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Benoît Beyer

03/03/2005
12:11
Dossier sur le Moyen Âge

DOSSIER SUR LE MOYEN AGE

Le Figaro littéraire, jeudi 3 mars 2005, p. 4-5.
http://www.lefigaro.fr/litteraire/20050303.LIT0012.html< br />
1° Le Moyen Âge monte au créneau
Depuis une trentaine années, la passion du public pour le Moyen Âge, ce
millénaire de l'histoire de l'Occident que les experts situent entre
l'effondrement de l'empire romain et la fin du XV e siècle, ne se dément
pas. Des livres de Régine Pernoud au succès mondial du Nom de la Rose
d'Umberto...
2° L'Inquisition entre deux feux
3° Pic de la Mirandole, cap sur la Renaissance
4° Auteurs en flèche
5° La chevalerie donne des ordres


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Le Moyen Âge monte au créneau
PAR PAUL-FRANÇOIS PAOLI
[03 mars 2005]

Depuis une trentaine années, la passion du public pour le Moyen Âge, ce
millénaire de l'histoire de l'Occident que les experts situent entre
l'effondrement de l'empire romain et la fin du XVe siècle, ne se dément pas.
Des livres de Régine Pernoud au succès mondial du Nom de la Rose d'Umberto
Eco, de La Chambre des dames de Jeanne Bourin à des films comme Les
Visiteurs, ou Le Seigneur des anneaux, de l'écrivain Tolkien, sans oublier
ces festivals consacrés, chaque été, au patrimoine médiéval des villes de
France, l'engouement a valeur de «réhabilitation».
Les travaux historiques les plus récents le confirment : au-delà d'une
inévitable tendance à idéaliser le passé, ce que nous appelons, par
commodité, le «Moyen Âge», n'a pas été ce long sommeil dont nous aurait
délivré la Renaissance, mais une succession de périodes, aux contours
parfois mal définis, à travers lesquelles se sont bâtis les fondements des
nations occidentales.
«Prenant la suite des penseurs des Lumières ou des adversaires des
privilèges de l'époque révolutionnaire, l'école historique française, après
la restauration, manifestera longtemps une violente hostilité à l'égard de
l'Ancien Régime. Les méfaits de la féodalité sont dénoncés avec virulence
par Michelet et bien d'autres», écrit Jean Verdon, professeur émérite
d'histoire du Moyen Âge à l'université de Limoges dans son dernier livre, Le
Moyen Âge Ombres et Lumières (1), ouvrage consacré aux moeurs, et à la vie
quotidienne sous la féodalité. Néanmoins «depuis des décennies, conclut
l'auteur, les historiens tentent de rétablir la vérité, autant que faire se
peut.»
Autant que faire se peut... Cette complexité du Moyen Âge nul plus que
Jacques le Goff sans doute travaillera à en restaurer l'idée aux yeux des
Français. Qui pouvait se douter que cet élève de l'école des Annales, qui,
dans les années 60, écrivait des articles sur «la lutte des classes et les
rapports de production dans le monde féodal», à une époque où le rôle des
grands hommes et de la chronologie étaient minimisés, voire niés,
consacrerait un monument d'érudition mais aussi d'admiration à St Louis (2)
?
Après Jacques Le Goff, il n'est plus possible de juger des temps médiévaux à
partir de nos critères établis sur les droits de l'individu, notion qui
n'avait pas cours dans des sociétés où chacun, seigneur ou manant, moine ou
laïc, homme ou femme, s'inscrivait dans un ordre, une lignée ou une
communauté, même si certains chercheurs relativisent, aujourd'hui, ce point
de vue (3). Ainsi de la situation faite aux femmes qu'il ne faut pas juger
d'après nos conceptions contemporaines. Dans Un long Moyen Âge, recueil de
textes et d'interviews publiés récemment permet un accès facile à une oeuvre
ardue. Jacques Le Goff n'hésite pas à affirmer que le «christianisme a
libéré les femmes» des abus du pouvoir patriarcal romain, en prévoyant la
possibilité, pour les jeunes filles en âge de se marier, de consentir ou non
au choix du mari que leurs parents leur proposaient....
«Je suis frappé par les progrès que la condition féminine a fait dans la
société chrétienne du Moyen Âge, ce qui ne doit pas nous conduire à penser
qu'elle se trouvait à égalité avec l'homme», précise Le Goff... Celui-ci,
comme Jean Verdon, montre, par exemple, que si les pères de l'Église, et
d'abord saint Jérôme, ont pu écrire des inanités sur les femmes, ils n'ont
jamais, contrairement à une légende tenace, nié qu'elles aient une âme.
Autre approximation : l'idée que les temps moyenâgeux, parce qu'ils étaient
fondamentalement religieux, seront voués à la répression sexuelle. Quel
contresens ! Si le christianisme a prétendu cantonner la sexualité à la vie
conjugale, la «débauche» était si violente, que l'Église finira par
accepter, comme un moindre mal, une prostitution massive. Des interdits qui
n'étaient si rigoureux que parce que les hommes, régulièrement frappés par
les calamités : celle de la guerre, de la disette ou de l'épidémie, étaient
aussi d'une vitalité débordante qui les portaient à tous les excès ; aussi
bien dans le domaine de la violence que de la sexualité.
À cet égard, Le Goff raconte une anecdote sur Saint Louis qui en dit long
sur la dualité de la psychologie médiévale, où les manifestations de la
chair sont tout aussi «tolérées» hors des périodes de carême, que
spirituellement condamnées.
«Saint Louis avait un véritable tempérament», explique l'historien. «Son
biographe, Joinville, nous apprend que, durant les périodes où les rapports
sexuels étaient licites (en dehors des périodes de fêtes religieuses), le
roi ne se contentait pas de retrouver sa femme la nuit. Il aimait la
retrouver, le jour, dans sa chambre, au-dessus de la sienne. C'est ce qui
irritait profondément sa mère, Blanche de Castille, qui, dès qu'elle
apprenait que son fils était chez la reine, tentait de s'introduire dans
leur chambre pour mettre fin à leurs ébats. Saint Louis prit donc l'habitude
de placer un garde au bas de l'escalier pour qu'on le prévienne à temps, et,
sans doute, pour qu'il puisse rectifier sa contenance... Il a, d'ailleurs,
eu 11 enfants et quand il partira pour la croisade, en 1248, il emmènera sa
femme avec lui, notamment pour ne pas être privé de relations
charnelles»......
Sensualité et ascétisme, violence extrême et exhortations de l'Église à la
trêve de Dieu, labeur exténuant des serfs, dont le sort s'améliora après
l'abolition de leur état par Saint Louis, mais aussi fêtes permanentes qui
rythmaient l'année liturgique - durant l'époque carolingienne il n'y a pas
moins de 156 jours de fêtes -, affirme Jean Verdon, les temps médiévaux
verront tous les extrêmes se côtoyer dans une société dominée par les trois
ordres ; oratores, les priants, laboratores, les travailleurs et bellatores,
les guerriers. La Fascination du Moyen Âge ?
Elle est bien moins idéologique qu'existentielle, voire métaphysique. C'est
celle d'un monde où l'ordre du ciel et celui de la terre n'étaient pas
encore dissociés, où la vie et la mort étaient liés par un pacte surnaturel,
où la nature que l'on craignait, la mer et la montagne étaient honnies,
n'avait pas encore été domestiquée par l'homme, bref un monde qui, pour
parler comme Marcel Gauchet, n'avait pas encore été désenchanté par le
rationalisme et la prédominance de la technique.
Dans un ouvrage consacré à Gilles de Rais réédité ces jours-ci (4),
l'historien Jacques Heers raconte la rencontre étrange entre le seigneur
breton, homme d'arme et débauché, et de Jeanne d'Arc, qui finirent tous deux
brûlés vifs sur le bûcher, l'une pour sa pureté dangereuse à l'ordre social,
l'autre pour son invocation des démons, ses crimes et ses folies. Proximité
des extrêmes et profusion des excès : voilà bien le Moyen Âge où le
merveilleux est in séparable d'un quotidien parfois terrifiant ! «Quelque
chose de miraculeux dans le malheur comme dans la prospérité se mêle à
l'histoire de ces temps, écrit Chateaubriand dans son Analyse raisonnée de
l'Histoire de France (5).
«Une vision extraordinaire avait ôté la raison à Charles VI ; des
révélations mystérieuses arment le bras de la Pucelle ; le royaume de France
est enlevé à la race de Saint Louis par une cause surnaturelle ; il lui est
rendu par un prodige.» Ce qui nous manque le plus, la foi en
l'extraordinaire, comment ne pas la chercher dans un passé révolu, fût-ce en
recréant celui-ci par l'imaginaire ?...
(1) Perrin
(2) Gallimard
(3) L'Individu au Moyen Age. Aubier
(4) Perrin
(5) Vermillon
Un long Moyen Âge
de Jacques Le Goff
Tallandier, 258 p., 23 euros.

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2° L'Inquisition entre deux feux
PAR JACQUES DE SAINT-VICTOR
[03 mars 2005]

Lorsque, en 1903, le grand archéologue Salomon Reinach rédige sa traduction
de l'Histoire de l'Inquisition médiévale, de l'Américain Henry Charles Lea,
il ne poursuit pas une simple ambition érudite. La France se remet à peine
de l'affaire Dreyfus et la mouvance républicaine prépare, dans le désordre,
la loi qui aboutira, en 1905, à la séparation de l'Église et de l'État.
Rappeler les excès de l'Inquisition médiévale, insister sur les bûchers, les
tortures dont l'Église catholique s'est rendue responsable, en Languedoc,
contre les Cathares, en Avignon, contre les Vaudois, mais aussi dans les
autres pays d'Europe, comme en Italie avec les «fraticelli», en Allemagne ou
en Bohème contre les Hussistes, etc., était pour le camp laïque une arme
commode....

Les médiévistes savent bien, aujourd'hui, combien l'Inquisition médiévale
fut loin d'être aussi sanglante que la légende laïque ne l'a imaginée. En
vertu du principe Ecclesia abhorret sanguinem, aucune condamnation à mort ne
pouvait être prononcée par ces tribunaux qui devaient transmettre les cas
les plus douteux à l'autorité civile. Et, l'on sait d'autre part, qu'en
moyenne, moins de 2% des procédures menées devant les tribunaux
d'Inquisition ont été abandonnées au bras séculier.

Il n'empêche que l'Inquisition fut l'une des plus terribles fautes de
l'Église médiévale et, s'il faut dénoncer une certaine légende noire, il ne
faudrait pas, sous ce prétexte, tomber dans l'excès inverse. La figure des
grands inquisiteurs, comme celle du terrible Bernard Gui, l'implication des
ordres mendiants comme les Franciscains ou les Dominicains, la longue liste
des victimes de cette Inquisition farouche, de Giordano Bruno à Bernard
Délicieux, en passant par tant d'innocents injustement accusés, ne relèvent
pas seulement d'une vue de l'esprit.

Si Henry Charles Lea ne poursuivait pas un dessein militant quand il
écrivait cette histoire de l'Inquisition médiévale, se réclamant de ce qu'il
appelait «l'histoire impartiale», il n'en demeurait pas moins fasciné par la
puissance de l'Eglise en ce temps-là. Il s'intéressa surtout à l'analyse des
mécanismes qui, à partir d'une doctrine d'amour et de tolérance, ont pu
empêcher le développement d'une pensée libre au Moyen Age. La traduction, un
rien hâtive de ce grand livre, par Salomon Reinach, par ailleurs célèbre
dreyfusard et athée militant, a laissé planer quelques suspicions sur cet
ouvrage qui est essentiel. Certes, la mise en évidence des crimes de
l'Inquisition était, si l'on osait, pain béni pour ceux qui percevaient, en
cette fin de siècle, l'Église comme la matrice du fanatisme.

Ce n'est pourtant pas le projet originel de Lea. Ce protestant traditionnel
n'a rien d'un athée militant. Né en 1825, dans une vieille et riche famille
de Pennsylvanie, débarquée en Amérique avec William Penn et les quakers en
1699, cet esprit distingué, élevé par des précepteurs, ne rend des comptes
ni à l'Église ni aux officines humanistes. Le père de Lea dirigeait une
importante maison d'édition, la Lea and Blanchard, que le jeune Henry
Charles reprendra en 1851. Lorsqu'il se maria et qu'il commença à se mêler
sérieusement à la gestion de la maison d'édition paternelle, il fut pris
d'une passion subite pour l'histoire, et, plus particulièrement, pour
l'histoire de l'Église. Il vint à l'étude de l'Inquisition en constatant, à
travers ses nombreuses lectures médiévales, l'importance de l'Église dans la
formation de l'esprit européen.

C'est alors qu'il va se lancer dans cet immense travail que la collection
Bouquins a la bonne idée de republier aujourd'hui. Fort de son succès, il
poursuivit sur sa lancée et rédigea ensuite une Histoire de l'Inquisition
espagnole d'une ampleur tout aussi monumentale. Grâce à sa fortune, Henry
Charles Lea, qui avait une santé fragile, et donc, voyageait peu, put se
constituer un réseau très efficace de correspondants en Europe, dans
l'ensemble des grands dépôts d'archives où dormaient des documents sur
l'Inquisition.

En France, en Italie, en Espagne, en Allemagne, une bonne douzaine d'érudits
de très haute qualité, comme le comte Balzani, en Italie ou le professeur
Molinier, à Toulouse, vont s'activer pour lui envoyer des copies de milliers
de documents qu'il pourra consulter sans jamais quitter Philadelphie. À
l'image de grands érudits amateurs, comme seul le XIXe siècle en compta, Lea
va bâtir une oeuvre de grande envergure qui fait encore autorité aujourd'hui
par l'analyse qu'elle contient.

Certes, comme ce livre est ancien, il est évident que, sur de nombreux
détails, la recherche historique a fait des avancées nouvelles. On doit
ajouter, comme le souligne justement Bartolomé Bennassar, dans la brillante
petite préface de cette édition, que Lea était un «historien atypique», ce
qui ne l'a pas amené à respecter toujours scrupuleusement le système des
références. Pour cette raison, il a parfois été sévèrement critiqué par
certains spécialistes. Mais la grande richesse de sa maison d'édition ne lui
a-t-elle pas permis de rédiger une impressionnante synthèse qui reste une
des seules, sinon la seule, qui soit, à ce jour, aussi ambitieuse.
Rédigé avec goût, refusant le pédantisme qui éloignerait le lecteur amateur,
l'ouvrage de Lea aborde l'Inquisition avec grande clarté, même si
l'exhaustivité peut parfois donner le vertige ; l'auteur tient toujours à
agrémenter son récit d'anecdotes utiles ou édifiantes, ne se démarquant
jamais de l'humain. D'où que sa lecture ne sert pas seulement un plaisir
d'érudit. Elle reste utile aujourd'hui. «Nous avons vu, écrit Lea à la fin
de l'ouvrage, que les Ages de Foi, vers lesquels de romantiques rêveurs
jettent un regard de regret, étaient les âges de la violence et de la ruse.»
À tous ceux qui se laissent impressionner par le climat du merveilleux
médiéval, l'oeuvre de Lea, qui est dans l'esprit des Lumières, est faite
pour nous rappeler le terrible prix à payer pour un hypothétique retour des
dogmes religieux....
Histoire de l'Inquisition au Moyen Age
de Henry Charles Lea
traduit de l'américain par Salomon Reinach
Bouquins, 1458 p, 32 euros.

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3° Pic de la Mirandole, cap sur la Renaissance
PAR SÉBASTIEN LAPAQUE
[03 mars 2005]

Il faut imaginer Florence aux alentours des années 1486-1492, les dernières
du Moyen Age, les dernières également du règne de Laurent le Magnifique,
prince poète, qui disperse les conjurations en lisant Platon avec les amis
de son grand-père Cosme l'Ancien, dans sa villa de Careggi. Là-bas, Marsile
Ficin a fondé une Académie à la mode antique, où ont été conviés tout ce que
le siècle compte de beaux esprits. Ils sont peintres, philosophes,
astrologues, médecins, philologues, musiciens, ont pour nom Ange Politien,
Cristoforo Landino, Michel-Ange, Leon-Battista Alberti. A la faveur de
longues promenades, ils ont renouvelé le dialogue mondain, à la manière
péripatéticienne et cicéronienne.

Le plus jeune d'entre eux s'appelle Giovanni Pico, comte della Mirandola e
Concordia. Il est né dans le duché de Ferrare, le 24 février 1463. Son
premier séjour à Florence et sa rencontre avec Marsile Ficin et Ange
Politien remontent à 1479. Après avoir étudié le droit à la faculté de
Bologne et côtoyé Savonarole dans les milieux humanistes de Ferrare, Pic de
la Mirandole est venu à Careggi comme on vient s'abreuver à une source
sacrée. Il voulait être initié au platonisme, avec l'intention hardie de
l'accorder à l'aristotélisme.

A l'époque, Marsile Ficin fait figure de «second père de la philosophie
platonique», comme l'écrira Machiavel dans son Histoire de Florence. Grâce à
lui, la Grèce renaît en Italie. Tout a commencé en 1453, avec la chute de
Constantinople. Des lettrés, venus d'Orient, ont afflué à Florence,
détenteurs de précieux manuscrits. Depuis cette époque, l'oeuvre de Platon
est partout. «Il ritorno di Platone !», se félicitent les maîtres
florentins. En ville aussi bien qu'à la campagne, le Criton, le Phédon,
l'Apologie et le Gorgias sont lus, commentés, discutés.
Comme le montre Louis Valcke, Pic de la Mirandole est exalté par cette
atmosphère de surchauffe philosophique.

Au lendemain de son premier séjour à Florence, il veut continuer à étudier
les traditions intellectuelles les plus variées, à la fois grecques,
chrétiennes et juives. Le pythagorisme, l'orphisme, la scolastique,
l'averroïsme, la cabalistique, tout le passionne. Converti au platonisme
mystique de Plotin, il lit les Ennéades dans le texte, incitant Marsile
Ficin à entreprendre une traduction latine le jour même où il a achevé celle
de Platon.

Ficin raconte cet épisode dans sa dédicace des Ennéades à Laurent le
Magnifique : «Il me semble évident que ce fut par inspiration divine que le
héros Pic, né alors que Platon renaissait, Saturne étant dans le Verseau,
sous lequel j'étais moi aussi né trente ans plus tôt, et arrivé à Florence
le jour où notre Platon me quitta, il semble évident que ce héros m'a
inspiré cet ancien voeu que Cosme portait en son coeur au sujet de Plotin,
voeu que je n'ai pas décelé, mais qui lui fut inspiré par le ciel.» Ces
lignes extraordinaires prouvent que Marsile Ficin, Pic et leurs amis étaient
pleinement des hommes du Moyen Age.

A la fin de l'année 1487, Pic de la Mirandole a 24 ans, lorsqu'il retrouve
Florence. Il lui reste sept années à vivre. On a du mal à se figurer
qu'elles sont pour lui celles de la maturité intellectuelle. Quelques mois
auparavant, ses ennemis ont réussi à faire condamner 13 de ses 900
Conclusions par le pape Innocent VIII. Poursuivi pour hérésie, Pic a fui en
France ; il a été arrêté à Lyon et emprisonné à Vincennes. Libéré grâce à
l'intervention de Charles VIII, lui aussi fasciné par cet esprit universel,
il est venu se placer sous la protection de Laurent le Magnifique.

Depuis son premier séjour à Careggi, il est membre à part entière de
l'Académie florentine. Son projet est toujours de démontrer la concordance
entre Aristote et Platon, mais il est occupé par un autre objet désormais :
l'approfondissement de ses études bibliques, chaldéennes et cabalistiques. A
Rome, il a rencontré un certain Raymond Moncada, juif converti et persuadé
que les textes de la Cabale confirment les récits de la passion du Christ.
Une hypothèse qui passionne Pic, de plus en plus mystique. Elle va l'obséder
jusqu'aux années 1490, où il stupéfiait ses contemporains en décidant
d'embrasser l'état religieux, le pape Alexandre VI l'ayant dispensé de toute
rétractation.

Il entre dans l'ordre dominicain, à l'heure de sa mort, le 17 novembre 1494,
jour de l'entrée des troupes françaises de Charles VIII à Florence. Pic de
la Mirandole n'est plus, le Moyen Age est terminé.
Parce qu'il n'a jamais pu mettre de point final à son oeuvre, Pic de la
Mirandole, ce héros mort jeune, est devenu un mythe. Certains en ont fait le
chantre de la libération de l'homme, d'autre un mage de l'orgueil prométhéen
ou un précurseur du déisme. Dissipant les légendes, Louis Valcke montre que
la pensée de Pic fascine les modernes parce qu'elle n'a pas perdu la
dimension cosmique de l'Antiquité. L'auteur des 900 Conclusions n'a pas
renoncé à faire vivre ensemble la science et la sagesse, la physique et
l'astrologie. Une soif sacrée de savoir, la nostalgie d'une harmonie
originelle, le souci de concilier la thérapeutique, l'esthétique, la foi
chrétienne, l'héritage médiéval et l'humanisme classique imprègne sa pensée
et son oeuvre. Sa philosophie sauvegarde la possibilité d'une coincidentia
oppositorum, chère au théologien allemand Nicolas de Cuse. En ce sens, elle
reste médiévale, étrangère au principe de non-contradiction, qui va bientôt
dessécher la pensée des modernes, quand le rationalisme et le mécanisme
auront emporté l'antique cosmologie....
Pic de la Mirandole, un itinéraire philosophique
de Louis Valcke
Les Belles Lettres, «Le Miroir des humanistes», 485 p. , 30 euros.

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4° Auteurs en flèche
[03 mars 2005]

La littérature du Moyen Âge, c'est d'abord une série de patronymes dont
l'énumération sonne comme un poème courtois : Raoul de Cambrai, Huon de
Bordeaux, Rutebeuf, Thibaut de Champagne, Eustache Deschamps, Charles
d'Orléans, François Villon, Guillaume de Berneville, Guernes de
Pont-Saint-Maxence, Benoît de Sainte-Maure, Chrétien de Troyes, Gautier
d'Arras, Renaut de Beaujeu, Robert de Boron, Jean Renart, Philippe de Rémy,
Guillaume de Lorris, Jean de Meun, Guillaume de Digueville, Jean Froissart,
Jean d'Arras, Geoffroy de Villehardouin, Robert de Clari, Jean de Joinville,
Philippe de Commynes. Nom d'écrivain : le nom.

Il y a ceux qu'on connaît et ceux dont on ignore tout, les troubadours
obscurs et les auteurs auxquels nous rattachent des souvenirs scolaires,
mais il nous semble les voir tous, défilant les uns à la suite des autres
avec leur épée, leur heaume, leur côte de maille, leur plastron à large
croix.

Il y a des poètes et des hommes de théâtre, des romanciers, des
chroniqueurs. D'une fraîcheur souvent inattendue, leurs livres s'intègrent
naturellement au décor de la France des châteaux forts, des cathédrales et
des abbayes. Qui l'imagine Moyen Âge sans la Chanson de Roland, la Farce de
Maître Pathelin et le Conte du Graal ?

Il y a aussi des femmes, qui, depuis toujours, ont notre faveur. Elles ont
pour nom Marie de France, Christine de Pizan et Héloïse, qui échangea avec
son amant Abélard une correspondance passionnée, pleine de poèmes et de mots
doux. On a longtemps douté de l'authenticité des lettres recopiées dans un
manuscrit du XVe siècle retrouvé à l'abbaye de Clairvaux. Dans une étude
imprimée en préambule d'une nouvelle édition de cette correspondance,
Sylvain Piron explique que l'attribution à Héloïse et Abélard offre la
meilleure solution au mystère des deux amants. Il insiste sur l'intérêt de
ses lettres, leur valeur sensible.

«La conversation suivie de ces deux voix apporte à la littérature amoureuse
un nouveau sommet inattendu. Sa puissance émotive et littéraire tient
d'abord à cette forme dialoguée dans laquelle l'élève cherche à éblouir son
maître, qui se trouve en retour sans cesse contraint à élever son niveau
d'éloquence...»

Ces Lettres des deux amants que l'on redécouvre dans leur splendeur
originelle, traduites du latin dans un français allègre, pourraient bien
constituer une introduction idéale à une littérature qui nous apparaît trop
souvent lointaine, perdue dans les brumes....
S. L.
Littérature française du Moyen Âge
de Michel Zink, PUF, 416 p., 18 euros.
Héloïse, l'amour et le savoir
de Guy Lobrichon, Gallimard, 369 p., 21,50 euros.

Lettres de deux amants
attribuées à Héloïse et Abélard
traduites et présentées par Sylvain Piron
Gallimard, 218 p., 13,90 euros.
La Littérature française du Moyen Âge
présentation et traduction Jean Dufournet et Claude Lachet tome I «Romans &
Chroniques»
tome II, «Théâtre & Poésie»
GF Flammarion.

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5° La chevalerie donne des ordres
PAR BERTRAND GALIMARD FLAVIGNY
[03 mars 2005]

Figure emblématique du Moyen Age, dans l'esprit du public, le chevalier a
été redessinée par les auteurs du XIXe siècle, qui, reprenant les grands
thèmes de la littérature courtoise donnèrent une vision romantique de la
chose. Comme les poupées russes desquelles en sortent d'autres, d'un format
in férieur, au fur et à mesure qu'on les ouvre, l'image de la chevalerie se
démultiplie en vrac et à l'envi.

Les ordres religieux et militaires y ont leur part, notamment les Templiers.
Ceux-là sont entourés de toutes les légendes très éloignées de la vérité ;
mais elles flattent les rêveurs et les aigrefins. Alain Demurger, le
meilleur connaisseur de l'histoire des «Pauvres Chevaliers du Christ»,
appelés aussi Templiers, ne manque pas d'arguments pour réfuter la filiation
templière de la franc-maçonnerie qui, elle-même, s'est débarrassée, dès le
début du XIXe siècle de ces oripeaux, et en outre, de l'ésotérisme, du
trésor, de la règle cachée, des graffitis et d'un fatras issu d'héritages
contradictoires, y compris les ordres d'imitation et de fantaisie qui
affligent également les Hospitaliers, appelés à présent chevaliers de Malte.

Sans la «paix de Dieu», on ne saurait comprendre ce que l'on appelle la
chevalerie. Son développement accompagna, peu à peu, les premières phases de
la féodalisation. Georges Duby en a expliqué les principes : «Dieu avait
délégué aux rois sacrés la mission de maintenir la paix et la justice ; les
rois n'en sont plus capables ; Dieu reprend donc en main Son pouvoir d'ordre
et le fait assumer par ses serviteurs, les évêques, avec l'appui des princes
locaux.» L'institution de la paix de Dieu, dont les effets furent relatifs,
fut d'une très grande influence sur le comportement des hommes des Xe, XIe
et XIIe siècles. Elle proposa, pour la première fois, une morale cohérente
de la guerre, jusqu'alors considérée comme une activité normale.

Dans l'économie domestique, les guerriers, une part notable des revenus fut
affectée à l'amélioration de la race chevaline - le cheval étant le
principal instrument du guerrier et symbole de sa supériorité. C'est à ce
moment que ces dits-guerriers se définirent comme chevaliers. Il est
vraisemblable que l'Église eut l'idée de leur appliquer des formules de
bénédictions et de rites de remises du glaive ou de la bannière jusqu'alors
réservées aux rois et princes.

Le phénomène de la chevalerie ne put durer que grâce aux croisades. Sans les
guerres «sacrées» et sans le mouvement général qu'elles produisirent et la
nouvelle carrière qu'elles ouvrirent à l'activité belliqueuse, freinée par
la paix de Dieu, jamais cette institution n'eût pris un tel essor. «L'ardeur
guerrière de la chevalerie trouva dans les croisades un objet grand et digne
d'elle, un objet d'un intérêt général, et qui lui donna une direction
capable de la redou Délivrer les Lieux saints.» Ces lignes emphatiques,
écrites vers la fin du XVIIIe siècle par A. H. L. Heeren, reflètent l'état
d'esprit d'une époque et de l'idée que l'on s'en est faite.

Quant aux congrégations religieuses, que l'on a baptisées par la suite
ordres de chevaliers, elles sont nées d'une nécessité commandée par le
besoin du moment. Elles ont emprunté les constitutions qui leur convenaient
et qui étaient les seules qui fussent disponibles, à l'époque. Après les
Templiers, nécessité faisant loi, les Hospitaliers s'armèrent aussi. Or,
parmi ces «moines noirs à la croix blanche» subsistaient d'anciens
compagnons d'armes de Godefroi de Bouillon qui, tout en demeurant religieux,
retrouvèrent leur épée et... leur état de chevalier. À telle enseigne, comme
le souligne Alain Demurger, on n'était pas adoubé chevalier dans l'ordre du
Temple ; on pouvait l'être juste avant de solliciter son entrée. Il en
était, et est encore, de même chez les Hospitaliers, les chevaliers de Malte
qui étaient et sont reçus dans l'Ordre. Après eux, les Teutoniques,
troisième des grands ordres militaires nés des croisades, empruntèrent aux
Templiers leurs statuts, et aux Hospitaliers leur règle spirituelle (celle
de saint Augustin).

Le caractère militaire des ordres hospitaliers n'était qu'un accessoire
néanmoins obligatoire dans leur fonctionnement. Dès le XIIIe siècle,
chevaliers et membres de la haute aristocratie commencèrent à adopter des
pratiques successorales distinctives. Cette «classe» fut celle qui prit la
part la plus active aux croisades. C'est elle aussi qui en éprouva les
suites les plus importantes.

Elle y perdit de son influence politique, au profit de l'autorité des
souverains. Pour un certain temps du moins, car quelques membres de cette
classe acquirent des principautés ou montèrent sur des trônes. Mais, pour
quelques succès, combien de familles entières s'éteignirent ! La future
hiérarchie se mettait en place. Les ordres hospitaliers, devenus militaires,
offrirent des dédommagements à cette noblesse dépouillée, décimée et
dépolitisée. Ce que confirme Alain Demurger, face à «la prodigieuse
réussite» des Templiers : «Elle témoigne de sa parfaite symbiose avec le
milieu social visé par l'Église de la réforme grégorienne : la chevalerie,
la noblesse d'Occident.»...
Les Templiers,
une chevalerie chrétienne au Moyen âge
de Alain Demurger
Le Seuil, 670 p. , 25 euros.

**************************************************************

 
AArgh!!!

03/03/2005
12:21
re : Dossier sur le Moyen Âge

C'est pas que je veuille jouer les Michèle Perrot, mais dans la liste d'"auteurs en flèche", même pas Christine de Pisan! C'est dommage.

 
Pour info

03/03/2005
23:41
Christine de Pizan

Appel à contribution
6eme colloque international sur Christine de Pizan
Paris
Date limite
vendredi 01 juillet 2005
http://calenda.revues.org/nouvelle5145.html
 
A

04/03/2005
07:09
Ch de PiZan

Merci!
A
 
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