stratégie du « déménagement » peut s'avérer opératoire et fructueuse. Un déménagement, c'est un changement de structure et de situation grâce auquel on peut se changer. Par la volonté, on peut se décider à déménager, et on peut le faire par un acte de seule volonté. Et ce déménagement nous permettra de nous changer, parce qu'il créera en nous de nouveaux désirs, de nouveaux plaisirs, de nouvelles motivations et de nouvelles habitudes.
Cette décision de « déménager », on peut l'entendre de plusieurs manières. Il peut s'agir d'un changement d'appartement. Mais il peut aussi s'agir de la décision de se transplanter dans une nouvelle structure professionnelle ou conjugale par exemple.

Ainsi on se change en se donnant un nouveau cadre de vie et ainsi une nouvelle lice pour le désir et le plaisir. On décide, par un acte de volonté de changer de vie. Et cette décision de la volonté nous permet ensuite de nous changer sans avoir à le faire par la volonté, puisqu'on se change en « épousant » (par le désir et par le plaisir) la situation nouvelle que l'on a instituée. La situation nouvelle suscite en nous une nouvelle motivation et de nouvelles habitudes.
A cet égard l'histoire biblique de Ruth la Moabite est exemplaire. Ruth, alors qu'elle est Moabite et qu'elle habite le pays de Moab, décide néanmoins de suivre sa belle-mère Noémie, qui, elle est Juive, lorsque celle-ci décide de retourner en terre juive. Et Ruth dit à sa belle-mère juive : « là où tu iras, j'irai ; là où tu t'installeras, je m'installerai ; ton peuple seras mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu » Ruth 1,16. Et dès lors, elle épouse le Judaïsme, la terre juive, et même un homme juif, Booz. Par sa décision de « déménager », elle s'est changée : elle est devenue juive.


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