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Paul Kobisch

21/05/2005
09:49
Ruth plus que jamais terre à terre.



Décidément, l’écologie s’enfonce de jour en jour davantage dans la pauvreté intellectuelle et l’absence de pensée. Le dialogue dont j’ai entendu une partie ce matin, samedi 21 mai, résume toute la philosophie, ou plutôt l’absence de philosophie qui caractérise tous les discours écolos. L’interlocuteur de Ruth, dont je n’ai pas pu saisir le nom et que j’ai cherché vainement sur Internet, est un écolo-type : l’Homme doit se retirer de la nature pour lui rendre sa liberté ! Je comprends que Ruth n’ai jamais répondu à mes mails, contrairement aux engagements que proclame FC à longueur d’antenne, car ma critique est évidemment inadmissible, folle puisqu’elle fait de la nature l’œuvre de l’Homme, non seulement dans le temps dit historique, mais bien avant, depuis ce point insaisissable où l’être humain est devenu « homo sapiens sapiens ». On dirait que ces spécialistes des rivières, des forêts, de la géologie, bref de ce qu’ils appellent avec une véritable idolâtrie « la Nature », n’ont jamais mis un pied dans ce qu’il décrivent, que ce soit la forêt ou l’océan ou encore le désert, lieu privilégié si on se réfère à leur théorie culturelle. Il s’agit là de l’ethnocentrisme classique, non seulement ethnocentrisme mais génocentrisme qui invente la différence nature/culture, c’est à dire qui conceptualise une relation en la transformant en un véritable sophisme.
Quel est ce sophisme ? D’abord : un sophisme est un mensonge. Contrairement à l’opinion qui prévaut dans l’esprit de la plupart des prétendus philosophes, le sophisme n’est pas une simple erreur de logique, elle est volonté avérée de tromper, je ne fais que répéter Platon. Donc où et quel est le mensonge écologiste ? Il est tout entier dans le fait d’encaisser l’Histoire humaine sans la moindre remise en question, sans le moindre doute. Exactement comme Aristote prétend, dans une affirmation sophistique qui domine encore aujourd’hui l’idéologie qui a force de loi théorique et pratique, que l’homme est un être social, politique, de la même manière les écolos posent comme condition absolue à toute réflexion le fait d’admettre la différence radicale entre la nature et la culture. Naïveté que la philosophie qui avance par elle-même, a depuis longtemps renvoyé dans les poubelles de la pensée. Or, l’Histoire n’est elle-même qu’un concept qui ne fonctionne que dans un « environnement » logique déterminé, précisément celui de la non-naturalité de l’Homme, c’est à dire, disons-le tout net, sa filiation divine.
La conséquence de ce sophisme est incroyable : elle place l’homme dans un position d’explorateur forcé et forcené de la planète, de chercheur de sa propre place dans un cadre spatio-temporel transcendantal, c’est à dire totalement coupé de la réalité dite « naturelle ». Or, pour faire court, car il s’agit d’un fil, les sciences ont depuis longtemps démontré la naturalité du tout et la totalisation nécessaire du naturel : l’homme est de part en part naturel, et il a une connaissance immédiate de la réalité que les déformations de la pédagogie des idéologies et des religions ont vainement tenté d’anéantir. Kant est en réalité une sorte de tueur du savoir immédiat, ce que les Romantiques ont parfaitement compris. Alors que ressort-il de cette naturalité totale de l’être humain ? Au moins une chose : on ne peut rien affirmer des connaissances de l’homo sapiens d’avant le néolithique et on peut tout aussi bien affirmer que nos forêts et nos océans sont le produit d’une lointaine culture humaine, et ceux qui ont connu la forêt primitive africaine ne peuvent qu’en être convaincus. Il est vrai qu’il a dû y avoir une rupture de dimension sismique dans la relation qu’entretient l’homme avec son milieu, cette rupture me paraît pouvoir s’identifier comme la décision humaine de se sédentariser, détruisant ainsi une relation de connaissance réciproque que la science aura grand peine à rétablir, si elle a une chance de le faire. Donc, merci pour les discours sur l’innocence de la nature - il n’y a pas de nature sans les hommes - et merci pour le bavardage sur le « retrait » nécessaire de l’homme d’un lieu imaginaire, onirique, qui doit plus au monothéisme du Livre qu’à la poésie où au savoir réel. Pour illustrer mon propos, je convoquerai un souvenir : dans les années cinquante j’ai pu constater dans la forêt de Côte d’Ivoire, combien les « indigènes » connaissaient spontanément cette espace presque infini, combien j’ai été impressionné par leur connaissance détaillée de cette forêt, une connaissance qui allait jusqu’à nommer les individus de cette forêt, c’est à dire chacun des arbres qui la composaient. Relisez Levi-Strauss, vous y trouverez confirmation de la richesse des connaissances « spontanées » des Indiens d’Amazonie, et la précision infinie de ces connaissances, comparée à notre savoir livresque et balbutiant des arcanes de ce qui fait notre planète. Non, nous n’avons pas à nous retirer de la « Nature », nous avons à retrouver le fil du projet qui nous a amenés à l’exclure dans son concept, peut-être pour la reprendre en nous sous sa nouvelle forme issue de ce qu’on appelle improprement l’Histoire. Pour tout dire, je me fiche éperdument des moules perlières, je préfère les perles de l’esprit. Et la Nature sans doute aussi. Bis repetita non placet, mais après tout Ruth égrène bien plus souvent son collier de sophismes que je ne permets d’intervenir pour protester. Alors que ceux qui ont l’impression de me relire me pardonnent, c’est l’entêtement de la Raison.
Paul Kobisch



 
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