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Yann

29/04/2005
22:06
C'est en citant qu'on devient citron

Voici un nouveau fil, pendant naturel aux fils Liseron et Poésie sur Parole, consacré à toutes choses en prose, citations à partager, extraits de romans, petits trésors littéraires à revisiter, phrasillonnes courtissimes ou grands passages gigantasmagoriques… On est toujours surpris en revisitant certains passages de livres qu’on affectionne, parce que notre perception en est toujours différente, et change avec le temps.

Première contribution, un extrait de Suzanne et le Pacifique, de Jean Giraudoux, un peu long, mais ç’aurait été un meurtre que de l’écourter. Suzanne est une petit provinciale du Limousin, véritable fille de l’air, qui s’embarque pour l’Australie. Le bateau fait naufrage (on n’est jamais en sécurité sur un bateau, dans un roman), et Suzanne, seule survivante sur une île du Pacifique, entreprend de décrire ce paradis, qui a l’air de commencer à exister dès qu’elle le nomme . C’est une anti-robinsonne qui « trouve » un Eden taillé à ses besoins . Les goûts, les parfums, les couleurs… C’est un texte de gourmets !
Voici :

« C’est ainsi que l’île s’éveillait… En effet une faible lune passa sans hâte sur tout le ciel un enduit blanchâtre, et subitement le soleil, derrière moi, d’un rayon, d’un nuage chiffon fit tout étinceler… Je me retournai, et vis mon île…
Elle sortait de la brume. Mille arcs-en-ciel levés ou posés de biais joignaient les criques à des mornes. Des bosquets d’arbres à palmes, coupés de frondaisons carmin, scintillaient dans la vapeur d’eau, plus immobiles que le zinc… J’entendais soudain, comme celui de jets d’eau qu’on ouvre au jour, le bruit de cascades… Chaque arbre livrait l’oiseau rouge ou doré qu’il avait gardé toute la nuit en otage pour l’aurore ; et, à dix mètres de moi, je voyais déjà réuni – pour que tout malentendu à ce propos fût dissipé dès la première minute entre la Providence et moi – presque à portée de la main comme un déjeuner auprès d’un dormeur – tout ce qui pourrait jamais apaiser ma faim et ma soif. Des bananiers offrant autour d’eux mille bananes, comme leur mille anses, dont on rompait la pus belle doucement avec la bonté d’un chirurgien qui rompt une côte, heureux aussi au craquement ; des cocotiers plus hauts que les chênes, dont les noix tombaient sur une mousse ou sur des stalagmites qui les faisaient éclater ; des manguiers, et la première mangue que je cueillis était juste à point. Depuis des milliers d’années, la course entre mon destin et celui de cette mangue avait été réglée à la seconde. Un beau soleil vaquait derrière fougères et palmes comme une cuisinière. Ou bien, de rayons séparés et croisés comme les bâtons d’un Chinois qui mange, il harcelait et me révélait de petits ananas et d’énormes fraises. Partout des arbres inconnus, mais qu’on devinait des aliments rébus ; il devait me suffire de patience pour en trouver la solution, pour découvrir entre eux quel était l’arbre pain, l’arbre lait, peut-être l’arbre viande. Des arbres sans fruits et presque sans feuillage, mais cerclés de cercles rouges, qu’on devinait pleins d’abondance, et dont je tapais le fût, pour voir s’ils étaient pleins, de ma main ou d’un bâton. Des arbres qui, à mesure qu’ils étaient stériles, offraient plus franchement leurs dons : des trous d’où sortaient les abeilles, des trous d’où coulait le miel même ; ou bien, à la hauteur d’appui de cet être humain qui jamais encore n’était passé là, des œufs dans des nids. Des tortues arrêtées dans l’ombre, mais tout près de la tache de soleil qui couvait leurs œufs, comme un oiseau mâle près de sa femelle. Entre des arbustes qu’on devinait épices, des herbes qu’on devinait légumes ; des fleurs qu’un instinct me poussait à goûter, qui avaient goût de porcelet, qui étaient nourrissantes. De grandes fleurs pleines d’eau de pluie à la cannelle où je pouvais boire par une paille…, et mes mains, après une matinée dans l’île, sentaient tout ce que sentent, le premier matin de son apprentissage au bar, les mains de la barmaid.
Pour que tout malentendu fût dissipé entre la Providence des parfums et moi, la brise me vaporisait de toutes les odeurs de l’île. Il y en avait de familières, que je retrouvais aussi nettes qu’autour de leur flacon, Rose d’Orsay, Ambre Antique, le Mouchoir de Monsieur ; mais surtout de plus étranges, que je sentais pour la première fois et qui agitaient en moi, à défaut de vrais souvenirs, à vide, la mémoire d’une sauvage. Elles s’attachaient à vous, on devinait qu’elles n’étaient pas stériles, comme en Europe, qu’elles se déposaient sur vous dans un but choisi par la nature. Chaque parfum me poussait hors de son bosquet, comme si j’avais à le fuir. J’allais, prenant sans m’en douter l’île dans sa longueur, allant d’instinct vers le promontoire qui l’avait jadis rattachée au continent, et soudain au-dessus d’un rivage rompu, désespérée, en retard de milliers d’années… Mais la vie montait en moi avec le jour… Un beau soleil attaquait chaque fleur et la cascade d’une lance courtoise. L’oiseau-mouche avait le parfum de la dernière fleur visitée et le bec de sa couleur… Des lianes dorées comme des tuyaux reliaient les massifs, et semblaient y faire circuler entre les arbres abonnés tous les agréments de l’Océanie. Tout le luxe était là, tout le confort que peut se donner la nature par fierté personnelle, dans de petites îles sans visiteurs ; une petite source chaude dans un rocher d’agate, près d’une source froide, dans la mousse ; un geyser d’eau tiède, qui montait toutes les heures, près d’une chute d’eau glacée ; des fruits semblables à des savons, des pierres ponces éparses, des feuilles-brosses, des épines-épingles ; les simulacres en quartz d’or d’une grande cheminée Louis XV et d’un orgue de style moins pur ; une caverne de cristal de roche, dans laquelle se prenait parfois un oiseau rouge qui la faisait scintiller comme une ampoule ; et, surpême confort des îles, tout comme au fond des beaux sous-sol de Poiré et de Groux, au fond de chaque allée toute droite, pavée de corail de deuil et bordée de cocotiers où montaient et descendaient des crabes roses ; amassées contre un petit mont central, des monceaux de plumes rouges et bleues… C’était bien une île. Errant le long de la grève, cherchant un gué, un gué à traverser le Pacifique, le soir j’en avais fait le tour… Deux milles peut-être en largeur, trois en longueur ; de biais dans l’Océan, à ce que le soleil m’indiqua. Le soir même, j’avais gravi la montagne, aperçu – pour que tout malentendu fût dissipé aussi dès le premier jour avec l’Espérance – à deux ou trois kilomètres au sud une seconde île, un peu plus grande, et, à mi-chemin entre celle-là et l’horizon, pour que la route n’en parût point à mon regard même infinie, une troisième, scintillante de grandes lumières vertes comme les arrêts facultatifs des tramways, à Paris… »



Yann

 
dom

30/04/2005
00:57
re : C'est en citant qu'on devient citron

vouais, c'est Robinson Crusoê aux champignons mexicains.
 
w

02/05/2005
12:16
Allô Dali ?

Trop bonne idée, ce fil !
Alors voilà quelques lignes qui ne manquent pas de sel :

«C'est à Paris, et non en Espagne, que j'ai rencontré Salvadir Dali pour la première fois. Assis dans son élégant salon de Neuilly, une comtesse de ses amies dans le rôle de maîtresse de maison, nous écoutâmes un pianiste jouer et chanter une scène de Salomé. Ce qui me donnait du poids à ses yeux - il était très sensible au prestige - c'était que je représentais Covent Garden. Il me parla avec enthousiasme de son désir de créer des effets de théâtre sortis de sa pure imagination. Une fois, il y aurait des lances de pompiers que la pression de l'eau ferait gonfler et bondir jusqu'à épouser toutes sortes de formes extraordinaires ; ou encore un ballet où les danseurs éparpilleraient des centaines de parpluies noirs formant un grand lac, et lorsque le héros - Louis II de bavière - viendrait s'y noyer, tous les parapluies s'ouvrieraient et se dresseraient en même temps, l'immense lac noir devenant son linceul. J'en étais certain : Dali avait tout pour être le plus grand inventeur d'effets scéniques et de machinerie depuis l'âge du théâtre baroque.»

Peter Brook, «Oublier le temps» (Seuil)
 
Agnès

02/05/2005
16:14
re : C'est en citant qu'on devient citron

Bonne idée, Yann, et à la fin, on décerne le "Prix citron"?



 
Yann

03/05/2005
14:54
re : C'est en citronnant qu'on devient citronneron

Ah voui, on voit exactement à quoi ça ressemble peint à la Dali , avec un Louis II tout mou et désarticulé dans ses parapluies noirs.
Pour le prix citron (ben oui, il reste encore à trouver ce que veut dire le titre du fil, damn you jeu de mot trop facile...) pourquoi attendre la fin?
Voici quelques bouts de phrases de Dernier Roman, de "Margarine Peugeot", parodie qui était sortie peu de temps après le Premier Roman de Mazarine Pingeot, et qui est devenue beaucoup plus indispensable que son original:


"Le soleil brille la haut dans le ciel. La nuit, c'est la lune que je vois.

Je parcours dans tous les sens le Quartier Latin. Mes cheveux ondulent sous les caresses du vent. Je hâte le pas. J'ai remarqué que plus je marche vite et plus j'arrive tôt.

Je lève ma plume. Comme j'aime me regarder écrire. Même quand je n'écris plus, c'est encore beau.

C'est le chapitre huit. Depuis cette nuit je ne suis plus une jeune fille. J'ai apporté mon manuscrit à mon éditeur.
-Pour un premier jet, a-t-il dit, ce n'est pas mal.

Il trouve tous mes personnages épatants, criants de vérité, mon style percutant et mes réflexions toujours justes.

-Un mélange de Geneviève Dormal et de Guy des Bus, m'a-t-il assuré. J'ai rosi de plaisir sous le compliment.

Le matin au petit déjeuner, Alexandre met du nutella sur ses tartines. Il a une manière délicieuse, bien à lui, d'accomplir ce geste. Il affirme que mettre du nutella est une opération délicate car, si la couche est trop fine, on n'en sent pas le goût et, si elle est trop épaisse, c'est écoeurant.
Alexandre affirme que l'étalage du nutella est un acte aussi important que la lecture de Diderot ou la visite d'une exposition.

Il a une force de persuasion extraordinaire, j'en suis toute retournée. Alexandre s'est disputé avec Laurianne, mon amie dépressive dont le grand-père était plénipotentiaire, qui soutient que rien ne vaut la gelée royale. Ils ont failli en venir aux mains. C'est vraiment beau de tenir autant à ses idées."

Yann


PS: Suzanne et le Pacifique, c'était calculé pour correspondre avec tout ce que la saison apporte, en plus du soleil. Mais si en plus il y a moyen d'y ajouter des champignons mexicains...
 
A

03/05/2005
15:48
re : C'est en citant qu'on devient citron


 
Clopine Trouillefou

03/05/2005
16:09
re : C'est en citant qu'on devient citron

« - Vous rendez-vous compte, je vais là-bas pour leur construire une école, et quand ils me voient arriver les gosses ramassent des cailloux.

Il reprit en souriant : « Une Ecole ! »

Je crois que l’Américain respecte beaucoup l’école en général, et l’école primaire en particulier, qui est la plus démocratique. Je crois qu’au nombre des Droits de l’Homme aucun ne lui paraît aussi plaisant que le droit à l’instruction. C’est naturel dans un pays civiquement très évolué où d’autres droits plus essentiels sont assez garantis pour que l’on n’y songe même plus. Aussi, dans la recette du bonheur américain, l’école joue-t-elle un rôle primordial, et dans l’imagination américaine, le pays sans école doit-il être le type même du pays arriéré.Mais, les recettes du bonheur ne s’exportent pas sans être ajustées, et ici, l’Amérique n’avait pas adapté la sienne à un contexte que d’ailleurs elle comprenait mal. C’était l’origine de ses difficultés. Parce qu’il y a pire qu’un pays sans école : il y a des pays sans justice, ou sans espoir. Ainsi Tabriz, où Roberts arrivait les mains pleines et la tête bourrée de projets généreux que la réalité de la ville –car chaque ville a la sienne –démentait chaque jour.

Revenons à l’école de Roberts. Voici comment les choses se passaient : il offrait gratuitement le terrain, les matériaux, les plans et les conseils. De leur côté, les villageois, qui sont tous un peu maçons, fourniraient la main-d’œuvre et construiraient, avec une belle émulation, le local où ils auraient le privilège de s’instruire. Voilà un système qui fonctionnerait à merveille dans une commune finnoise ou japonaise. Ici, il ne fonctionnait pas, parce que les villageois n’ont pas une once de ce civisme qu’on leur avait si promptement prêté.

Les mois passaient. Les matériaux s’évanouissaient mystérieusement. L’école n’était pas construite. On n’en voulait pas. On boudait le cadeau. Il y a bien de quoi écoeurer les donateurs, et Roberts était écoeuré.

Mais les villageois ? Ce sont des paysans assez misérables, soumis depuis des générations à un dur régime de fermage féodal. D’aussi longtemps qu’ils s’en souviennent, on ne leur a jamais fait pareil cadeau. Cela leur paraît d’autant plus suspect que, dans les campagnes iraniennes, l’Occidental a toujours eu réputation de sottise et de cupidité. Rien ne les a préparés à croire au Père Noël. Avant tout, ils se méfient, flairent une attrape, soupçonnent ces étrangers, qui veulent faire travailler chacun, de poursuivre un but caché. La misère les a rendus rusés, et ils pensent qu’en sabotant les instructions qu’on leur donne, ils déjoueront peut-être ces desseins qu’ils n’ont pu deviner.

En second lieu, l’école ne les intéresse pas. Ils n’en comprennent pas l’avantage. Ils n’en sont pas encore là. Ce qui les préoccupe, c’est de manger un peu plus, de ne plus avoir à se garer du gendarme, de travailler moins dur ou alors de bénéficier davantage du fruit de leur travail. L’instruction qu’on leur offre est aussi une nouveauté. Pour la comprendre, il faudrait réfléchir, mais on réfléchit mal avec la malaria, la dysenterie, ou ce léger vertige des estomacs vides calmés par un peu d’opium. Si nous réfléchissons pour eux, nous verrons que lire et écrire ne les mèneront pas bien loin, aussi longtemps que leur statut de « vilain » n’est pas radicalement modifié.

Enfin, le mollah est un adversaire de l’école. Savoir lire et écrire, c’est son privilège à lui, sa spécialité. Il rédige les contrats, écrit sous la dictée les suppliques, déchiffre les ordonnances du pharmacien. Il rend service pour une demi-douzaine d’œufs, pour une poignée de fruits secs, n’a pas envie de perdre ce petit revenu. Il est trop prudent pour critiquer le projet ouvertement mais le soir, sur le pas des portes, il donne son opinion. Et on l’écoute.
En dernier lieu, on n’entrepose pas sans risque des matériaux neufs dans un village où chacun a besoin de briques ou de poutres pour réparer ces édifices dont l’utilité est évidente à chacun : la mosquée, le hammam, le four du boulanger. Après quelques jours d’hésitation, on se sert dans le tas, et on répare. Désormais, le village a mauvaise conscience, et n’attend pas le retour de l’Américain avec plaisir. Si seulement on pouvait s’expliquer, tout deviendrait simple… mais on peut mal s’expliquer. Quand l’étranger reviendra, il ne trouvera ni l’école, ni les matériaux, ni la reconnaissance à laquelle il s’attend, mais des regards fermés, fuyants, qui n’ont l’air au courant de rien, et des gosses qui ramassent des pierres sur son passage parce qu’ils savent lire le visage de leurs parents ».

Nicolas BOUVIER, « l’usage du monde », voyage entre la Suisse et l’Afghanistan, 1953-1954, oui vous avez bien lu, 1953-1954….

Clopine T

 
GT

04/05/2005
18:54
re : C'est en citant qu'on devient citron

Quelques expressions de René Fallet dans "les vieux de la vieille" (pérégrinations de 3 vieux potes qui passent beaucoup de temps à boire, évidemment):

"Blaise, sacré gibier de pressoir !"

Ces trois gosiers taillés dans l'éponge eurent tôt pompé le litre.

"Si j'étais le directeur du choléra, tu ne ferais pas long feu sur la planète".

Poulossière et Péjat suivirent la même idée à une allure de court-circuit.

Il avait une tête de rêve pour guillotine.

... le tout en hurlant des insultes à faire rougir des murs de WC.

Dans un autre René Fallet (je ne sais plus lequel), il y avait aussi une jeune fille qui disait quelque chose comme :

"Avec vos manières, il va falloir qu'on se mette à porter des culottes en peau de hérisson..."

Ambiance de rêve pour un petit . Grouik !

 
vile toque

04/05/2005
20:06
re : C'est en citant qu'on devient citron

d'André Santini : "Juppé est tellement bas dans les sondages qu'il va finir par trouver du pétrole"
 
La reine des belges

04/05/2005
22:53
Georges Kolebka est grand

Texte lu par BJ en intro des papous, un dimanche de 96 ou 97
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Notice de chambre

La porte de la chambre s'ouvre et se ferme. Pour ouvrir il suffit d'introduire la clavette dans le débouche puis, tout en empoignure de la grosse rondelle située au dessus du débouche et en tournant deux mêmes muscles bougeant la clavette dans le débouche pousser la porte. Pour fermer, poussage en sens inverse direction couloir et donner un tour à la grosse rondelle en sens inverse des aiguilles d'une clock bracelet. Sécuritairement il existe un lock de barre qu'on basculera dans la gachette fixée en porte.

La salle de baignade équipée d'un jaccuze moderne et tourbillonnant, d'une arroseuse verticale
d'une conque de propreté, d'un bassin intime, d'une petite rangerie et d'une commodité. Une flèche de couleur différente est apposée non loin de chacun des apparates. Cette flèche les désigne avec précision sans qu'il soit possible de commettre de maladresse. Pour les apparates membrés d'un robinet, le préhensement est facilement discernable. Le tourniquet marqué d'un point rouge sur sa calotte indique de l'eau chaude qui sortira. Celui marqué d'un point bleu : eau froide. Il n'y a jamais de surprise. Pour mélanger les deux eaux par exemple pour le jaccuze ou la conque de propreté, entre les deux robinets comme vous le noterez d'un clin d'oeil repose une petite roue de bicyclette pleine chacun des rayons de la petite roue de bicyclette est représenté par un trait. La roue tourne dans le sens des aiguilles d'une clock bracelet.

Pour le bassin intime madame devra bien se conformer au petit trait de la roue de bicyclette sous peine d'avoir des surprises intimement ce qui est toujours du plus entier désagrément concernant les parties indiquées.

La commodité : la vanne de nettoyage se manoeuvre d'une seule main. Elle est à deux vitesses . La première vitesse contient les liquides. La seconde est à destination des manières solides dans toutes les circonstances la vanne doit être employée de bonne main et subir du bras une force de hauteur vers le bas afin de désituer le mécanisme intime de la libération des eaux.

La téléobjectif pour le bon fonctionnement de laquelle une maniquette est en disponibilité sur la table basse.

Si vous aspirez à regarder; il est de bonne aisance d'appuyer sur le bouton poussoir soleil. Ce que vous voyez devant bougeant et bleu c'est la mer. On peut clicher il ya belle vue madame se positionne devant et monsieur prend le clichage. Ensuite l'inverse. Vous aurez du désopilement ou de l'intéret en revoyant vos clichages de retour à la maison.

Un bon souhaitement au grand hotel excelsior vous est présenté par cette présente.


Georges Kolebka - Grand Hôtel Excelsior (Eds Plurielle - Rigoureusly épuised since quasi le début)
 
GT

04/05/2005
23:20
re : C'est en citant qu'on devient citron

super bidonance de mézigue votre servieteur (sic, laissons la coquille séchante autour de Saint-Jacques) au cours de lecturation de icelle précendente royale contrizablution. Wouarf multiples de Ploudal à la Cyberie orientale.
Grouik
 
CA

17/05/2005
01:36
Marguerite Duraille

Oooouuuuuups, faisons vite vite remonter ce fil.

Juste une récré pour les travailleurs qui poussent leur wagonnet au fond de la mine (ils se reconnaîtront) et pour les autres aussi !

La parodie n'a pas toujours très bonne réputation. Souvent considérée comme un sous-genre (détournement burlesque d'une œuvre sérieuse, genre héroï-comique), elle offre pourtant de grands plaisirs de lecture et d'écriture.

L'ennui , c'est que pour certains auteurs, la parodie est tellement évidente, qu'elle en devient trop facile et perd tout intérêt. Pour certains auteurs, on en vient à se demander parfois si la parodie est bien nécessaire et s'ils ne se sont pas parodiés eux-mêmes.

La parodie a connu des âges d'or (XVIIème, XIXème, pour celles que je connais – Hugo est l'un des auteurs les plus parodiés qui soient) mais semble de nos jours quelque peu délaissée (sauf sur DDFC, dirait-on).

Patrick Rambaud, qui excelle dans l'exercice, a donné quelques parodies assez désopilantes. Voici quelques extraits de sa grandiose Marguerite Duraille. Il n'a pas dû faire beaucoup d'efforts pour la parodier, la Margoton. Bon, d'accord, je suis de mauvaise foi, j'aime pas Duraille.

********************************
Quelques titres



* Le Roland Barthes sans peine, par Burnier / Rambaud, Balland, 1978,

* Marguerite Duraille, Viriginie Q , roman, présenté par Patrick Rambaud, publié chez Balland, 1988. La couverture imite une couverture des Éditions de Minuit (blanche, liséré et caractères bleus ).

* Bernard Pivot reçoit Breton, Céline, Cendrars, Vian , Queneau, "Peut-on tout dire ? " et Camus, Cocteau, Malraux, Mauriac, Sartre, "À quoi servent les romans", Deux "Apostrophes" imaginées par Patrick Rambaud, Balland, 1989.

* Elena Ceausescu, Carnets secrets, éd. présentée et établie par Patrick Rambaud et Francis Spizner, Bibliothèque de la Securitate, bdf. Flammarion, 1990 (pastiche des couvertures des éditions de La Pléiade avec portrait en médaillon d'E. C. (moue horriblement maussade). Gallimard a fait un procès et les livres ont été détruits. J'en ai acheté cinq d'un coup, comptant assurer ma retraite là-dessus, n'en ai gardé qu'un, misère)

* Burnier & Rambaud, Le journalisme sans peine, Plon, 1997


************** Marguerite Duraille : extraits***************


Début : " C'est comme ça que ça aurait l'air d'avoir commencé.
On va voir le fleuve. ça se voyait que c'était fini, l'été. On a mis les moufles pour avoir chaud parce que c'était clair que le temps avait fraîchi. C'était la Meuse, en hiver, sûrement et c'est pour ça sans doute qu'au nom du village de Colombin quelqu'un il y avait longtemps avait rajouté sur Meuse. Une fois on m'a expliqué ça. On ne pouvait pas se tromper. Il y avait Colombin. Il y avait Meuse. C'était Colombin-sur-Meuse que ça se nommait à cause de ça.

[...] Ils se taisent. Ils ne se parlent pas. Lui, il ne dit rien, à elle. Elle, elle est distraite comme elle est muette. Il a froid. Ses lèvres à elle sont gercées. Elle regarde autour d'elle, et elle, elle voit déjà la lumière jaune du Bar des Amis. il n' avait que ça à voir, dans l'obscurité, cette lumière-là.
À l'intérieur, les tables sont posées comme pour ceux qui voudraient s'y asseoir devant, et puis il y a le comptoir, et puis il y a les bouteilles devant le comptoir. On les regarde. Tout à coup, le Patron, devant nous, avec son tablier bleu, qui nous regarde aussi, lui, comme si on devait s'installer à ces tables, comme si tout était ordonné près du calorifère là où on pouvait réchauffer oes mains glacées quand dehors il y avait le froid.

p. 19 [...] Lui, le Patron, il les questionne sur le menu qu'ils auraient décidé de choisir s'ils avaient lu l'ardoise des plats proposés, là-bas, très loin, sur le comptoir accrochée. Il dit, le Patron :
- C'est un menu à 68 francs prix net.
Elle dit :
- Dès que je ferme les yeux je ne vois plus rien.
Elle ajoute :
_ Rien. Plus rien. Je ne vois rien.
C'est encore long avant qu'ils rouvrent les yeux pour elle et pour lui les lèvres quand il parle à elle :
— Si , tu vois quand même.
— Non, je ne vois rien.
— Si, tu vois qu'il n'y à rien à voir.
Et le Patron, il dit;
— Et moi, je vois qu'il faudrait savoir.
Il a un air de fureur inexpliquée. il a les poings fermés aux hanches. Sa voix gronde. Il fait peur de tout lui-même. Elle dit :
— Quand la lumière est vive on voit mieux que dans le noir.

p. 22 : Le patron dit :
— Sont pas frais mes harengs ?
— Ils sont morts, les harengs.
Le Patron, il repart une autre fois, et elle elle croit l'entendre murmurer des mots terribles, comme : heureusement, ou : C'est heureux.

p. 36 : C'est le patron ensuite qui s'est approché en marchant. comme plusieurs fois déjà il s'était approché. Il a l'air très seul. Plus seul qu'eux qui étaient deux. la solitude, elle est autrement quand on est plusieurs, parce qu'alors on n'est pas vraiment complètement seuls. Et il a dit, le Patron. :
- Poule au riz ? Steack au poivre ?
Vous saviez que le riz étoufferait la poule et que c'est le poivre qui démangerait le bœuf dont auquel on avait tranché un bout des flancs. Vous avez souri courageusement. Vous cachez la répulsion que vous inspire l'image de l'animal qu'on a découpé. Vous imaginez le bœuf qu'on a découpé. Vous imaginez le bœuf qui picore et la poule qui gambade avec ses côtelettes en dehors, le gros animal qui s'effondre. La volaille qui appelle au secours.
Le patron vous regarde. Il ne devine pas vos doutes, lui, qui reste debout plus grand que vous assise. Sauf qu'une fois, au cirque, vous aviez vu un nain, debout qui était plus petit qu'un géant qui était assis. Ça n'était pas le cas, ici, au Bar des Amis. Déjà quand vous étiez debout le Patron il était plus grand. C'était comme ça. Ça d'ailleurs, ça vous révoltait parfois. Plus encore que la révolte c'était l'absence de la révolte qui vous alourdissait l'âme. Vous avez dit :
— La poule, forcément la poule.
Lui, il a choisi la poule aussi, parce ça se voyait qu'il pensait à vous. Que son regard il se penchait vers vous par au-dessus l'assiette. Comment dire tout ça... c'était riche. c'était plein... L'intensité les foudroyait, eux. Le Patron est reparti pas du tout foudroyé, lui. Il a poussé un cri vers la cuisine, derrière. Et il a retraversé la salle, le patron, comme il l'avait fait plusieurs fois. La poule, elle, elle allait traverser aussi la même salle mais qu'une fois, et pour s'offrir. Même déjà plus moribonde. Prête aux dents. Nappée d'une sauce blanche épaisse comme une mariée. Elle offrirait sa cuisse tiède. Faudrait-il y mordre vraiment ?

Suite domani domani.



 
A.

17/05/2005
07:42
re : C'est en citant qu'on devient citron


 
w

17/05/2005
10:09
Mouaaaarffff !

Décédée de rire itou !

ça me fait bien plaisir, qu'il ait fini par avoir du succès, Rambaud ! En voilà un qui se la pète pas.

je me rappelle, il y a longtemps, avec ma môman nous étions allées chercher chez son zappartement parisien de l'époque un hénaurme bouquin acheté en primeur, une somme sur Champollion.

Maintenant il est surtout exilé en Normandie.

 
w

17/05/2005
10:12
Précision

Nan. C'est pas Champo qui est en Normandie.

 
GT

17/05/2005
14:41
le retour de la revanche du fils de Rambaud 2

Sacré Patrick Rambaud.
J'avais aussi acheté ce Virginie Q. à l'époque (ça ne date pas d'hier je crois) parce que la Marguerite me met en joie presqu'autant que la peinture pompier.
Je me souviens vaguement aussi d'un dialogue avec un boxeur dans ce livre.
J'ai malheureusement perdu un enregistrement mémorable d'icelle où l'on avait droit à un magnifique vol dans la haute philosophie. On y goûtait à l'ivresse de la pesanteur (Duras, du reste, durant une pesante heure, bien sûr).

Mais puisqu'ici il faut citer, citons :

"On commence par tuer sa mère, et on finit par voler la cathédrale de Chartres."
(Achille Chevet)
Je ne suis pas sûr de l'orthographe du nom (connu ?). C'est une citation faite par Bertrand Jerôme dans une de ses savoureuses petites chroniques des Papous.

GT , à propos duquel on pourrait ajouter :
"à poisson qui cause, petit cochon peu rose"
Raymond Queneau, dans Les Fleurs Bleues, et ceci pour faire plaisir à CA, car elle le mérite.

 
Yann

17/05/2005
23:30
re : C'est en citant qu'on devient citron

Grande poilance idem merci CA!
Pour ceux qui pensent que Rambaud exagère un peu (il y en a?), allez-donc lire le Marin de Gibraltar de Margueras Durite, et sans rire une seule fois!

Les mineurs reconnaissants
(sans la voiture et avec la caravane plein de charbon)

Yann

 
La reine des belges

24/05/2005
10:40
Roland Dubillard

Gaspard a un domestique spécial pour ses pensées :
- Eugène dites moi ce que je pense ?
- Monsieur répond le domestique, il n'y a qu'à vous regarder pour le savoir. Vous pensez que tout ne va pas pour le mieux, et vous vous demandez comment ça va finir.
- Et à mon avis, comment ça va finir, Eugène ?
- Oh, Monsieur, vous n'en savez rien. Comment voudriez vous avoir un avis précis la-dessus, dans la situation où vous êtes, avec l'éducation que vous avez reçue ?
- Eh oui !... Tout ça ... Et alors, Eugène ?
- Eh bien si Monsieur me permet de lui dire le fond de sa pensée...

Quelquefois, Gaspard mécontent change de valet de pensée.

[...]

Sans son valet de pensée, Gaspard tombe dans une grande hébétude. Il fait des efforts pour penser quelque chose mais quoi ? Alors il dort ; ou s'il ne peut pas dormir il sonne. Alors son valet accourt et dit :
- Monsieur s'inquiète, il ne sait que penser. Il se demande comment font les autres, qui ont l'air de penser tout seuls. Mais en réalité Monsieur sait bien qu'ils font semblant.
------------------------------------------------------------------------ ------------------------------------------------
(Roland Dubillard - Carnets en marge - Gallimard Coll Bl. Oct 1998)
Ce texte, peut-être repris dans "La maison d'os" (?), figure dans le carnet de Mars 54 à Juillet 55
 
CA

27/05/2005
01:21
Récré

À cette heure ?
Si, si, à cette heure, il y a plein de gens qui travaillent à cette heure

***************************************************

Pour faire passer définitivement la nostalgie des joyeux régimes de l'Est, voici les Carnets secrets d'Elena Ceaucescu, un grand document historique, dans l'édition présentée par Patrick Rambaud, auteur de la Marguerite Duraille citée plus haut, et Francis Szpiner.

Ces Carnets secrets ont été saisis par la Securitate de Gallimard, au motif qu' ils imitaient un peu trop bien, le papier bible en moins, les fameux et onéreux Albums de la Pléiade.

Vous m'offririez le Pérou que je ne vous donnerais pas le seul exemplaire que j'aie pu conserver de ces Carnets. J'ignore s'il y a eu un retirage depuis, dans tous les cas, sous la présentation initiale, impossibol.


* : * : * : * : * : * * : * : * : * : * : *

Elena Ceausescu, Carnets secrets, éd. présentée et établie par Patrick Rambaud et Francis Spizner, Bibliothèque de la Securitate, bdf. Flammarion, 1990.

p. 12, sq.

Le Danube de la Chimie

[...] Hier, j'étais au laboratoire du professeur Chimiescu. Nous avons étudié le comportement animal du point de vue scentifique , c'est-à-dire marxiste-léniniste, ainsi que ses applications éventuelles sur la psychologie des masses. Nous voulions savoir les conséquences des stimulations externes.
Le plus difficile, ça a été de fixer les électrodes sur la patte de la mouche. Après, tout est devenu clair. J'ai crié : "Saute ! " et Chimiescu a envoyé une décharge électrique. Et la mouche a sauté ! Ensuite, nous avons coupé la moitié des pattes de la mouche avant de refaire la même opération. La mouche a refusé de m'obéir. Chimiescu et moi avons conclu que lorsqu'on coupe les pattes d'une mouche elle devient sourde.
C. 26. 1977

Expérience

La Securitate (8) m'a livré un lot de prisonniers de droit commun d'origine hongroise (9). Ils ont été démoncés par leurs voisins comme des agents de l'étranger et ils écoutaient régulièremnt Radio Free Europe (10) Chic ! Nick m'a autorisée à les utiliser pour mes expériences. Ça va me changer des mouches !
C. 26.1977.

Réussite complète.

J'ai refait avec les Hongrois ce que Chimiescu m'a montré avec les mouches. Ça marche ! Comme les insectes, les hommes deviennent sourds quand on leur coupe une jambe. Etudier maintenant le problème des cul-de-jatte. demander à la Securitate de me fournir un spécimen, ou à défaut, de m'en fabriquer un.
C. 26. 1977.

Déduction

Quand on veut interroger un ennemi du peuple, il faut éviter de lui broyer les jambes, sinon, il n'entend plus les questions qu'on lui pose. Que se passe-t-il si on lui coupe les mains ?
Je vais étudier le sujet plus à fond.
C. 26.1977.

p. 20, sq. : On attend le président français et sa dame (22)
C. 31. 1977

Cadeaux :

Je déballe mes cadeaux officiels à la hâte ! Déçue. Deux diamants ridicules montés en boucles d'oreilles et une statue de plâtre sans bras ! (23).
C. 31. 1977

Politesses

La présidente a trouvé très chic notre nouvelle salle à manger hsipano-gothique blanche et or. Son époux a longuement admiré les armes marocaines anciennes que le Bédouin (24) nous a offertes l'an passé. Elles sont même signées par l'artiste. (25).
Tout se serait merveilleusement passé si Nick n'avait pas cassé un verre en s'essuyant les doigts à la nappe. "Du verre blanc, ça porte bonheur", a dit le président français. Un homme exquis, quoique presque chauve. il a dû utiliser de mauvais shampooings.
C. 31. 1977.

Écoutes

Generalu me transmet ce matin les bandes enregistrées à l'insu de nos hôtes, dans leur chambre du premier étage (avec la vue sur les sapins). " Quel goût à chier ! " a dit le président. "Je ne vous le fait pas dire ", a répliqué sa dame. Elle a même soupiré. Le traducteur m'a affirmé qu'il s'agissait d'une marque d'admiration, ce que l'intonation des voix ne révélait pas. Que pouvaient-ils admirer ? Sans doute la décoration . Je les ai logés exprès dans cette chambre fraîchement repeinte en jaune moutarde, avec un mobilier libanais incrusté d'angelots.
C. 31. 1977.

Bons usages

Pour faire plaisir à Nick, et donner une image brillante de la Roumanie socialiste, j'ai retenu quelques mots de français. Quand la dame du président nous a rejointe dans le parc, sur le terrain de volley (26), je lui ai dit " À chier, votre robe". Elle m'a répondu du tac au tac : "Givenchy".
C. 31. 1977

Chasse à l'ours

Le président français a perdu contre Nick au volley-ball. Il attendait en fait la chasse à l'ours que Nick lui avait promise et pour laquelle il était venu. Depuis quinze jours deux bataillons de l'armée essaient de trouver un ours dans les Carpathes mais j'ai l"impression que Nick a tué les derniers il y a un mois.
Il a fallu se débrouiller. Nous avons cousu des Hongrois [...] dans des peaux d'ours réquisitionnés dans le stock de costumes du Théâtre national. Après, on les a lâchés dans la nature. Le président français en a tué trois et seulement blessé le quatrième, qu'on a dû achever pour pas qu'il cause.

J'ai tremblé quand le président français a dit : "Et maintenant voyons les dépouilles de ces monstres ! ". J'ai eu un haut-le-corps, j'ai cru un instant que notre hôte parlait de Nick et de moi ! Bien entendu, nous sommes repartis à Bucarest sur-le-champ. On nous apportera ce soir, des trophées empaillés (ceux du Muséum ? ).
C. 31. 1977.

Un poète sournois

Le jeune Emil Focu (28) a composé sur moi un joli poème que voici :

Vertu sociale de notre peuple
Illumine de ta science Infuse
Et de ta Tendresse Maternelle
Infiniment dans l'Histoire
L'Avènement de cet Homme Nouveau
La Gloire Permanente du Guide Suprême (29)
Et Danube de nos pensées misérables

Sauve la Roumanie de l'Enfer bourgeois
Apporte-nous ta Solution Finale
Le Paradis communiste enfin fleurit
O Elena, Mère des Carpathes
Protège-nous de l'Étranger retors
Et Garde-nous dans ta sécurité ! (30)

¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨¨

NOTES

(8) Sorte de garde prétorienne très bien armée qui peut intervenir n'importe où et n'importe quand pour faire n'importe quoi. (Syn. : Gestapo, KGB, etc. )

(9) Hongrois : importante minorité implantée en Roumanie depuis l'époque romaine. La majorité, d'origine thrace, déteste cette minorité qui, en retour , apprécie peu la majorité.

(10) Radio de la CIA américaine qui diffuse des émissions d'information dans les pays qui en sont privés.

......

(22) Compte tenu de la date du carnet, il doit s'agir du président Giscard d'Estaing.

(23) En fait, une réplique de la Vénus de Milo sortie des ateliers du Louvre. On la retrouvera dans la maison de Bucarest, boulevard du Printemps.

(24) Voir note 17.

(25) Ce qu'Elena prend pour la signature, c'est la marque de fabrique, made in Japan.

(26) Sport préféré du Conducator.

.....

(28) Emil Focu (1965-1988), dit "Le Minou Drouet des Balkans", fils d'un membre du Comité Exécutif du Parti. S'exile aux Etats-Unis en 1987. meurt écrasé en traversant une rue de Houston, Texas.







 
AArgh!!!

31/05/2005
16:53
re : C'est en citant qu'on devient citron

D'une brûlante actualité:
QUI est "l'enfant-poème" ?

« Pareil à l’enfant primitif, au rendez-vous des puissances tutélaires et des forces augurales, autour du feu crépitant des rimes douces ou sèches, je convoquais les faces sacrées, les mains élues, les noms glanés sur les chemins buissonniers du premier âge, quand tout reste encore à inventer. Pour rien au monde l’enfant-poème ne se fût séparé de son invisible et secrète armure, pas plus qu’il n’eût imaginé de plus beau goûter, de plus grand trésor. Il y avait l’espace infini, les lucarnes du ciel et de la mer. Il y avait l’absence et l’effroi, et pour les conjurer, tous ces mots de couleur. »

 
A.

31/05/2005
22:04
re : C'est en citant qu'on devient citron

Super approximatif: emphysème puant...
Je répète, la question est d'une BRULANTE actualité...

 
CA

31/05/2005
22:16
C'est en rimant qu'on devient rimarien

Villepin ?
C.
 
Agnès

31/05/2005
22:20
Lauriers



 
dom

31/05/2005
22:26
re : C'est en citant qu'on devient citron

continuez lol, j'aime bien vous lire je ne peux rien y mettre parce que je n'ai pas la culture neccessaire, moralité c'est pas parce qu'on ne repond pas qu'on ne vous lis pas.
en plus commenter, l'enfant poeme c'est la panne seche et le desert
 
Louise

31/05/2005
22:51
re : C'est en citant qu'on devient citron

Oh Agnès, c'est une citation tirée des oeuvres de Villepin ? C'est ça ?
 
Yann

31/05/2005
23:54
re : C'est en citant qu'on devient citron

Je pensais à Eluard au début (bravo CA) Baste! Bon ben c'est Paul qui va être content, Villepin va pouvoir contre-attaquer contre le Complot International Pour Etouffer La Poésie qui n'a sévi que depuis trop longtemps. Vous pensez qu'il va redonner à Polésie sur Parole ses lettres de noblesse?

Yann

 
A.

01/06/2005
00:22
re : C'est en citant qu'on devient citron

Oui, Louise, en revanche, je ne peux pas dire laquelle, pour ma part, je l'ai tirée du Jourde et Naulleau - cité abondamment sur le fil "liseron" et un autre (Christine Angot?) - où il est désigné dans une bibliographie fantaisiste comme "l'ampoulé roti"... J'en aurais bien remis une louche ce soir, mais chaque fois que je sors ce bouquin, on me l'emprunte incontinent. Si donc qun veut prendre la suite, il y a un exercice de Villepin à traduire en français que j'adore.

 
w

01/06/2005
15:58
Ampoulé roti

Agnès, les illustrations ont été... époustouflantes !
Il faudrait envoyer à Dominique (non, pas à toi, Dom, of course !) la version à coloriser, ça le détendra, avec ses nouvelles attributions, le pôvre.

Je cite à nouveau Burnier et Rambaud dans Le journalisme sans peine :

«le journalisme doit impérativement se distinguer de la littérature, genre secondaire et plaisantin avec lequel il n'a aucun rapport»
Et toc.
Ca me rappelle pendant la semaine Martin Heidegger il y a peu, sur FQ, un participant dont j'ai oublié le nom a traité en qq minutes Bourdieu de plaisantin et Deleuze de léger.

Plus tard, je mettrai bien ici quelques mots extraits du chapitre «Notre ami le franglais» avé les versions bilingues. Mais c'est mercredi et chuis esclave extra-scolaire.


 
w

01/06/2005
17:27
Traduction

Franglais ordinaire

Week-end non stop avec Daisy

Le week-end, j'ai un planning d'enfer, et là, j'étais surbooké. Total speed, je devais filer au golf pour driver Bob sur un business. A cinq heures, je savais le surprendre sur le green en train de tenter ses nouveaux clubs.

Personne.
Au Club-house, le barman ne l'avait pas vu. Au fil, sa girlfriend m'a répondu, très cool, que Bobby n'était pas au top, stressé comme un rat. Trop de shit ? J'accours. Je le trouve dans son cosy, ce roi du management, avachi devant des spots de pub. Je lui dis :


- Tu vas finir par regarder des matchs de foot !

Français extra-pur

Vacances hebdomadaires sans interruption avec Guiguite

Samedi et dimanche, j'ai un emploi du temps chargé, et là, j'avais l'agenda truffé de rendez-vous. Complètement rapide, je devais filer au golf pour expliquer un boulot à Robert. A cinq heures, j'allais le surprendre sur le vert où il devait essayer ses nouvelles houlettes.
Personne.
A la réception des houlettes, le préposé aux boissons de comptoir ne l'avait pas vu. Au téléphone, son amie-fille m'a répondu, très fraiche, que Robert n'était pas en forme, secoué comme un rat. Trop de caca ? J'accours. Je le trouve dans son meuble d'angle, ce roi de l'organisation du travail et de la vente, avachi devant les minimétrages de réclame. Je lui dis :
- Tu vas finir par regarder des tournois de pieds !

Burnier & Rambaud, LJSP, Plon

 
A

09/06/2005
23:50
re : C'est en citant qu'on devient citron


 
Yann

21/06/2005
16:31
BJFT & Quignard

Zischön Mabüse, on n'a pas encore cité la bien extraordinaire anthologie des Papous et des Décraqués (Gallimard / France Culture, 2004) ?! Voilà qui doit se rattraper immediatamente. J'ai choisi l'épilogue d'un des romans interactifs écrit par Hervé Le Tellier - pas pour que vous ne compreniez rien à cause du contexte, mais parce qu'on y trouve une parodie géniale de Pascal Quignard (et aussi parce qu'il y a un parfum de vacances).
Pour le contesque, donc, le narrateur de l'histoire, qui s'est inscrit à un circuit touristique intitulé "Psychanalyse et tourisme. Sur les traces de Freud en Italie", se retrouve ballotté de groupe en groupe, parce que personne ne parvient à le supporter très longtemps . Juste avant l'épilogue, les "disciples du groupe Lacan Les Vacances le ligotent et le jettent dans un autre groupe de 'Peinture et Tourisme, sur les traces de Pascal Quignard: le sexe et l'effroi en Emilie'."
Et donc voici ce que ça donne:

"Le guide du groupe vient vers moi et me dit:
- Par ce qu'on éprouve de la corde, on connaît le lien de la chair et du lin qui est celui de la lettre et la page. Ne parlez pas. Ce que vous éprouvez du ligotement ne se transporte pas dans ce qui s'énonce.
- Oui, est-ce-qu'on pourrait tout de même faire quelque chose, parce que les lacaniens m'ont serré très fort les poignets?
Une jeune fille blonde, derrière le guide, s'approche et dit: 'le corps sous la corde n'est pas le lin du filin et le jour sur la Terre n'est pas le mot sur la page. Les mots dans la bouche ne sont pas ceux dans la langue. La page est imprononçable.
- D'accord, mais il suffirait juste de défaire ce noeud, là, qui me coupe le sang...'
Un homme un peu gros et chauve, en sueur, éloigne la jeune fille et annonce:
- Le noeud du désir est un enroulement tumultueux qui exige l'absence et rejette loin la ponctuation. Le noeud est le silence de la corde, il ne naît pas, pas plus qu'il ne meurt. Le noeud est. Sans noeud dans la corde à noeuds, qui pourrait affirmer qu'il y aurait une corde après les noeuds?
Peu à peu, je meurs étouffé dans le lien des lacaniens. "

Comme les phrases de Quignard, on sait qu'on va forcément en retirer quelque chose, mais pas avant de les avoir relues trois ou quatre fois en essayant de schématiser les concepts qui "se transportent", "se lient", "se substituent". La phrase "ce que vous éprouvez du ligotement ne se transporte pas dans ce qui s'énonce" est bien celle qui est la plus représentative du style quignard (des mouvements conceptuels les uns vers les autres). Mais c'est assez difficile à faire! Et la parodie est brillantissime.

Yann

 
w

21/06/2005
19:37
re : C'est en citant qu'on devient citron


J'adore ce RI «ton nom de Signorelli...», que j'avais transformé en «ton nom de Rigoletto» dans le fil RI pendant les épisodes loulouesques. Je résisterai à la tentation d'en ajouter une couche avec «ton nom de Simonetta dans une radio déserte», par exemple. ;-)

et hop, un mini hors-sujet, taguons-en partout :
http://sosfranceculture.free.fr/
 
Yann

21/06/2005
19:48
re : C'est en citant qu'on devient citron

Ah, il faut que j'aille relire la joute louloutesque alors !

Un hors-sujet en cache toujours un autre:
http://sosfranceculture.free.fr/

Yann

 
Agnès

07/07/2005
20:07
Sur les conseils de Yann

sur le fil "Liseron":
[…]
- Pas étonnant que vous ayez faible opinion de nous si vous la fondez sur nos programmes de radio. La plupart sont puants, je vous le concède.
- Je suppose que vous êtes nombreux à le penser puisque vous vous en débarrassez en les projetant en l'air…

Extrait d'une conversation entre Luke Devereaux et son premier martien, in "Martiens, go home" de Fredric Brown, saine lecture recommandée par notre ami Yann et à laquelle je suis présentement en train de m'adonner. C'est indéniablement amusant. Pas trouvé les nouvelles.


 
Yann

07/07/2005
23:25
re : C'est en citant qu'on devient citron

Jolie trouvaille, chouquette!


Yann

 
Agnès

08/07/2005
18:37
Merci, Toto!

"Au cours de l'après-midi, alors qu'il était en train de lancer depuis la partie aval du parcours, il vit en se retournant les ravages produits par ses efforts de la journée : la berge n'était plus que bruyère écrasée et ajoncs piétinés : les ravages du désir.
Quel spectacle! (il pourrait tout à fait y trouver matière à un sermon édifiant). Tout pêcheur qui se respecte sait bien que les échecs d'aujourd'hui préparent les réussites de demain. […]"
Jeannette Haien : "La pêche au saumon". (Cf. fil "Liseron")



 
Agnès

12/07/2005
00:35
Résolument gourmand

[...]Puis arrivèrent les huit morceaux de merlan, portion clairement destinée à huit personnes. Ils criaient, les morceaux de merlan, leur joie d'avoir été cuisinés comme Dieu le veut. Au nez, le plat faisait sentir sa perfection, obtenue par la juste quantité de chapelure, avec le délicat équilibre entre l'anchois et l'œuf battu.
Il porta à la bouche la première bouchée, mais ne l'avala pas tout de suite. Il laissa le goût se répandre doucement et uniformément sur sa langue et son palais, afin que langue et palais se rendissent pleinement compte de l'offrande qui leur était présentée. […]

Encore un commissaire fine gueule et encore un polar semé de gueuletons aussi exotiques que le parler des habitants de l'île. C'est en Sicile, c'est le commissaire Montalbano, celui là s'intitule "Le voleur de goûter", et je vous le recommande. (Andrea Camilleri, au Fleuve noir)


 
w

14/07/2005
17:29
Contraintes : Carvalho, poisson

Aaaah, c'est vers chez OuLiPo, que Montalban est aussi courru ! N'en rev'là :


Ils s'assirent à table et chaque coup de fourchette fut accompagné des deux adjectifs que Camp's O'Shea avait à la bouche ce soir-là. Non seulement il se fit répéter mille fois les recettes, mais il esquissa le geste de les recopier soigneusement dans un carnet avec un stylo de gros calibre. Carvalho les aimait, surtout celui-ci, qu'il regardait comme le stylo par excellence. Son regard n'avait pas échappé à Camps qui le lui tendit.
Fuster avala de travers la cuillerée de leche frita qu'il venait de mettre dans la bouche, mais Camps était déjà plongé dans la transcription minutieuse des recettes que lui dictait Carvalho.
«Pour les poivrons doux aux fruits de mer, il faut avant tout des poivrons doux, c'est à dire rouges, pas trop longs, et charnus. Un ou deux par personne, selon la taille et l'appétit. On grille délicatement les poivrons pour les éplucher sans les ouvrir. Préparer à part une farce avec gambas, palourdes et poissons de roche pochés, liés avec une béchamel épaisse compéosée à parts égales de bouillon de têtes de gambas et de lait, assaisonnée au poivre très aromatisé et à l'estragon. On met la farce dans les poivrons, on couvre avec la béchamel plus liquide et on met au four doux, pas trop longtemps.»

Hors jeu,
Christian Bourgois
 
w

22/08/2005
12:17
Durassique soupe

Sorry pour la confusion Montalbano/Montalban, jamais trop tard pour bien faire...


Soupe d’un autre nom
(potage Parmentier)

On croit savoir la faire, elle paraît si simple, et top souvent on la néglige. Il faut qu’elle cuise entre quinze et vingt minutes et non pas deux heures – toutes les femmes françaises font trop cuire les légumes et les soupes. Et puis il vaut mieux mettre les poireaux lorsque les pommes de terre bouillent : la soupe restera verte et beaucoup plus parfumée. Et puis aussi il faut bien doser les poireaux : deux poireaux moyens suffisent pour un kilo de pommes de terre. Dans les restaurants, cette soupe n’est jamais bonne : elle est toujours trop cuite (recuite), trop «longue», elle est triste, morne, et elle rejoint le fonds commun des «soupes de légumes» - il en faut – des restaurants provinciaux français. Non, on doit la faire et la refaire avec soin, éviter de «l’oublier sur le feu» et qu’elle perde aussi son identité. On la sert soit sans rien, soit avec du beurre frais ou de la crème fraîche. On peut aussi y ajouter des croûtons au moment de servir : on l’appellera alors d’un autre nom, on inventera lequel : de cette façon les enfants la mangeront plus volontiers que si on l’affuble du nom de soupe aux poireaux pommes de terre. Il faut du temps, des années pour retrouver la saveur de cette soupe, imposée aux enfants pour divers prétextes (la soupe fait grandir, rend gentil, etc.). Rien, dans la cuisine française, ne rejoint la simplicité, la nécessité de la soupe aux poireaux. Elle a dû être inventée dans une contrée occidentale un soir d’hiver, par une femme encore jeune de la bourgeoisie locale qui, ce soir-là, tenait les sauces grasses en horreur – et plus encore sans doute – mais le savait-elle ? Le corps avale cette soupe avec bonheur. Aucune ambiguïté : ce n’est pas la garbure au lard, la soupe pour nourrir ou réchauffer, non, c’est la soupe maigre pour rafraîchir, le corps l’avale à grandes lampées, s’en nettoie, s’en dépure, verdure première, les muscles s’en abreuvent. Dans les maisons, son odeur se répand très vite, très forte, vulgaire comme le manger pauvre, le travail des femmes, le coucher des bêtes, le vomi des nouveau-nés. On peut ne vouloir rien faire et puis, faire ça, oui, cette soupe-là : entre ces deux voulions, une marge très étroite, toujours la même : suicide.

MD

 
Agnès

27/09/2005
23:39
Uranus

Puisque Laurent en parle sur le fil AA, S& R, je ne résiste pas au plaisir de vous recopier ce merveilleux passage d’« Uranus », où le cafetier Léopold, qui a découvert la beauté dans « Andromaque », en écoutant les cours de littérature dispensés par M.Didier dans son café, (le lycée a été détruit), le cafetier Léopold donc est visité par l’inspiration et se greffe sur la tragédie de Racine. -Je tape comme un escargot, alors la suite sera pour plus tard.

(…) Des bribes de conjugaison latine revenaient aux oreilles de Léopold. M.Didier, triste et sévère, passait entre les tables pour jeter un coup d’œil sur les cahiers de préparation et, par la bouche d’Odette Lepreux, Andromaque exhalait sa plainte mélodieuse. Un peu oubliée pendant les dernières vingt-quatre heures, elle surgissait dans un décor familier, telle qu’il la voyait d’ordinaire dans sa robe de 1900, avec les manches à gigot et la chaîne de montre en sautoir. Il sentit dans ses veines se rallumer la fièvre créatrice. Un moment, il se concentra, la tête entre les poings, les yeux agrandis, fixés sur une mousse de lumière qu’accrochait le rebord du zinc. Prenant un crayon et une feuille de papier, il commença par écrire les trois vers qu’il avait déjà faits. Le dimanche matin, le café ouvrait tard. Léopold avait devant lui deux heures de tranquillité absolue. Andromaque était là, si proche, si vraie, qu’il lui semblait entendre sa confidence. En une heure, il eut écrit deux nouveaux vers. Le troisième lui vint plus lentement, mais ce fut celui qui lui donna le plus de satisfaction. L’ensemble se présentait ainsi :
Léopold
Passez-moi Astyanax, on va filer en douce,
attendons pas d’avor les poulets à nos trousses.
Andromaque
Mon Dieu, c’est-il possible. Enfin, voilà un homme !
Voulez-vous du vin blanc ou voulez-vous du rhum ?
Léopold
Du blanc.
Andromaque
C’était du blanc aussi que buvait mon Hector
Pour monter aux tranchées, et il avait pas tort.
Arrivé là, Léopold resta longtemps le crayon en l’air. Il aurait voulu faire entendre à Andromaque qu’il avait lui-même fait la guerre en 1914, sans toutefois se donner des airs trop avantageux. À plusieurs reprises, Andréa avait voulu pénétrer dans la salle, mais s’était vue à chaque fois refouler d’un geste sans appel. Lorsque Rochard se présenta vers huit heures, il était temps d’ouvrir l’établissement, et Léopold, contraint d’abandonner les lieux, se retira dans la cuisine afin d’y poursuivre ses travaux. L’idée à laquelle il s’était attaché commençait à prendre forme dans son esprit. Bientôt, la réalisation devint imminente. Il tenait ses deux rimes, "savamment" et "régiment", il ne fallait plus que rogner çà et là quelques pieds superflus. C’est alors qu’Andréa, la mine défaite, vint l’avertir que les gendarmes étaient là. Léopold se leva de son siège en poussant un rugissement de fureur indignée. Il lui semblait qu’on eût, à dessein, choisi de l’arrêter au plus chaud de son inspiration et voulu outrager en lui le poète et le penseur. En trois enjambées, il fut dans la salle du café où l’attendaient deux gendarmes et un brigadier. Celui-ci tenait un papier à la main. (…). Le brigadier voulut parler, mais sa voix fut couverte par le tonnerre de Léopold.
- Nom de Dieu de bon Dieu, ça va-t-il finir, ces comédies-là ? Vous vous figurez peut-être que la poésie est aux ordres de la maréchaussée ? mais la poésie, elle se fout de vos chapeaux de gendarmes et de vos ceinturons en peau de vache !
- Pas d’insolences, Léopold, j’ai un mandat…
- De quoi ? un mandat ? Vous repasserez ! si vous n’avez rien d’autre à faire que de venir casser les pieds aux honnêtes gens, moi, j’ai un poème qui m’attend. Qu’est-ce que vous imaginez, que je suis Léopold le bistrot ? J’ai la prétention d’être un peu plus que ça et si vous voulez savoir quoi, demandez à M.Didier. il vous dira que ça s’appelle un poète tragique.
- S’agit pas de ça, dit le brigadier. Je me fous de ce que vous êtes….
- Silence, tonna Léopold, ivre d’indignation. Un poète tragique, vous lui devez le respect, vous m’avez compris ? et d’abord, tirez-vous de mon établissement ! Allez vous torcher avec vos mandats !


 
Agnès

19/10/2005
19:51
re : C'est en citant qu'on devient citron

Allez, encore une petite dose. excellent contre la sinistrose :

Quelques pensées d'Alphonse Allais...

-J'ai connu bien des filles de joie qui avaient pour père un homme de peine.

-Quand on ne travaillera plus le lendemain des jours de repos, la fatigue sera vaincue.

- Il est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire. Etre de quelque chose, ça pose un homme, comme être de garenne, ça pose un lapin.

-Les émaux auxquels personne ne tient, ce sont les émaux... rhoïdes.

-Les pommes de terre cuites sont plus faciles à digérer que les pommes en terre cuite.


-La mer est salée parce qu'il y a des morues dedans. Et si elle ne déborde pas, c'est parce que la Providence, dans sa sagesse, y a placé aussi des éponges.

-Shakespeare n'a jamais existé. Toutes ses pièces ont été écrites par un inconnu qui portait le même nom que lui.

-Qui est donc ce monsieur si maigre ? -C'est un lutteur. -Un lutteur ? Vous êtes sûr ? -Oui, il lutte contre la tuberculose.
-C'est probablement parce que les ardoises viennent d'Angers que le métier de couvreur est dangereux.

-On sait que les cheveux, considérés au microscope, sont creux, ce qui explique l'expression: tuyau de poil.








 
Agnès

19/10/2005
19:53
Intarissable

http://www.passocean.com/dddeuxsieclesdhistoire/alphonsealla is/musee/musee.html

 
Carambar

19/10/2005
20:57
re : C'est en citant qu'on devient citron

Pour certaines, il y a un côté "Amuse tes amis" avant l'heure.
 
gueule-amusée

19/10/2005
21:26
re : C'est en citant qu'on devient citron


 
Agnès

20/10/2005
22:48
re : C'est en citant qu'on devient citron

ÉPITAPHE
Sauf les amoureux commençans ou finis qui veulent commencer par la fin il y a tant de choses qui finissent par le commencement que le commencement commence à finir par être la fin la fin en sera que les amoureux et autres finiront par commencer à recommencer par ce commencement qui aura fini par n'être que la fin retournée ce qui commencera par être égal à l'éternité qui n'a ni fin ni commencement et finira par être aussi finalement égal à la rotation de la terre où l'on aura fini par ne distinguer plus où commence la fin d'où finit le commencement ce qui est le commencement ce qui est toute fin de tout commencement égale à tout commencement de toute fin ce qui est le commencement final de l'infini défini par l'indéfini - Égale une épitaphe égale une préface et réciproquement.
Sagesse des nations.

Il se tua d'ardeur, ou mourut de paresse.
S'il vit, c'est par oubli; voici ce qu'il laisse:

- Son seul regret fut de n'être pas sa maîtresse. -

Il ne naquit par aucun bout,
Fut toujours poussé vent-debout,
Et fut un arlequin-ragoût,
Mélange adultère de tout.

Du je-ne-sais-quoi. - Mais ne sachant où;
De l'or, - mais avec pas le sou;
Des nerfs, - sans nerf. Vigueur sans force;
De l'élan, - avec une entorse;
De l'âme, - et pas de violon;
De l'amour, - mais pire étalon.
- Trop de noms pour avoir un nom. -

Coureur d'idéal, - sans idée;
Rime riche, - et jamais rimée;
Sans avoir été, - revenu;
Se retrouvant partout perdu.

Poète, en dépit de ses vers;
Artiste sans art, - à l'envers,
Philosophe, - à tort à travers.

Un drôle sérieux, - pas drôle.
Acteur, il ne sut pas son rôle;
Peintre: il jouait de la musette;
Et musicien: de la palette.

Une tête! - mais pas de tête;
Trop fou pour savoir être bête;
Prenant un trait pour le mot très.
- Ses vers faux furent ses seuls vrais.

Oiseau rare - et de pacotille;
Très mâle... et quelquefois très fille;
Capable de tout, - bon à rien;
Gâchant bien le mal, mal le bien.
Prodigue comme était l'enfant

Du Testament, - sans testament.
Brave, et souvent, par peur du plat,
Mettant ses deux pieds dans le plat.

Coloriste enragé, - mais blême;
Incompris... - surtout de lui-même;

Il pleura, chanta juste faux;
- Et fut un défaut sans défauts.

Ne fut quelqu'un, ni quelque chose
Son naturel était la pose.
Pas poseur, - posant pour l'unique;

Trop naïf, étant trop cynique;
Ne croyant à rien, croyant tout.
- Son goût était dans le dégoût.

Trop cru, - parce qu'il fut trop cuit,
Ressemblant à rien moins qu'à lui,

Il s'amusa de son ennui,
Jusqu'à s'en réveiller la nuit.
Flâneur au large, - à la dérive,
Épave qui jamais n'arrive...

Trop Soi pour se pouvoir souffrir,
L'esprit à sec et la tête ivre,
Fini, mais ne sachant finir,
Il mourut en s'attendant vivre
Et vécut, s'attendant mourir.

Ci-gît, - coeur sans coeur, mal planté,
Trop réussi, - comme raté.

Tristan Corbière - Les amours jaunes - (ça)

 
dom

20/10/2005
23:55
re : C'est en citant qu'on devient citron

Yess Agnes bien ton truc! je lis toujours chuis pas pouete alors je lis
 
Agnès

21/10/2005
07:31
re : C'est en citant qu'on devient citron

Thanks Dom!

Si j'étais pohéteu
Je serais ivrogneu
J'aurais un nez rougeu
Une grande boîteu
Où j'empilerais
Plus de cent sonnais
Où j'empilerais
Mon neuvreu complait.

Boris Vian

 
w

21/10/2005
09:44
Zazielangue

Zazieland, c'était à Lille le we dernier...

Comment préparer une langue et la servir à ses amis, voilà une question peut-être un peu moins simple qu’il n’y paraît à première vue.
Le choix de la langue tout d’abord. Pour savoir quelle langue nous échoit, faisons les choix de la langue.
Il faut rappeler ici un principe évident mais souvent oublié, à savoir que la langue est quelque chose qui s’hérite. Chaque mère en effet transmet à ses enfants une part de sa langue : elle l’aura préalablement coupée en lanières, et distribue à chaque nouvel arrivant de la fratrie un lambeau de langue : les garçons en font ce qu’ils veulent, ils peuvent même la perdre, leur langue, mais les filles doivent impérativement la conserver afin de la transmettre de la même façon. Car ce tronçon de langue va grandir au palais de la jeune fille : il va s’enfler, s’enrichir et s’affiner au fur et à mesure. La langue se transmet par la mère : voilà pourquoi on parle de langue maternelle, on parle la langue maternelle.

Olivier Salon, là :
http://blackbanzai.free.fr/

 
Agnès

30/10/2005
00:56
re : C'est en citant qu'on devient citron

Je dépose ici – c'est le fil "je suis de droite" qui me l'a inspiré – un texte dont je ne citerais pas l'auteur, au cas où parmi vous quelques-uns ne le connaîtraient pas déjà, (il me paraît, c'est le cas de le dire, un classique), et voudraient s'amuser à en trouver l'auteur. Lequel m'inspire non seulement de l'admiration, mais une grande tendresse. Voici donc un extrait d'un texte fort mal pensant, et tout à fait à contre-courant des admirations littéraires obligées :

(…) Un notaire de bon sens et d'un peu de lettres devait être choqué par le bariolage verbal de certaines œuvres romantiques, par leurs épanchements souffreteux, leur égocentrisme impudique et leurs attitudes excessives. Ce foisonnement d'entités, de divinités spongieuses (la femme, la beauté, la solitude) où on essayait de l'attirer lui causait un vague malaise, mais il ne pouvait pas soupçonner que les moyens d'expression étaient déjà frelatés. Quand on lit les premiers romantiques, on a l'impression de les suivre facilement, de mouler à chaque instant sa pensée à la leur. Pourtant ces ravages sont déjà sensibles. Bien qu'ils soient dilués dans une certaine facilité généreuse, il suffirait d'un peu d'attention pour les déceler. Mais c'est à la lecture de Baudelaire, dont l'œuvre poétique est déjà un aboutissement et un condensé du romantisme, que cette misère apparaît avec évidence. Vous ne me croyez pas? Nous allons, ensemble, jeter un coup d'œil sur les Fleurs du mal
M.Lepage quitta son fauteuil et s'en fut à l'autre bout de la pièce ouvrir une armoire vitrée qu'il appelait l'armoire aux poisons. Il en revint avec un exemplaire des Fleurs du mal
– J'aurais beau jeu, dit-il en se rasseyant, de choisir l'une de ses œuvres les plus médiocres où éclatent l'indigence et le mauvais goût. Ce ne serait ni loyal, ni concluant. Nous retiendrons donc l'un de ses poèmes les plus célèbres, consacrés et révérés par sa postérité.
Ayant examiné la table des matières, nous tombâmes d'accord sur La Beauté . Mon hôte me pria de lire le sonnet à haute voix.

La Beauté

Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris;
J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!

– Admirable, dis-je. C'est vraiment un des plus beaux.
– Heureux de vous l'entendre dire. Nous allons maintenant l'éplucher un peu. Voyons le premier vers: "Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre". Ça ne veut rien dire. Un rêve de pierre peut être beau ou laid. Donc, pour nous faire connaître la Beauté, l'auteur la compare à une chose, vague, indéterminée, dont la notion nous est encore plus incertaine que celle de l'objet à connaître. Ce premier vers est un assemblage de mots qui ne nous apprennent absolument rien. Passons au deuxième : "Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour"… Je veux bien que "meurtri" soit figuratif, mais il rappelle fâcheusement la comparaison du premier vers et impose abusivement l'image d'un sein en pierre. Je relève dans ce second vers une faute magistrale qu'il faut bien appeler solécisme. "Tour à tour" signifie en effet l'un après l'autre ou alternativement. On n'est pas plus fondé à écrire "chacun s'est meurtri tour à tour" que "chacun s'est meurtri à tour de rôle". Il aurait fallu dire : "où chacun s'est meurtri à son tour". Qu'une faute de cette dimension ait trouvé place dans un sonnet aussi corseté, voilà qui est regrettable, mais le plus fâcheusement significatif est qu'aucun de ses innombrables admirateurs n'ait, à ma connaissance, relevé cette énormité. Passons aux deux vers suivants : "Est fait pour inspirer au poète un amour / Eternel et muet ainsi que la matière." N'oublions pas que c'est le sein de la Beauté qui inspire cet amour. Ç'aurait pu être le visage, le dos, les cuisses ou l'ensemble, mais c'est le sein. Il doit y avoir à cela des raisons que nous ne connaîtrons pas et il faut nous contenter de l'affirmation gratuite. L'amour inspiré par ce sein est " Eternel et muet ainsi que la matière". Rien à dire contre éternel sinon que le mot, qualifiant un amour, est peu signifiant. En revanche, il n'y a pas de raison valable pour que l'amour du poète soit muet. Tout le monde sait très bien que les poètes sont très diserts sur ce point et Baudelaire le sait mieux que personne puisque pour sa part, il dédie un sonnet à la beauté, et ailleurs, un hymne. "Muet ainsi que la matière", est-il dit. Matière est un mot d'une portée bien générale pour une telle comparaison. En fait, dans le bon langage ordinaire, on dit muet comme une carpe, comme la tombe, ou comme une pierre. Ce rapprochement d'amour et de matière, lourdement chevillé, est une recherche inutile et, à vrai dire, il eût mieux valu s'abstenir de toute comparaison. Mais matière vous a un fumet philosophique des plus tentants. (…)

[Je ne vais pas taper l'ensemble du "commentaire", vous irez voir quand vous aurez trouvé, si le coeur vous en dit!]








 
Pascale

30/10/2005
10:50
re : C'est en citant qu'on devient citron

Mais ne sont-ce pas là les propos d'un bourgeois "cul et poussiéreux ?"
 
paddy

30/10/2005
17:26
re : C'est en citant qu'on devient citron

Voici un texte assez ironique de Jack Vance. Il s'agit d'une sorte de chronique insérée en tête d'un chapitre du Palais de l'Amour (La geste des princes démons) et sans rapport direct avec l'intrigue.



**************************************
Extrait de l'Apprenti d'Avatar dans le Scroll tiré de la Neuvième Dimension :

Marmaduke gravissait à pas lents le flanc d'une colline. Il cherchait le cyprès maudit qui jouxtait la hutte du symbologue. Arrivé au somment, il découvrit enfin l'arbre, sec et triste, et, tout près de lui, la hutte.
Le symbologue lui souhaita la bienvenue.
- J'ai parcouru cent lieues, lui dit Marmaduke, afin de te poser une seule question : les couleurs ont-elles une âme?
- Qui oserait affirmer le contraire? lui demanda le symbologue perplexe. Il produisit une lueur orange, puis, relevant le bas de sa robe, il excécuta une superbe pirouette. L'agilité du vieillard amusa beaucoup Marmaduke.
Le symbologue émit ensuite une lueur verte; il se glissa sous un banc, se fourra la tête entre les chevilles et retourna sa robe. Marmaduke, de plus en plus émerveillé, applaudit.
Le symbologue émit de nouveau une lumière, de couleur rouge cette fois, puis, sautant sur Marmaduke, il le terrassa en un tournemain et lui couvrit la tête de sa robe.
- Mon cher compagnon, haleta Marmaduke en se libérant quelle démonstration brutale!
- Autant bien faire ce qui mérite d'être fait, répliqua le symbologue. Maintenant passons à l'explication. Les couleurs ont une double signification. L'orange représente l'ire la plus vive aussi bien que l'extase du héron agonisant. Le vert traduit les arrières-pensées, comme le souffle du vent du nord. Le rouge, nous l'avons vu, accompagne l'exubérance panique.
- Mais quelle est la seconde signification du rouge? s'enquit Marmaduke.
Le symbologue fit un signe mystérieux.
- Qui vivra verra comme disait le chat qui avait vomi dans un sucrier.
Amusé autant qu'édifié, Marmaduke prit congé du vieillard. Il avait descendu la moitié de la colline quand il constata la perte de son portefeuille.
 
Yann

30/10/2005
17:40
re : C'est en citant qu'on devient citron

Joli! On dirait du Thierry Beauchamp tout craché. Il y a aussi un côté Terry Pratchett. J'adore le prénom Marmaduke...
 
Marceldudu

31/10/2005
14:22
re : C'est en citant qu'on devient citron

Bonjour,
Je voudrais adresser une citation de Sénèque à D Kessler, histoire de le remotiver à marquer le territoire de la culture, sur FC:
"Ce n'est pas parce que c'est difficile qu'on n'ose pas, mais c'est parce que l'on n'ose pas que c'est difficile".
Marceldudu
 
Nazdeb

31/10/2005
15:58
re : C'est en citant qu'on devient citron

Agnès, tout le monde n'a pas reconnu l'auteur du commentaire sur Beaudelaire. Soyez sympa !



 
Agnès

02/11/2005
08:18
Par l'auteur des contes les plus charmants...

...du XXème siècle.
Voilà, voilà, Nazdzeb, on arrive. Si l'indice ci-dessus ne suffit pas, je cracherai le morceau.
Pascale, "Un bourgeois cul et poussiéreux" ? Je ne situe pas la référence! En tout cas, guère bourgeois, et pour l'avoir beaucoup lu, ni cul, ni poussiéreux, quoique considéré comme ringard par ceux qui ne lisent que les livres à la mode. En outre expertisé récemment au diagnostic littéraire à l'aveugle, pour ceusses qui ont de la mémoire.

 
Pascale

02/11/2005
18:22
re : C'est en citant qu'on devient citron

Agnès, je n'ai pas le bouquin chez moi mais il me semble bien qu'il se termine comme ça : "un bourgeois cul et poussiéreux" - demain je vérifierai dans une bibli !
 
Agnès

02/11/2005
18:38
j'apolle...

Je me frappai le bas du ventre comme c'est l'usage à présent chez les artistes qui se flattent d'avoir un tempérament artistique.
– J'ai quelque chose là, ajoutai-je.
– Il vaudrait mieux pour vous et vos pareils d'avoir quelque chose dans la tête, répliqua M.Lepage. Mais sans le savoir, vous avez très bien montré le chemin parcouru par le romantisme en cent cinquante ans. Au début du siècle passé, les romantiques se frappaient le cœur où ils voyaient le siège du génie. Maintenant, ils se frappent les parties. On se demande jusqu'où et à quelle bassesse descendra le génie.
Il n'en dit pas plus et je dus prendre congé. Le geste de me frapper le bas-ventre, geste hautement significatif et qui me vaut ordinairement tant d'estime chez la comtesse Piédange et dans beaucoup d'autres bonnes maisons, avait choqué ce bourgeois cul et poussiéreux.


Autant pour moi, Pascale! Je n'avais pas relu – et totalement oublié – la fin savoureuse de cet essai délectable.



 
AArgh!!!

02/11/2005
18:41
Bravo donc à Pascale!

"comme c'est l'usage à présent chez les écrivains qui se flattent d'avoir un tempérament artistique."


 
Felix

02/11/2005
19:30
re : C'est en citant qu'on devient citron

Ah frappe-toi le cul,c'est là qu'est le génie ! merci Aargh !

 
LN

03/11/2005
01:49
perplexe

Allons bon, de grand auteur de contes au XXème siècle, je ne connais que Gripari. Homme au style volontiers détendu et aux propos fréquemment iconoclastes.

 
Agnès

03/11/2005
15:10
L'art du conte

Tttt, ce n'est pas celui-là.
Ses contes sont sans doute plus frais, moins acides, moins parodiques aussi peut-être.Et sans doute moins... urbains.
Il me semble aussi que le style et trop "tenu" pour être du Gripari. Laurent, je m'étonne que vous ne connaissiez pas ce texte, il me semble fait pour vous plaire.

 
pg

03/11/2005
16:40
re : C'est en citant qu'on devient citron

Marcel Aymé ?
 
LN

03/11/2005
19:37
ach so kel andouille che fais

Ah oui tiens en effet. Dans Le confort intellectuel pitètre. Ou dans Travelingue eventuelly
 
Agnès

03/11/2005
21:46
Oeuf corse!

Great, PiGi et Laurent, après Pascale. C'est "Le confort intellectuel". Quant aux contes, il s'agit évidemment des Contes du chat perché, qui après avoir enchanté mon enfance (il y en avait partout, même dans les livres de grammaire, et curieusement, au lieu de dégoûter des contes, cela rendait la grammaire plaisante et désirable)continuent à délecter l'adulte. Je ne loupe pas une occasion de les raconter, et celui que je préfère entre tous est "Les boîtes de peinture", où les essais picturaux des petites filles agissent sur les animaux et les métamorphosent! J'ADORE ce conte.

 
guydufau

09/11/2005
18:48
re : C'est en citant qu'on devient citron

Brûlant d'actualité...

Tu viens d'incendier la Bibliothèque ?
Oui.
J'ai mis le feu là.
- Mais c'est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C'est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C'est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l'aurore.
Quoi! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d'oeuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l'homme antique, dans l'histoire,
Dans le passé, leçon qu'épelle l'avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des jobs, debout sur l'horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l'esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? Le livre est là sur la hauteur;
Il luit; parce qu'il brille et qu'il les illumine,
Il détruit l'échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d'esclave et plus de paria.
Ouvre un livre. Platon, Milton, Beccaria.
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakspeare, ou Corneille
L'âme immense qu'ils ont en eux, en toi s'éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu'eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t'enseignent ainsi que l'aube éclaire un cloître
À mesure qu'il plonge en ton coeur plus avant,
Leur chaud rayon t'apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l'homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C'est à toi comprends donc, et c'est toi qui l'éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l'erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un noeud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l'ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c'est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
- je ne sais pas lire.

Victor HUGO (1802-1885)
(Recueil : L'année terrible)

 
Agnès

19/11/2005
11:15
D'un moraliste

"L'atroce conviction ,un jour, tomba sur la tête des hommes. Les hommes "surent". Ils n'avaient plus besoin de réfléchir.
X... est convaincu. Il a raison, puisqu'il est convaincu. Puisqu'il a raison, il n'a pas à examiner ce qu'il écrit. On dit, péjorativement : "Il n'a aucune conviction." Si la conviction plaît, c'est qu'elle ressortit au croire, que l'homme préfère si souvent au penser. On devrait le dire avec éloges. Mirabeau aurait dit de Robespierre : "Cet homme ira loin, car il croit tout ce qu'il dit".
Pire que les convaincus, ceux qui cherchent à convaincre, les convicteurs. N'ayant pas assez de leurs convictions, il faut encore qu'ils les imposent" (...)

 
Yann

29/11/2005
17:20
re : C'est en citant qu'on devient citron

Un petit extrait d'une réédition récente, parue en poche, l'autobiographie d'Ester Adolfine Freud, dite "Dolfi", intitulée "Psychoanalytischerauseinandersetzungunterrichtsmaterialienismus&qu ot; (le titre n'a pas été traduit, car on y perdrait beaucoup).
Voici:

« J’étais en train de taper des pieds sur le paillasson pour débarrasser mes chaussures des morceaux de neige collante. Il y avait des copeaux de bois qui jonchaient le vestibule ; on avait fait du feu dans la cheminée. Alors que j’étais en train de dérouler les cinq mètres d’écharpe que Mère nous obligeait à porter dès que la neige se mettait à tomber, j’entendis des éclats de voix venant de la cuisine. Sans plus réfléchir, j’y entrais, m’attendant à trouver ce qu’effectivement je vis, Mère en train de s’échiner à aider ce pauvre Sigmund à enfiler ses bottes de neige. On ne remarqua mon arrivée seulement quand on eut fini, dans un laborieux « schloups », de passer la seconde botte.
« Ah, te voilà, Dolfi. Ton frère est impossible, encore une fois. Tiens, attrape-moi ce poulovaire, là-bas, il ne peut pas sortir comme ça. »
Sigmund continuait à récriminer avec sa petite voix geignarde. Pour ma part, j’allai chercher le poulovaire qui trainait sur un dossier de chaise et le tendait à Mère. Peut-être pour le calmer, que sais-je, Mère déplia le vêtement contre elle, bien à la vue de Sigmund, avant de commencer à vouloir le lui enfiler. La couleur de la laine épaisse était hideuse, on aurait dit que le pull avait servi à colmater un dessous de porte dans une étable, pour endiguer une inondation. Sigmund arrêta un instant de grogner, avant de tendre le doigt vers le vêtement et dire lentement :
« Moi ? Ca ? Sur moi ? »
Et je ne sais pas, mais à partir de cette date, il n’a plus jamais été pareil. »
(p.131)

Etonnant, non?

Yann


 
w

29/11/2005
17:39
re : C'est en citant qu'on devient citron



 
w

29/11/2005
17:41
Raté :


 
jean pierre

29/11/2005
20:49
re : C'est en citant qu'on devient citron

En fait de citron, pouvez me dire de ce qu'il résulte, de ce que six cul de jattes galopent sur les Champs Elysées.
 
shh

29/11/2005
20:52
re : C'est en citant qu'on devient citron

Citron pressé ?
 
jean pierre

29/11/2005
21:23
re : C'est en citant qu'on devient citron

c'est donc une habitude bien parisienne, Paris comme un gros citron...
 
Antoine Blondin

16/12/2005
02:10
A Paris, bien plus que six troncs...

<< Là où nous habitons, les avenues sont profondes et calmes comme des allées de cimetière. Les chemins qui conduisent de l'Ecole militaire aux Invalides semblent s'ouvrir sur des funérailles nationales. Un trottoir à l'ombre, l'autre au soleil, ils s'en vont entre leurs platanes pétrifiés, devant deux rangées de façades contenues, sans une boutique, sans un cri. Mais un frémissement peuple l'air : c'est l'appréhension du son des cloches. Le ciel vole bas sur mon quartier prématurément vieilli. Et je n'ai que 30 ans et le sang jeune. Notre maison s'élève au carrefour de deux silences. L'absence de sergent de ville ajoute à la discrétion du lieu. >>

From "Les enfants du bon dieu" (de mémoire)
 
Agnès

28/12/2005
11:32
Hommage à la vandalette

"- (…) Mais avec des grands nombres supérieurs à 100, comme dix mille, un million ou dix millions, il arrive que l'on se perde dans une zone désertique où n'apparaît aucun nombre premier, tu sais.
- Désertique?
- Oui. On a beau avancer, on n'aperçoit pas l'ombre d'un nombre premier. C'est une mer de sable à perte de vue. Le soleil tape impitoyablement, on a la gorge sèche, les yeux se voilent et on ne distingue rien. On croit apercevoir un nombre premier, on se précipite, mais ce n'était qu'un mirage. On peut toujours tendre la main, on n'attrapera que du vent chaud. Pourtant, on continue à avancer, pas à pas, sans renoncer, jusqu'à ce qu'on aperçoive, par-delà l'horizon, remplie d'eau pure, l'oasis des nombres premiers. "

Ce n'est pas une devinette, juste un petit appât pour la fan des nombres premiers sur DDFC. Le roman est récent, je suis en train de le lire, avec plaisir.


 
Zutre

28/12/2005
11:32
re : C'est en citant qu'on devient citron


 
shhh

28/12/2005
12:10
re : C'est en citant qu'on devient citron

Ben oui, appâtée je suis.. Alors alors ? qui ?
 
pascale

28/12/2005
14:23
re : C'est en citant qu'on devient citron

Ce ne serait pas quelqu'un qui s'intéresse au zéro ?
 
Denis G

28/12/2005
14:25
re : C'est en citant qu'on devient citron

On parlerait bien de moi...
 
Wanda-Lou Zy

28/12/2005
16:18
re : C'est en citant qu'on devient citron

Damned ! J'ai bien fait de passer dans le coin !
J'ai comme senti un appel.
By the way, j'en profite pour vérifier, mais la pétoche
http://sosfranceculture.free.fr/
affiche un total désespérément pair.
ça m'excite, mais je vois pas de qui est ce dialogue contemporain et goûtu.
Comme un mélange de Petit Prince et Giraudoux.


 
Agnès

28/12/2005
19:06
Voilà, voilà!

La_formule_préférée_du_professeur de Yoko Ogawa, Actes Sud, septembre 2005.
Joli livre, plein de mathématiques et de base-ball (difficile, le base-ball!), histoire du chemin parcouru de concert, au fil des onze dernières années de sa vie, par un brillant chercheur en mathématiques devenu un miteux et fragile professeur amnésique à la suite d'un accident de voiture, et dont la mémoire immédiate ne dépasse pas les 80 minutes, l'aide-ménagère qui lui a été attribuée - qui est aussi la narratrice - et le fils d'icelle, baptisé "Root" par le professeur parce que son crâne est aussi plat que le plateau d'une racine carrée.

Le dialogue suivant a lieu à la suite du départ en vacances de Root, qui laisse sa mère désemparée, avec le sentiment "que [s]on coeur est vide". (...)
"Alors, vous pensez que, comme les fleurs et les étoiles, les 0 étaient déjà là à la naissance de l'homme? Qu'on pouvait se saisir sans difficulté de leur beauté? Aah, quelle méprise. Vous devriez être un peu plus reconnaissante envers l'importance des progrès de l'humanité. Vous ne le serez jamais trop. Vous n'en serez pas maudite, vous savez.
Le professeur qui s'était redressé sur son fauteuil se grattait les cheveux. Il semblait trouver cela profondément déplorable. Des pellicules menaçaient de tomber sur l'assiette de melon, si bien que je l'ai fait glisser rapidement sous ma chaise.
- Alors qui est celui qui l'a découvert?
- Un mathématicien indien anonyme. Il a sauvé ceux de la Grèce antique qui avaient été rassemblés autour des foyers dans les bains publics par une tentative téméraire des païens, ressuscité des théorèmes perdus, donné naissance à de nouvelles vérités. Tous les mathématiciens de la Grèce antique pensaient qu'il n'était pas nécessaire de calculer le rien. Puisqu'il n'y avait rien, c'était impossible de l'exprimer avec des chiffres. Et il y a eu quelqu'un pour retourner complètement cette théorie vraisemblable. Il a exprimé le rien par un chiffre. Il a fait exister l'inexistence. N'est-ce pas merveilleux? (...)

Je n'irai pas jusqu'à prétendre que c'est bien traduit (car que sais-je du japonais?) mais c'est une jolie, modeste et chaleureuse histoire. Un livre de la rentrée, pourtant. Mais pas aussi bien que le dernier Angot. Sans doute pour ça qu'on n'en a pas parlé à Tout arrive (surtout le pire..)

 
shhh

28/12/2005
19:13
re : C'est en citant qu'on devient citron

Et parle-t-il aussi du zero de position ?
Je sens qu'il va me plaire, ce livre.
 
w

29/12/2005
12:20
re : C'est en citant qu'on devient citron

J'avais beau invoquer Saint Fibonacci et Saint Mersenne, j'étais loin du compte, je n'aurais pas pu trouver.
Merci Agnès pour cette jolie tranche de page de morceau d'extrait choisi aux petits oignons.

 
shhh

29/12/2005
12:45
re : C'est en citant qu'on devient citron

J'ai trouvé un petit logiciel de génération de nombres premiers, eh bien entre 10000 et 1000000 il y en a quand même 77269, après je ne sais pas trop, parce que ça devient très long à calculer.
Pour la pétition, faudrait arriver à 1277, puis 1279, et on serait dans les clous.

 
w

29/12/2005
16:09
re : C'est en citant qu'on devient citron

Méheuuuh, ça va plus être drôle quand je balancerai "prime number, prime number !" en m'agitant comme une sur le fil :
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=18 099&debut=0#18675&page=1

comme si je sortais ça de mon chapiau-claque.

shhh, votre ordi est-il aussi branché sur le calcul mondialisé du prochain mersenne ?

C'est marrant que cet estimable Yoko Ogawa parle d'oasis de nombres premiers, car l'exemple cité (1277 et 1279) montre comme ces nombres peu communs peuvent se suivre d'aussi près.

 
shhh

29/12/2005
16:26
re : C'est en citant qu'on devient citron

Je vous le dis, mes soeurs et frères, les nombres premiers, c'est fascinant. Une émission là-dessus ça nous changerait des sociologues de tout et n'importe quoi.


 
Agnès

29/12/2005
21:39
Encore une petite rasade?

" - 17,19 ou 41, 43 par exemple, il y a des nombres qui se suivent dans les nombres premiers, on dirait, dis-je pour ne pas être en reste.
- Oui, c'est une très bonne observation. Ce sont des nombres premiers jumeaux.
Je me demandais par quel tour de magie ces mots ordinaires, dès lors qu'ils étaient utilisés en mathématiques, pouvaient prendre des accents aussi romantiques. Qu'il s'agisse des nombres amis ou des nombres premiers jumeaux, c'étaient des mots justes dont il émanait une certaine pudeur, comme s'ils sortaient d'un poème. Une image jaillissait alors avec fraîcheur, dans laquelle les nombres échangeaient des accolades, ou se tenaient par la main, habillés de vêtements identiques.
-Plus les nombres deviennent grands, plus les nombres premiers sont espacés, si bien que c'est de plus en plus difficile de trouverdes nombres premiers jumeaux. On ne sait toujours pas si, de la même manière qu'il y a une infinité de nombres premiers, il existe une infinité de nombres premiers jumeaux, dit le professeur en entourant d'un cercle les nombres premiers jumeaux.
Une autre merveille de l'enseignemennt du professeur était l'utilisation généreuse qu'il faisait de l'expression ne pas savoir. Ne pas savoir n'était pas honteux, car cela permettait d'aller dans une autre direction à la recherche de la vérité. (...)"
Ce passage précède celui cité plus haut.

 
w

30/12/2005
10:27
re : C'est en citant qu'on devient citron

C'est limpide et imagé, àa s'inscrit dans la tête comme une estampe japonaise !
 
LN

26/01/2006
00:47
Kala-Azar. (Roger de Lafforest. Grasset 1932)

Voici le début de ce roman savoureux autant que rarissime :
------------------------------------------------------------------------ ------------------------------------------------
<< Tom Mac Cormick jurait comme un irlandais. Il puait la marée et l’embrun. Sa crasse, cuite par le soleil de toutes les latitudes, lui avait revêtu le corps d’un nouvel épiderme insensible. Il roulait fortement d’une hanche sur l’autre : on aurait dit qu’il boitait des deux jambes.

C’était un garçon mal embouché et grossier à faire avorter une femme enceinte. Sa verte soixantaine lui permettait d’être insolent sans trop de dommage. Il était fort comme un gorille et son expérience de la bagarre lui avait permis bien souvent d’échapper à des corrections méritées.

Il avait la manie de raconter des histoires et il exigeait, sous peine des pires représailles, qu’on l’écoutât. Ca vieux radoteur était d’une susceptibilité insupportable. Au moindre mot il se fâchait et sa colère avait une couleur de crime. Une colère terrible d’élément déchaîné : sa figure se ridait toute entière de l’une l’autre oreille, et du sommet du crâne (qu’il avait chauve) à la pomme d’Adam : son visage se fermait soudain comme un poing. Il aurait tué pour un doute. Car Tom Mac Cormick était l’homme le plus sérieux du monde et il n’acceptait pas la plaisanterie.

Il est vrai que le vieux buvait comme un golfe. Son alcoolisme était méthodique : il s’enivrait six heures par jour, dormait pendant six heures, et pendant douze il était sobre, racontait des histoires, jurait, cassait des meubles et discourait sur tout avec une science dont je n’aurais jamais cru capable un homme aussi vulgaire.

Son ivresse était calme et taciturne. Il méditait en cuvant. Son amour immense et rudimentaire pour la mer asservissait inconsciemment sa rêverie à la monotonie des plaines liquides. Aussi son activité intellectuelle se réduisait-elle à coller sur un vieux cahier toutes les coupures de journaux qu’il avait pu trouver relatant un naufrage ou une tempête. Comme il savait à peine lire, il se fiait uniquement aux titres, et on trouvait dans son cahier les choses les plus imprévues : par exemple une affiche de la Anti-Saloon-Ligue qui commençait par ces mots en caractère gras : UNE TEMPETE DANS UN VERE D’EAU.

./...

 
w

26/01/2006
08:50
Décoiffant

En degré d'écriture, ça titre au moinsse 60°.
En matière de peinture, on est proche du pigment pur.

 
Alfred Jarry

31/01/2006
03:50
Le piéton écraseur

L’opinion publique s’est émue à l’occasion de la course d’automobiles Paris-Berlin, de l’incident suivant : dans une des villes neutralisées, un enfant de 10 ans a voulu traverser devant l’un des véhicules qui roulait à une allure très modérée de douze kilomètres à l’heure, et a été tué sur le coup.

C’est, à notre avis, chose excellente, pour des raisons que nous allons exposer. Les touristes à bicyclette ou à bicycle, en l’an 1888 ou 1889, étaient insultés en langue aboyée, mordus et incités à choir, jusqu’à ce que les chiens, ainsi qu’on le constate aujourd’hui, eussent pris l’habitude de se ranger, comme d’une voiture, du nouvel appareil locomoteur. L’éducation canine parachevée, les cravaches et autres moyens de défense du cycliste en ces temps reculés ont pu aller rejoindre le démonte-pneus de l’âge de pierre.

L’être humain adulte en est venu, quoique plus lentement que son compagnon quadrupède, à laisser le passage libre aux véhicules rapides. L’homme à pied ne grouille plus par bancs sur les trottoirs cyclables par contre l’ours y est assez commun au voisinage des roulottes de nomades, et nous y rencontrâmes un jour au mépris des règlements, jusqu’à un cheval surmonté d’un officier français.

L’être humain en bas âge, l’enfant, puisqu’il faut l’appeler par son nom, s’exerce au courage des guerres futures en traversant par bravade les toutes devant les cycles et les automobiles. Notons qu’à l’exemple de certaine peuplade sauvage, qui manifeste sa valeur en montrant son derrière à l’ennemi, mais chez qui une telle sécurité n’est point d’usage trop près de l’ennemi, l’enfant ne s’amuse à courir ce péril que quand le véhicule n’arrive pas très vite. L’accident de Paris-Berlin s’est produit rapidement, par suite de l’absurde idée de « neutraliser les villes ». Il est même extraordinaire qu’un seul enfant, et pas dix mille personnes ayant atteint depuis longtemps ce qu’on est convenu de dire l’âge de raison, n’aient point gambadé devant les coureurs qui leur donnaient le temps de le faire. En revanche, on remarquera qu’aucune collision n’a eu lieu sur la route parcourue à près de 100 kilomètres à l’heure.

Ajoutons, pour justifier notre titre, que le piéton court moins de risques que le cycliste ou le chauffeur ; il s’expose à une chute de sa hauteur et non à une projection hors d’un appareil de vitesse, ni au bris de cet appareil précieux ; donc, jusqu’au jour où cette folie n’aura point cessé de laisser circuler des gens à pied, non munis d’autorisation préalable de plaque indicatrice, frein, grelot, trompe et lanterne, nous aurons à vaincre ce danger public : le piéton écraseur.

La Revue Blanche - 15 juillet 1901
 
Agnès

31/01/2006
09:14
re : C'est en citant qu'on devient citron




 
lou ravi

06/02/2006
14:42
Pourquoi? Mais, pourquoi?

Pourquoi lou ravi, même quand cent fois sur le métier …etc…, il arrive jamais à écrire quelque chose qui approche :

«….. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées »

Pourquoi il y arrive pas ?
Hein, pourquoi ?
Et pourquoi lou ravi il pose la question, puisqu’il connaît la réponse ?
Hein?
 
lou ravi

07/02/2006
17:54
le rôti

« Je ne puis me rappeler sans rire qu’un soir, chez mon père, étant condamné pour quelque espièglerie à m’aller coucher sans souper, et passant par la cuisine avec mon triste morceau de pain, je vis et flairai le rôti tournant à la broche. On était autour du feu ; il fallut en passant saluer tout le monde. Quand la ronde fut faite, lorgnant du coin de l’œil ce rôti qui avait si bonne mine et qui sentait si bon, je ne pus m’abstenir de lui faire la révérence, et de lui dire d’un ton piteux : Adieu, rôti. Cette saillie de naïveté parut si plaisante, qu’on me fit rester à souper. »
 
yeti

07/02/2006
18:05
re : C'est en citant qu'on devient citron

Hé! J.J., c'est en rapport avec "la boucherie Sanzot" ?
 
w

07/02/2006
20:14
re : C'est en citant qu'on devient citron

Mais c'est que ça aurait pu figurer sur un fil devinette du forum bleu, ça, lou ravi ! Modo de empleo : pour que tout le monde ne se mélange pas les pinceaux, il suffit d'attendre qu'une "devinette" soit trouvée pour lancer la sienne.

 
lou ravi

07/02/2006
21:30
ah que...

... pardon!
 
Agnès

08/02/2006
08:30
re : C'est en citant qu'on devient citron

C'est Jean-Jacques... Livre premier des Confessions. Le plus plaisant, le plus don quichottesque.
 
w

08/02/2006
08:48
re : C'est en citant qu'on devient citron

D'où le «J.J.» de yéti

 
w

08/02/2006
10:17
Appetiser


Alors Marcovaldo, après avoir recommandé à sa femme et aux gosses de ne toucher à rien, tourna rapidement au coin d’une allée, disparut aux yeux de sa famille et, prenant sur un rayon une boîte de dattes, la déposa dans son chariot. Il voulait seulement s’offrir le plaisir de la balader durant dix minutes, de montrer, lui aussi, ses achats comme les autres, puis la remettre là où il l’avait prise. Cette boîte de dattes, et aussi une bouteille rouge de sauce piquante, un paquet de café et des spaghetti sous cellophane bleue. Marcovaldo était sûr qu’en opérant avec adresse, il pouvait, au moins pour un quart d’heure, éprouver le plaisir de celui qui sait choisir le produit le meilleur sans devoir payer un sou. Mais, gare ! si les gosses le voyaient ! Ils se seraient mis tout de suite à l’imiter, et qui sait quelle pagaille ça aurait fait!
Marcovaldo cherchait à les semer, courant en zigzag d’un rayon à l’autre, suivant tantôt des bonniches affairées, tantôt des dames en fourrure. Et chaque fois que l’une ou l’autre tendait la main pour prendre un potiron jaune et odorant ou une boîte de crème de gruyère, il faisait de même. Les haut-parleurs diffusaient des musiquettes gaies. Les clients marchaient ou s’arrêtaient en en suivant le rythme et, au moment voulu, tendaient le bras, prenaient quelque chose et le déposaient dans leur chariot, le tout au son de la musique.
Maintenant, le chariot de Marcovaldo était bourré de marchandises; ses pas le portaient vers des rayons moins fréquentés; il y avait là des produits aux noms de moins en moins déchiffrables, dans des boîtes avec des dessins dont on ne comprenait pas très bien s’ils voulaient dire qu’il s’agissait d’engrais pour la laitue, ou de semence de laitue, ou de laitue proprement dite, ou de poison pour les chenilles de la laitue, ou de pâtée pour attirer les oiseaux qui mangent ces chenilles, ou bien d’assaisonnement pour la salade, ou d’épices pour lesdits oiseaux en brochette. De toute façon, Marcovaldo en prit deux ou trois boîtes.
Il progressait maintenant entre deux hautes haies de rayons. Brusquement, l’allée s’interrompait, et il y avait devant lui un long espace vide et désert éclairé par des tubes au néon qui faisaient étinceler le carrelage. Marcovaldo était là, tout seul, avec son chariot de marchandises; et, au fond de cet espace vide, il y avait la sortie et la caisse.
Son premier mouvement fut de foncer tête baissée en poussant son chariot devant lui comme un char d’assaut, et de s’échapper du supermarché avec son butin avant que la caissière pût donner l’alarme. Mais au même moment, un chariot bien plus chargé que le sien déboucha d’une allée voisine, et c’était sa femme Domitilla qui le poussait. Un autre encore déboucha d’un autre côté, et Filippetto le poussait Je toutes ses forces. C’était là un endroit où aboutissaient les allées de nombreux rayons, et de plusieurs d’entre elles surgissaient l’un ou l’autre des gosses de Marcovaldo, tous poussaient des chariots aussi chargés que des navires de commerce.

 
w

08/02/2006
10:23
Omission

Italo Calvino : Marcovaldo ou les saisons en ville.
 
yeti

08/02/2006
10:43
re : C'est en citant qu'on devient citron

Merci w

Y'en a .............1 qui suit !!!
 
Agnès

14/02/2006
22:51
Deux petits extraits

Trouvé en relisant Dalva, de Jim Harrison, parmi les pensées de Michael, historien plongé dans des documents familiaux sur les guerres indiennes. ça m'a irrésistiblement fait penser à FQ et à ses productuers, ses invités et autres "témoins".

"Certaines réflexions m'avaient beaucoup trop réveillé pour que je puisse me recoucher. L'une d'elles était la nécessité de se tenir à distance de son sujet d'étude (…). Nous n'avons pas pour tâche de lécher les plaies de l'Histoire, mais de les décrire. Que l'homme n'ait pas appris grand-chose de plus que l'acte sexuel est certes un truisme aussi banal que le feu qui brûle quand on met la main dessus, mais il incombe au chercheur de se plonger dans les analyses du problème plutôt que dans le problème lui-même. Sans relâche, il faut se garder du sentiment, de la simple opinion, de la spéculation que les faits ne viennent pas étayer."

"Nous autres universitaires croyons volontiers que nous irradions la logique et la raison pure dans tout le pays, alors qu'il suffit de s'arrêter à une station-service ou d'ouvrir le journal pour s'apercevoir du contraire. L'éducation n'a jamais réussi à éliminer la loufoquerie fondamentale de l'esprit américain. Ce n'est pas que nous croupissions dans les chiottes de la génétique, mais la culture, le système éducatif égratignent à peine la surface de la conscience populaire."


 
w

14/02/2006
23:24
re : C'est en citant qu'on devient citron

Arf ! Super, ça m'évitera de passer une nuit claire.
Marci Agnès.
 
Alfred Jarry

16/02/2006
14:41
Reglement du pieton ecraseur

Un règlement s’élabore pour réfréner le piéton écraseur. Dans l’intention de nous documenter plus amplement au sujet de celui-ci, nous nous sommes exposé à sa férocité, monté sur un hétéromobile. Le piéton observé, en bas âge, s’est conformé en tous points à la description que nous avons donnée, dans cette revue, de ses allures. Après l’expérience, comme nous n’avions plus besoin de lui, l’humanité nous a fait un devoir de le mettre hors d’usage.

Article premier :
Le permis de circulation du piéton ne sera exigible que des personnes mineures : enfants, femmes et hommes n’ayant point encore acompli leur service militaire. On sait que ce dernier a été institué principalement pour inculquer à l’homme les premiers rudiments de la marche à pied.

Article II :
Le piéton en âge requis ou dûment autorisé, muni des appareils avertisseurs réglementaires sera (à l’inspiration de la loi qui régit les voitures sans chevaux en Angleterre) précédé à cinquante pas d’un agent des Ponts et Chaussées, assermenté, agitant un drapeau ou un fanal rouge ; et suivi, à la même distance, par un gardien de la paix brandissant avec frénésie un drapeau ou un fanal vert.

Article III
Le piéton en bas âge, étant justement soupçonné de propension à une allure exagérée, ne sera admis sur la voie publique, sans préjudice des garanties exigées, que tenu en laisse.

Article IV
Un seul drapeau collectif pourra suffire au piéton en troupe : mais comme il ne convient pas que la sécurité publique soit compromise par une si large tolérance, cette troupe devra être précédée d’une musique de qualité arbitraire mais assez pruyante pour être entendue à cinq cents mètres : chaque individu devra être porteur, en outre, d’un avertisseur à détonation.

 
Agnès

21/02/2006
16:24
Glose à un fil du forum bleu

"Comme on le voit par cet exemple (*), [assure Luc Etienne], la charade à tiroirs est à la charade simple ce que le bridge est à la bataille ou au nain jaune. Parfaitement impertinente, elle s'adresse à tous ceux qui ne se sont pas laissé prendre au piège de leur propre gravité".
* A venir si les foromeurs ne crient pas grâce. C'en est une du Victor H soi-même.

 
shhh

06/03/2006
14:55
re : C'est en citant qu'on devient citron

Ma dernière métamorphose.
Soudain je me sentis comblé. J’étais devenu un rhinocéros et trottais dans la brousse. Moi, si vulnérable d’habitude, je pouvais enfin affronter la lutte pour la vie avec de grandes chances de succès. Ma métamorphose me paraissait tout à fait réussie jusqu’en ses profondeurs et tournait au chef d’œuvre, lorsque j’entendis distinctement deux vers de Mallarmé dans ma tête dure et cornée. Décidément, tout était à recommencer.

Supervielle.

 
Alexandre Vialatte

16/03/2006
01:24
Les fruits du Congo

Dans un CD plus ou moins hors commerce mais disponible au prêt dans les bibliothèques de la ville de Paris (ainsi que chez l’éditeur d’histoire Perrin & Perrin, mais cette fois à l’achat), on peut entendre Vialatte parler, raconter sa vie, et lire quelques extraits de son oeuvre. Après Dickens et avant le catalogue Manufrance, recueil plein de choses grandes et magnifiques, Vialatte s’attarde sur « Les fruits du Congo », et surtout sur le personnage de Vingtrinier :

<< Michel Simon m’avait promis et signé de le jouer, oui, j’ai sa promesse solennelle avec sa signature. Il avait été séduit par ce personnage, parce qu’il était repoussant. Je lui avais dit « Est-ce que vous aimeriez jouer Vingtrinier : c’est un avocat sans causes, c’est un être assez immonde, qui ne se plait qu’à sentir des odeurs méphitiques : sa grande distraction c’est de tourner autour du mouflon corse au jardin des plantes, parce qu’il sent très mauvais, etc etc, c’est un mal blanc, c’est un panari, est-ce que ça vous plairait ? »
Michel Simon m’a dit : « Vous pensez ...!! »
Il était très heureux et très flatté. Charmant Michel Simon. Il a des yeux très bons, très intelligents, c’est un grand personnage. >>
[...]
<< Alors M. Vingtrinier c’est ce personnage méphitique et inquiétant que MS aurait eu tant de plaisir à jouer. Alors le matin, il est voeuf, il se lève dans la désolation la plus complète, il est découragé. Il regarde ses pieds, et il voit que l’ongle de son gros orteil est noir comme le charbon, ça le déprime beaucoup ... Et puis alors il arrive petit à petit, en se réconfortant avec du rhum et en se disant des poèmes de Hérédia, il arrive à l’heure où il doit s’occuper de l’agenda. Alors l’agenda c’est sa vie, c’est là qu’il écrit tout ce qu’il devrait faire et qu’il ne fait pas... >>

Ensuite de quoi, Vialatte lit directo les pages 223-225 sur la vie de l’anti-héros Vingtrinier. Voici ci-après ce morceau de bravoure, qui contient quelques unes des plus belles phrases qu’on puisse lire trouver (je le dis comme je le pense, prenez donc ça comme vous le saisirez)

France Culture a tiré des Fruits du Congo un feuilleton radiophonique en 25 épisodes (en 1978 me semble-t-il). Et il existe un « Une vie une oeuvre » produit par Denis Wetterwald (1994 approx)

./...
 
Vialatte

16/03/2006
01:25
voici l'extrait promis...

<< Dès lors, il se sentait de taille à aborder l’heure solennelle de l’agenda. L’agenda était un gros livre relié de noir, à tranche marbrée, dont le millésime s’ornait d’un paraphe d’or. On l’achetait quatre francs aux Galeries du progrès, et une fois chez M. Vingtrinier, on le trouvait sous la galantine, ou sur le bol de vinaigrette qui restait du repas de la veille et servirait encore pour le poireau du soir. Telle était l’apparence mesquine de l’agenda. Mais dans les mains de M. Vingtrinier, l’agenda s’était transcendé. Il était devenu une grande institution, une représentation de la vie, et finalement la vie même. M. Vingtrinier s’y vouait. C’était une mystique. Il ne vivait plus que pour ce fétiche d’or et de ténèbre, pour ce dieu d’une morale tatillonne, sans obligations ni sanctions. Il était entré dedans, il y avait disparu comme Alice dans l’envers de la glace. Sa vie terrestre n’était plus qu’un alibi. Sa vraie vie était celle de ce fantome surmené que l’agenda trainait à une cadence de rêve, de page en page, de grands projets en grands travaux, du commencement à la fin de l’année.

Car M. Vingtrinier ne faisait rien. Il est difficile de faire moins que ne faisait M. Vingtrinier, si l’on ne convient pas d’appeler faire quelque chose se réciter du Hérédia en face de son miroir à barbe, regarder sa chaussette percée, tuer les mouches par vingt-trois dans l’arche des David, ou compter les bons-primes d’une veuve gémissante. M. Vingtrinier ne faisait donc rien, mais ce rien il le faisait à l’heure. Son oisiveté ne lui laissait aucun loisir ; elle le poursuivait sans trêve. C’était le bagnard de l’inaction, le persécuté de la paresse, le damné du désoeuvrement. Sa journée était un néant, mais il n’y eut jamais de néant si distribué, si ramifié, si réparti et si souvent chronométré.

Nul ne saura jamais les choses magnifiques qu’eût accomplies M. Vingtrinier dans le bref espace d’une vie de mammifère fatigué s’il n’a pas jeté un coup d’oeil dans l’agenda de cet homme ardent par la pensée. Nul ne connaitra sa vraie vie, j’entends celle qui se jouait au-delà des apparences quadrillés de rouge et de bleu où le vulgaire engage des chiffres. M. Vingtrinier ne se servait jamais de chiffres, ils donnent à leurs colonnes l’air d’un papier tue-mouches. Le chiffre est noir, cornu, funèbre, compliqué comme un corbillard ; quand les comptes se font en chiffres, il semble toujours à l’homme que sa nature s’attriste ; il lui en reste une dépression. En revanche les rêves, les imaginations, les belles pensées, les vastes tâches, les mille occupations d’une existence savante soutenues d’ambitions distinguées se prennent et gazouillent comme des oiseaux des îles dans les rets bleus et rouges d’un agenda bien fait. >>

 
Agnès

17/03/2006
00:11
L'homme au gap humoral

"La musique est l'horizon ultime de la littérature".

Si c'est pas mallarméen, ça!

 
Agnès

13/04/2006
11:09
Exquise anecdote etymologique

Il est un substantif, honnête et banal autant que modeste, dont l'origine relève pourtant de la plus esbaudissante truculence : le mot "patère". Vous savez, ce machin après quoi on oublie sa gabardine, là où les gens qui en portent encore oublient leur chapeau. (…)
Adoncques, il était autrefois, dans l'"île aux Singes", une langue de verdure qui, au-delà des Gobelins, partageait en deux notre vieille amie la Bièvre, des constructions de bois et de branchages. Le terrain était à tout le monde : et les riverains qui disposaient de quelques loisirs aimaient à venir se prélasser de temps à autre dans ce lieu calme et ombragé.
Or, en un temps que je crois pouvoir situer aux environs de 1350, un prêtre séculier dont la postérité ne nous a point légué le patronyme, faisait retraite en cette île durant la belle saison. Robinson d'avant la lettre, il vivait chichement dans une cahute par lui construite, et s'adonnait à de profondes et sévères méditations. Il ne dédaignait point, lorsque le temps était chaud, de s'aller livrer dans les eaux de la rivière, à de dévotes ablutions. Peu d'humains vivaient en ce lieu; et le prêtre à l'âme pure, n'ayant rien à cacher au créateur, se baignait dans le plus simple appareil, en gardant toutefois, suprême déférence, son chapeau.
Des ronces, des broussailles formaient de touffus promontoires, et les rives de l'île étaient ainsi bordées de criques charmantes où l'on se sentait chez soi, dans l'intimité confiante des premiers âges.
Un jour, le prêtre s'aventura un peu plus loin que n'eût dû lui permettre le rideau de feuillage. Il n'avait de l'eau que jusqu'à mi-cuisses. Et là, il se trouva nez à nez, si l'on peut ainsi dire, avec deux adorables naïades –comme si Ève eût eu une sœur jumelle. La surprise immobilisa, pour un temps, nos sirènes. Peut-être aussi je ne sais quelle curiosité…
Les voies du Seigneur sont impénétrables. Cette vision à lui offerte n'était-elle point l'une des tentations contre quoi l'Évangile nous met en garde?
Deux soucis assaillirent l'esprit du prêtre : celui de déférer aux liminaires préceptes de pudeur : celui aussi d'implorer Dieu qu'il ne le laissât point succomber et délivrât son esprit de tous ses désirs impurs.
Fortement troublé, il ôta son chapeau, qu'il plaça là où le lui commandaient d'éternels principes, joignit les mains au-dessus de sa tête, et en toute humilité récita : Pater noster qui es in coelis
Alors s'accomplit le miracle : ô l'ineffable vigilance du Seigneur omniprésent! Le chapeau resta en place .
Adveniat regnum tuum ...
La merveilleuse efficacité du Pater prononcé en d'aussi dramatiques circonstances confirma notre prêtre dans ses édifiantes convictions.
Dans l'île même, il bâtit, de ses mains, une chapelle dont il orna le fronton d'un visage féminin rayonnant de divine pureté. Et la chapelle fut dédiée à "Sainte Patère". Nul ne lui tint rigueur d'avoir improvisé, à l'intention de Sainte Nitouche, une sœur cadette…
Chez les Élus aussi, il doit y avoir une "Compagnie Hors-Rang"…
J'ai retrouvé, jusque dans les grimoires de la fin du XVIème siècle, mention des vestiges de la chapelle "Sainte Patère". J'éprouve pour la petite sainte une tendre vénération. Vers elle vont mes pensées, chaque fois que j'accroche mon imperméable.

(Jacques Yonnet - "Rue des maléfices")

 
pascale

13/04/2006
15:05
re : C'est en citant qu'on devient citron

Merveilleux !
 
lou

13/04/2006
15:46
pater/patère

C'est beau donc c'est vrai

 
dom

13/04/2006
23:34
re : C'est en citant qu'on devient citron

ah quelle merveille, et comme c'est bien ecrit, j'aime ce coté faussement naif de la narration et qui plus est ornementé de citations latines.
hé, hé, hé, (rire de vieux satyre)
 
w

14/04/2006
08:36
Alors là,


 
pascale

14/04/2006
17:59
re : C'est en citant qu'on devient citron

Je ne peux plus regarder une patère sans être pliée de rire et j'ai déjà raconté deux fois cette histoire...édifiante !
 
Agnès

14/04/2006
20:20
re : C'est en citant qu'on devient citron

C'était un peu le but de l'opération . Ovide enchantait le monde "géographique" de ses histoires de métamorphoses, plus modeste, je me borne au quotidien le plus trivial...

 
pascale

14/04/2006
20:53
re : C'est en citant qu'on devient citron


 
Agnès

23/05/2006
22:49
re : C'est en citant qu'on devient citron

Un autre petit coup de Swift, pour rendre hommage à ce brillant causeur nommé Nickito de Moràn (ou John le Brain,c'est encore pire) :

"On appelle aujourd'hui plaisanterie l'art de dérouter un homme dans son discours, de lui faire perdre contenance, de le rendre ridicule et de faire sortir les défauts de sa personne ou de son esprit. On lui impose en même temps l'obligation de ne point se fâcher, sans quoi on lui reprocherait de ne pas entendre la plaisanterie. C'est une chose curieuse d'observer un homme rompu à cette espèce d'escrime, s'attaquant à un faible adversaire, et mettant comme on dit tous les rieurs de son côté. Les Français et nos pères, dans un siècle plus poli, ont eu une idée bien différente de la plaisanterie. La plaisanterie, selon eux, présentait à la première apparence une espèce de reproche ou de satire, mais par une certaine tournure inattendue, elle se terminait toujours en quelque chose d'agréable pour la personne sur qui elle était faite. Cette pratique était assurément plus conforme aux lois de la conversation, dont une des plus importantes et de ne jamais rien dire que quelqu'un de la société puisse souhaiter qu'on n'ait pas dit, loi bien raisonnable sans doute, puisqu'il n'y a rien de plus contraire au but qu'ont des gens qui se rassemblent que de faire qu'ils se séparent mécontents des uns des autres.
[...]
On voit par le peu que nous avons dit combien l'homme est dégradé dans l'abus qu'il fait de cette faculté qui forme la plus grande distinction de son espèce d'avec celle des bêtes, combien peu d'avantage nous retirons de ce qui pourrait être le plus grand, le plus durable, le plus innocent et en même temps le plus utile plaisir de la vie.
Voilà pourquoi nous substituons à ce plaisir les amusements frivoles et petits de la parure, des visites, du jeu, de la table et de la débauche ; de là la corruption de corps et d'esprit dans les deux sexes et la perte de toutes les vraies idées de l'amour, de l'honneur de l'amitié et de la générosité dont on se moque aujourd'hui, et qu'on éloigne comme des sentiments affectés et peu naturels.

 
A

23/05/2006
22:51
re : C'est en citant qu'on devient citron


Je vous la mets en deux fois, pour ne pas faire un plan GDF :
"Cette décadence de la conversation, et les conséquences funestes qu'elle a entraînées pour notre caractère et nos dispositions, est en partie due à l'usage établi depuis quelques temps d'exclure les femmes de la société, excepté dans les parties de danse, de jeu et dans le commerce de l'amour. Je regarde la partie paisible du règne de Charles Ier comme l'époque de notre plus grande politesse. Je crois qu'elle est en France de la même date, par ce que nous lisons dans les écritures de ce temps aussi bien que d'après les récits que j'ai entendu faire à quelques personnes qui avaient vécu sous ce règne à la cour. Je vois que la manière de soutenir et de cultiver la conversation était tout à fait différente de la nôtre. Plusieurs femmes que nous trouvons célébrées par les poètes de ce temps avaient des assemblées dans leur maison, ou des personnes les plus spirituelles de l'un et de l'autre sexe se réunissaient pour passer la soirée en discourant sur des sujets interessants que l'occasion faisait naître ; et quoiqu'on puisse jeter quelque ridicule sur les idées platoniques et exagérées qu'on s'y faisait de l'amour et de l'amitié, je conçois que ces raffinements avaient un fond de raison. Il faut un peu de romanesque à l'homme, c'est un assaisonnement qui conserve et exalte la dignité humaine, et sans lequel elle peut dégénérer jusqu'au vice et à la bassesse. Quand la conversation des femmes n'aurait d'autre avantage que de bannir l'indécence et la grossièreté, où nous autres peuples du Nord tendons sans cesse, cela seul devrait faire désirer d'en ramener l'usage. On peut remarquer à ce sujet que les agréables qui sont si amusants et si féconds sous le masque à Hyde Park et au bal sont muets et décontenancés dans la compagnie des femmes honnêtes comme s'ils étaient hors de leur élément.
Je crois avoir indiqué une grande partie des fautes que l'on commet dans la conversation si nous en exceptons celles qui sont particulières à un petit nombre de personnes, et celles qui sont trop grossières pour qu'il soit besoin de les combattre, comme les discours indécents. Je n'ai prétendu parler que des vices généraux et n'ai point voulu toucher les sujets mêmes des conversations, ce qui serait infini".

(Traduction de l'abbé Morellet.)

 
shhh

23/05/2006
23:04
re : C'est en citant qu'on devient citron

Joli texte. Merci.
 
w

24/05/2006
10:29
re : C'est en citant qu'on devient citron

Yeap, merci Agnès !
 
George Smiley

25/05/2006
15:24
L'appel du Mort - Chapter Two

<< Il se sentait en sécurité dans le taxi. En sécurité et au chaud. Une chaleur de contrebande, empruntée en fraude à son lit et qui formait écran entre lui et cette pluvieuse nuit de janvier. Une sécurité irréelle, parce que c'était le fantôme de Smiley qui parcourait les rues de Londres et observait les malheureux noctambules, réfugiés sous les parapluies des portiers, et les prostituées, enveloppées de plastique comme des cadeaux bon marché. C'était son fantôme, se disait-il, qui était remonté de l'abîme du sommeil et avait décroché le téléphone stridulant sur la table de chevet... Oxford street... Pourquoi Londres était-elle la seule capitale du monde qui perdît sa personnalité la nuit ? Smiley, tout en resserrant son manteau sur lui, ne se rappelait aucune ville, depuis Los Angeles jusqu'à Berne, qui renonçât si aisément à sa lutte quotidienne contre l'anonymat. >>

(Traduit de l'anglais par Catherine Grégoire)

(cf fil Métropolitains
http://www.broguiere.com/culture/forum/index.php3?lecture=28 11

 
tss !

25/05/2006
17:19
tss !

John Le Carré : << Les exemples de l'exploitation du tiers-monde par les multinationales ne manquent pas et sont souvent terrifiants. En Afrique en particulier. J'en cherchais donc l'illustration la plus intéressante pour mon roman. J'aurai pu choisir les compagnies pétrolières ou l'industrie du tabac. J'avais le choix! Mais il m'a semblé que l'exemple le plus saisissant était celui des groupes pharmaceutiques.>>

interview Télérama n°2698 - 26 septembre 2001
John Le Carré "La Constance du jardinier"
 
bel exemple

25/05/2006
17:27
bel exemple

merci de respecter l'argument du fil au lieu d'en faire une banderole dufalsienne
 
Chaval

26/05/2006
11:34
la preuve...

Mes chers amis, voici ma véritable lettre de château :


Mes chers amis, pour vous remercier, je vous lègue :

mes deux chevaux de selle, le borgne et l'aveugle
ma grosse montre à Thé dont le ressort casse à Noel
mon échelle optique en chène du sénégal
les meubles japonais du petit salon chinois
mon petit secrétaire pédéraste marqueté par la petite vérole
mon automobile noire complète avec son chauffeur et son aide de camp
ma grande tenue de receveur d'autobus
la légion d'honneur accrochée à mon pyjama
ma grande négresse hystérique avec trois jeux de tétines lolo
ma tour effeil pliante en osier
ma chaise percée gothique
mon cinéma cochon avec sa porcherie
ma grande bite d'apparat
trente dessins invendables numérotés de un à vingt
un lavabo deux lavabelles
un escabeau deux escarcelles
une parcelle
trois nacelles en plomb
un ballon démodé
un avion tragique
un train comique,
un collier de chienne en perle de culture
une ceinture de chasteté qui dit papa-maman

une bicyclette de déserteur à rétropédalage
une boite d'hosties empoisonnées pour détruire les souris de bénitier

Mes sentiments affectueux

Yvan
 
shhh

26/05/2006
17:44
aphorismes

L'existence des chrétiens prouve la non-existence de Dieu.

Les chats ont de la veine : l'obscurité ne les empêche pas de lire.

« Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement
« Et les mots pour le dire arrivent aisément. »
Malheureusement, nous ne saurons jamais à coup sûr ce que Boileau entendait par se concevoir, bien, s'énoncer, clairement, mots, dire, arriver et aisément.

(Mes inscriptions (1943-1944), p.53, Éditions Labor, 1990)

Louis Scutenaire
 
Agnès

17/06/2006
06:55
Monomane ce matin

Castoration : Opération consistant à se faire aplatir la queue .
**Sartre répondait exactement au voeu de mes quinze ans : il était le double en qui je retrouvais, portées à l'incandescence, toutes mes manies. En retour, il trouvait en moi un audutoire et une chambre de résonnane : en faisant barrage à l'idée que sa philosophie fût stérile, je l'aidais à résoudre le complexe de castoration qui le rongeait alors.**
Délectable.

 
shhh

17/06/2006
08:06
re : C'est en citant qu'on devient citron



Très joli?
Ça vient des papous ?
 
Agnès

17/06/2006
09:18
Oups !

Encore un peu dans les vaps...
** un audItoire et une chambre de résonanCe **.
Non, mais c'en est digne. J'en ai semé deux autres sur les fils Troc de trucs (forum bleu) et Papoulâtres.
Ophulsquer : Susciter le chagrin et la pitié.

Palabrutir : Accabler son interlocuteur sous un flot de paroles oiseuses (Syn : baratatiner).

Ouliposuccion : Opération consistant à ébarrasser un texte de ses surcharges adipeuses en le soumettant à des contraintes définies par l'Ouvroir de Littérature Potentielle.

 
AArgh!!!

17/06/2006
09:19
re : C'est en citant qu'on devient citron

**à Débarrasser un texte** !
 
Agnès

17/08/2006
23:21
Un petit coup de Sardaigne

"Du haut du clocher dong… dong… dong… l'écho cogne contre les cyprès du cimetière et résonne dong… dong… jusqu'aux figuiers de Barbarie qui entourent la maison aux Fontaines Rouges, jusqu'aux vignes pierreuses de Caradé, jusqu'aux champs d'asphodèle et de férule d'Oddoraï où croassent rauques les corneilles, jusqu'aux chênes tortus et saignants des "salti" d'Ucanélé, jusqu'aux champs de blé rouillé de Biduvé, jusqu'aux enclos de myrte et de lentique des "salti" d'Ovoréi, jusqu'au noir "nouraghe" d'Orvenza, jusqu'aux lointains "salti" de Soliana, où sautillent les chèvres aux pieds noirs et aux yeux jaunes comme le soufre.
Les vieux qui travaillent dans la campagne ou se recueillent en silence au fond des maisons de pierre noire, pâlissent en sentant frapper à leur cœur le tambour de la mort.
Mais somme toute, faire le métier de carillonneur à Arasolé, c n'est pas mal du tout.
Aujourd'hui, à vrai dire, tous les coups sont gratis. Depuis l'aube, gratis, vous dis-je.
Ne vous étonnez pas, bonnes gens, si aujourd'hui je sonne la messe pour rien : c'est celle du vingtième anniversaire de ceux qui sont morts à la guerre et moi je suis l'unique mobilisé d'Arasolé qui ait rapatrié sa peau de Russie."

Franesco Masala, "Ceux d'Arasolé".


 
w

27/09/2006
11:41
La réform de lortograf

La kestion de la réform de lortograf est sur le tapi. Naturelman, il y a dé jan qui se voil la fass com sil sajicé de kelk onteu sacrilèj. Dôt-z-o contrer trouc ça tré bien. Kom de just, je fu lun dé premié interviouvé. Mon cher mêt parci, mon cher mêt parlà, ke pensé vou de cett réform ?
Ce ke jan pans, cé tré simpl : je la trouv exélante.
Je me suis déjà expliké sur ce sujé dans les «Anal politic & litérer» é me suis caréman ranjé du côté de Gréar.
Jé mêm naré la grande coler dune dame ki sécrié : «Lortograf ! mé cé notr sauvgard, a nou zôt mondène ! Si on suprim lortograf, coman pouraton fer la diférans entr une duchess é la demoisell dun concierj !»
Toubo, ma bel, toubo ! O ke voilà dès sentiman ki retard sur notr époc uniyrt é démocratic !

A.A.
 
w

27/09/2006
14:16
re : C'est en citant qu'on devient citron

J'étais pressée, mais quand bien même je ne le fus point, nulle différence. Du trouc... euh, faites-en plutôt un «trouv», ça contrepète moins mais c'est plus fidèle.
Et en dernière ligne, remplaçons allégrement uniyrt par uniter.

Désolée Alphonse !

 
Agnès

29/04/2007
10:31
A votre réflexion...

Au fond, la radio offrait spontanément la disposition idéale de la cure analytique : on parle, on s’écoute, on s’entend, mais on ne se regarde pas. Le regard ne croise pas le regard. L’esprit peut alors se fixer sur l’essentiel, se concentrer, réfléchir à loisir sur les événements qu’il entend commenter, sans qu’on lui impose le commerce trop physique d’un visage contingent. La voix s’entend, là où la vue efface. Or, de l’écoute de la voix, comme Moïse au désert, on est passé à l’adoration des images. C’est une notable régression du monothéisme au culte des idoles.
Voir autorise à ne plus penser. L’image est un écran interposé entre le réel et la réflexion. Plus encore : elle est tenue pour la réalité même, et son effet cathartique vous évite la peine d’y réfléchir. Narcotique, l’image télévisuelle est proche du rêve éveillé.

L’attention flottante de l’analyse vous portait par des ressorts secrets vers quelque souvenir oublié que l’on retrouvait, choqué, remué, bouleversé, comme on repêche un trésor englouti, voire un corps qui s’est noyé dans la profondeur du temps. L’écran, dans sa suspension hypnotique, vous distrait, vous entraîne chaque seconde un peu plus loin de vous-même, pour vous abandonner sur des rivages stériles où il ne pousse rien, et qu’aucun humain n’a jamais voulu habiter.

C’est un extrait d’un des fragments : « Distraction », d’un opus récent de Jean Clair : « Lait noir de l’aube », dans la jolie et stimulante collection : « L’un & l’autre » chez Gallimard, collection dirigée par Pontalis. Variations « atrabilaires » ou nostalgiques* sur le monde contemporain en ses chutes, ses débordements, ses décadences, autour du concept disparu d’ « acédie », une variété aiguë de mélancolie.

*Fi donc !


 
Agnès

30/09/2007
16:00
Monomanie

Joli texte sur un de mes auteurs... aymés.

MARCEL AU JARDIN
Antoine Blondin

Quand j'avais seize ans, j'étais interne et, le soir, au dortoir, je lisais un peu sous mes draps, à la lueur d'une lampe électrique. Une nuit, un surveillant terrible me débusqua dans ma caverne de toile, s'empara de ma lampe d'Aladin, puis de mon livre, dont il consulta machinalement le titre dans la pénombre : c'était Le Nain de Marcel Aymé. Un miracle se produisit alors, car il me sembla que cette fois, c'était le visage du pion qui s'éclairait. Il dit " Là, ça change tout. " Et, à dater de cet instant, il flotta sur nos relations une manière d'esprit de famille. Un jour, j'en arrivai même à lui confier que j'avais été élevé très tôt dans le culte de ce romancier par mon père, qui possédait beaucoup de fantaisie et d'humilité. Il m'expliqua que c'était parfaitement dans l'ordre. Si bien que tout le temps que j'ai connu Marcel, il m'est apparu que cet immense orphelin enfermait dans certains de ses replis comme le reliquaire de ma piété filiale. Les lecteurs de Marcel Aymé ont toujours été, Dieu merci, trop nombreux pour s'imaginer qu'ils constituaient une secte, trop instruits, par son oeuvre même, des formes amples et diverses de la vie pour se recroqueviller dans l'état de complice, mais il demeure certain qu'il existe entre eux un lien de parenté. Il tient dans l'amitié profonde que suggèrent pour leur auteur des histoires dont il s'est pourtant manifestement appliqué à être absent. Ce paradoxe aura eu le mérite de regrouper autour de chacun de ses livres la curiosité affectueuse d'une escorte où, périodiquement, ce pays partagé, dont les citoyens ont perdu jusqu'à l'habitude d'un sentiment en commun, où les couleurs commandent les goûts, où les casaques vous obligent comme des camisoles de force, se récapitulait pour une minute d'unanimité chaleureuse avant de s'en retourner à ses barricades. Aujourd'hui, je me demande si je n'ai pas tenté de me rapprocher de la littérature dans l'espoir de rejoindre cet inconnu dont la tendresse discrète faisait fondre mes contemporains, je veux dire rencontrer l'homme. Le souvenir des moments passés dans sa compagnie est la plus précieuse des distractions à quoi je pourrais jamais prétendre.
Marcel Aymé était d'un abord plus facile qu'on n'imagine généralement. Je crois même qu'il éprouvait une attirance profonde pour son prochain dans l'émerveillement où le plongeaient les riches saveurs de l'existence qui se distribuent entre toutes les créatures. Chacune pour lui portait un mystère captivant qu'il s'efforçait de pénétrer par une attention si soutenue qu'elle le réduisait à un silence chargé d'élans. On comprenait vite qu'il n'était ni très timide, ni distant, ni indifférent, ni muet, mais qu'il oubliait simplement de parler parce qu'il était perdu dans vos pensées.
Il ne provoquait pas les confidences mais il exerçait un magnétisme qui retenait les êtres et les incitait à partager avec lui le manteau des soucis. Il accueillait vos problèmes avec un formidable sérieux et suggérait des solutions dénuées de toute complaisance. Sous une apparence vulnérable - je revois sa nuque juvénile - c'était un rocher de rigueur et d'honnêteté. Sa fréquentation vous améliorait. Elle avait le goût du sel et de la substance du pain. Avec lui, la sagesse cessait d'être l'apanage des vieillards, la drôlerie celui des pitres, la gravité celui des cuistres, la bonté celui des faibles ; il ne disait pas une bêtise, il ne tenait aucun propos totalement désespéré, il n'avançait rien dont il ne fût assuré et le bras qu'il tendait n'avait pas de défaillance. Parfois, il laissait entendre qu'il riait en dedans, puis ce rire éclatait soudain comme un coup de soleil sur les sillons d'automne et posait une lumière d'apothéose sur son visage finement renversé en arrière.
Même au loin, retenu pudiquement dans sa retraite d'où il fallait l'extraire, il avait l'absence agissante. Il était cependant bien rare qu'il téléphonât le premier, mais il ne résistait pas au plaisir devant chez un ami et de monter, comme à la campagne on pousse une grille. Au demeurant, j'ai toujours été étonné de le trouver invariablement disponible pour tous les rendez-vous. Dans ces rencontres de la vie parisienne, qui ressemblent à des duels, les séparations revêtent une qualité brutale. Au fond, on ne connaît vraiment que le dos des gens. A la campagne précisément, on s'éternise ; on est moins liant et moins déliant. Marcel Aymé possédait la rare vertu de ne pas savoir quitter les autres, il semblait perpétuellement habité par la mélancolie des sympathies interrompues.
Donc, il se tenait tout près, tout prêt, dans la coulisse de ceux qu'affligeaient le chagrin, la gêne, le désarroi moral ou matériel. (Je me rappelle l'avoir vu s'appliquer à distraire certains de mes créanciers par sa conversation, mais oui !). Sa maison en forme de lanterne au sommet de la Butte était un phare, et sans éclipses. Sa force tranquille dissipait les malédictions. Sa disparition nous rend à un monde sans indulgence où les nains ne grandiront plus, où les fossoyeurs n'auront plus de lyrisme, où les huissiers ne s'abandonneront plus au démon de la charité. Par delà toutes les afflictions, cette tombe qui rouvre celle de Céline, de Stephen Hecquet et de Roger Nimier, je ne m'y fais pas du tout, malgré son air montmartrois.
A ceux qui l'ont aimé comme un tuteur, comme un frère, comme un enfant parfois, et qui referont le pèlerinage de la place du Tertre par la rue Norvins, qu'on dise plutôt : " Marcel est au jardin. "

 
LRDB

29/01/2008
02:32
Pour les exilés et pour les nostalgiques

<< J'ai quitté les tilleurs pour habiter avec elle à l'Hermitage.
Un soir ils sont venus me chercher, Meinthe et elle. Je venais de dîner et j'attendais au salon, assis tout près de l'homme à tête d'épagneul triste. Les autres attaquaient leur canasta. Les femmes bavardaient avec Mme Buffaz. Meinthe s'est arrêté dans l'encadrement de la porte. Il était vêtu d'un costume rose très tendre, et de sa pochette pendait un mouchoir vert foncé. Ils se sont retournés vers lui.
- Mesdames... Messieurs, a murmuré Meinthe en inclinant la tête.
Puis il a marché vers moi, s'est raidi : - Nous vous attendons. Vous pouvez faire descendre vos bagages.
Mme Buffaz m'a demandé, brutalement : - Vous nous quittez ? Je baissais les yeux.
- Ca devait arriver un jour ou l'autre Madame, a répondu Meinthe d'un ton sans réplique.
- Mais il aurait au moins pu nous prévenir d'avance.
J'ai compris que cette femme éprouvait une haine subite à mon égard et qu'elle n'aurait pas hésité à me livrer à la police, sous le moindre prétexte. J'en étais attristé.
- Madame, ai-je entendu Meinthe lui répondre, ce jeune homme n'y peut rien, il vient de recevoir un ordre de mission signé de la reine des belges.
Ils nous dévisageaient, pétrifiés, leurs cartes à la main. Mes habituels voisins de table m'inspectaient d'un air à la fois surpris et dégoûté, comme s'ils venaient de s'apercevoir que je n'appartenait pas à l'espère humaine. L'allusion à "la reine des belges" avait été accueillie par un murmure général, et lorsque Meinthe, voulant sans doute tenir tête à madame Buffaz qui lui faisait face, les bras croisés, répéta en martelant les syllabes :
- Vous entendez madame ? La reine des belges !!! Le murmure s'enfla et me causa un pincement au coeur. Alors Meinthe frappa le sol du talon, il tendit le menton et lança très vite, en bousculant les mots :
- Je ne vous ai pas tout dit madame... LA REINE DES BELGES C'EST MOI ! >>

Patrick Modiano - Villa triste (Ch. V) - Gallimard 1975
 
Allons, René

29/01/2008
02:33
Tu te prends pour la Carlton ?

C'est (Les Tilleuls) of course
 
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