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Agnès

16/03/2005
22:48
re : C'est en lisant qu'on devient liseron

Je ne suis pas du tout une spécialiste de littérature nordique, et pourtant... Après les romans policiers d’Henning Mankell, mentionnés plus haut et vraiment palpitants, j’ai lu hier un polar d’un islandais, Arnaldur Indridason, traduit par Eric Boury chez Métailié, « La cité des jarres ». C’est moins bien que Mankell, parce qu’il n’y a pas une atmosphère spécifiquement islandaise, je veux dire qu’à part les noms, et quelques affirmations sur les meurtres à l’islandaise, on ne voit pas la spécificité des paysages ni des modes de vie des gens (alors que chez Mankell, sans pittoresque excessif, on a l’impression de visiter la Suède). Les personnages sont moins bien campés et caractérisés, aussi. Le flic, Erlendur, un quinquagénaire très déprimé, encore un, a deux assistants un peu incolores et interchangeables quoique de sexes différents. Mais l’enquête sur le meurtre d’un retraité qui se révèle un très sale type est bien menée, et nous entraîne dans des péripéties imprévues, qui tiennent en haleine jusqu’à la fin. Brèfle, ça se lit bien.

Dans un tout autre genre, jubilatoire, je voudrais faire un éloge enthousiaste d’un écrivain que j’ai lu presque par hasard, et qui m’a ravie. Le danois Jørn Riel, auteur d’une série de « Racontars arctiques » dont je raffole. Il y a chez 10/18 au moins six volumes de petits recueils de « nouvelles » ?, « contes » ? qui mettent en scène les chasseurs de phoques, ours, renards…au nord-est du Groenland. Habitant à deux ou trois, parfois seuls, des cabanes isolées à des journées les uns des autres, ils se réunissent régulièrement pour être ensemble, boire, (beaucoup), manger, mettre en œuvre leur dernière marotte et se raconter leurs dernières histoires. Le narrateur principal est l’étudiant Anton, un intellectuel venu chercher là-bas son Groenland littéraire rêvé, et qui y a trouvé des compagnons, un mode de vie et à terme, sa vocation d’écrivain. La nouvelle « une odyssée littéraire », où il perd son unique bout de crayon je vous dirais pas comment en pleine crise de création est un délire d’inventivité burlesque. Evidemment tous ces hommes manquent de femmes, et il existe à leurs désirs, outre les visites à la ville pas voisine du tout, des exutoires imprévisibles. Ça c’est « La vierge froide et autres racontars », et « Un safari arctique ». D’ailleurs, je vous conseille de commencer par le second, qui maintient un suspense extraordinaire dans la nouvelle « c e qu’il advint d’Emma par la suite ». C’est aussi dans celui-là qu’arrive l’étudiant Anton, et sa saison dans la même cabane qu’un chasseur totalement lymphatique qui passe l’essentiel de son temps de cabane à dormir, comporte un quiproquo particulièrement divertissant. Il y a aussi le combat solitaire de Siverts contre un ours, et pêle-mêle, au fil des volumes, l’odyssée d’un cadavre, celle d’une puce, celle d’un rat, le curé d’enfer, la visite du technocrate venu rationaliser les méthodes de chasse, un serpent boa !!!, des planteurs de vigne ET viticulteurs, un tricoteur, les visites bisannuelles du capitaine Olsen qui apporte le ravitaillement, récupère les peaux en truandant au max sur les prix et amène les nouveaux, ou nouvelles venu(e)s… Sans vouloir jouer les bas-bleus, cela tient par la modestie des sujets et des personnages, de Tchékhov, par la dimension épique et l’admirable talent du conteur, d’Homère, et par la technique des personnages récurrents, parce qu’à la fin, tous, avec leurs manies, leurs vices, leurs passions et leurs tics, nous sont familiers, de Balzac, ma foi ! Pour autant, cela ravit lecteurs et non-lecteurs, intellectuels et chasseurs, (nooooon, je n’ai pas dit que les chasseurs n’étaient pas intellectuels !!!!), jeunes et vieux, et peut-être même, qui sait, les idéologues ? Il y a là-dedans en tout cas une défense et illustration du RECIT comme ciment social, comme nécessité psychologique et artistique même chez les plus frustes, qui me réchauffe l’âme.
Après, il y a d’autres Jørn Riel, y compris beaucoup plus graves (magnifique et bref « le jour avant le lendemain »). Mais commencez par les racontars, ce sont des récits « qui donnent un beau visage », autre titre de Riel, car en eskimo, tel est l’effet du rire.
A votre tour ?

 
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