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Pour info 30/12/2004 13:06 |
Le doigt sur la culture |
Livres Poches Le doigt sur la culture Deux ouvrages tentent de circonscrire la notion protéiforme d'histoire «culturelle» et d'en réhabiliter la pertinence. Par Dominique KALIFA jeudi 23 décembre 2004 Pascal ORY L'Histoire culturelle PUF, «Que sais-je ?», 128 pp., 7,50 €. Philippe POIRRIER Les Enjeux de l'histoire culturelle Seuil, «Points-Histoire», 436 pp., 10 €. L'histoire des «mentalités», écrivait Jacques Le Goff en 1974, doit une large part de son succès à l'imprécision qui recouvre la notion, et en fait une sorte d'histoire-carrefour, aux ambitions apparemment sans limites. On pourrait, trente ans plus tard, dresser un constat analogue à propos de l'histoire «culturelle». La polysémie de l'expression n'a en effet pas empêché les travaux s'en réclamant de faire preuve d'un indéniable dynamisme. Thèses, ouvrages, séminaires, colloques, équipes de recherches se sont volontiers déclarés comme tels, annexant les domaines ou les objets les plus divers : histoire du livre, des médias, des spectacles, des arts et des sciences, des symboles et des mythes, des sentiments ou de la mémoire. Les frontières du «culturel» n'ont ainsi cessé de reculer, jusqu'à envisager une histoire culturelle du politique ou du social. Agacés, d'aucuns ont parlé de «mode», de «vogue», voire de «coup», et nombre de ces travaux furent critiqués pour leur flou conceptuel ou leur mépris de la «réalité». L'heure est aujourd'hui au bilan raisonné. Un colloque s'est récemment tenu à Cerisy (Somme) sur ce sujet, et deux livres sont parus cet automne, qui entendent en circonscrire les apports et les formes. Destinés l'un comme l'autre à un large public, ces ouvrages relèvent cependant d'approches différentes. Plus bref, plus incisif, celui de Pascal Ory a conservé quelque chose du manifeste, et plonge à la verticale de ce qui demeure à ses yeux une question ou une sensibilité. L'analyse de Philippe Poirrier se veut plus ample et enveloppante, elle entend borner des territoires, voire un horizon historiographique, et procède davantage de la synthèse que du programme. Les deux auteurs sont cependant d'accord sur l'essentiel, à commencer par la définition de l'objet. L'histoire culturelle, écrivent-ils l'un et l'autre, est «l'histoire sociale des représentations». Histoire sociale parce qu'attentive au collectif, aux contextes, aux processus de production ou d'inégale distribution, mais histoire consacrée à l'étude des «représentations», définies comme les formes matérielles ou sensibles de l'expression, ainsi que les pratiques qui les instituent. Telle quelle, s'accordent-ils également, cette histoire s'inscrit dans une longue généalogie. Le Voltaire de l'Essai sur les moeurs (1756), le Guizot de l'Histoire de la civilisation en Europe (1828-1829) ou le Michelet de la Sorcière (1862) en furent notamment de brillants précurseurs. Annoncé par les Rois thaumaturges de Marc Bloch en 1924 ou par le Rabelais de Lucien Febvre en 1942, le projet des «mentalités», si fécond dans les années 1960-1980, s'inscrivit évidemment dans le même continuum, voué à l'analyse des attitudes, des croyances ou des imaginaires sociaux. Que l'on songe, entre autres, aux travaux de Robert Mandrou, de Philippe Ariès ou de Georges Duby. Où percevoir alors la spécificité de l'histoire culturelle ? Trois déplacements semblent la caractériser. Le premier concerne le progressif transfert vers le contemporain, d'analyses qui furent longtemps le propre des périodes médiévale ou moderne. Qu'il s'agisse de l'histoire des médias, des intellectuels ou des mémoires de l'événement, pour prendre quelques chantiers parmi les plus actifs aujourd'hui, c'est principalement à l'aune des deux derniers siècles que se décline désormais la problématique culturelle. Une deuxième inflexion en résulte, qui agrège au territoire de l'historien nombre d'objets ou de pratiques auparavant tenus pour indignes et illégitimes. Ainsi du sport par exemple, de la BD ou des séries télévisées. Le dernier déplacement porte sur les façons de faire : outre l'élargissement continu du régime des sources («de Goya à Chantal Goya», note Pascal Ory), l'essor du culturel s'est accompagné d'une réflexivité croissante des méthodes historiennes, tentées par l'importation de nouveaux modèles théoriques (critique textuelle, anthropologie interprétative), le goût de l'expérimentation ou ce que François Hartog a appelé «la tentation de l'épistémologie». Joint à la dimension nécessairement herméneutique d'une telle histoire, qui affecte l'administration traditionnelle de la preuve, ce mouvement a aussi contribué à nourrir un sentiment de crise ou d'incertitude dans la discipline. Sur tous ces points, tout comme sur la vitalité et la capacité du «culturel» à raviver le désir d'histoire dans la profession et le public, ces deux livres sont pleinement convaincants. Une ambiguïté demeure cependant, qui porte sur la finalité de cette histoire, et la nature de son apport à la compréhension du passé. S'agit-il en effet d'explorer les divers territoires de la culture, opération évidemment essentielle, mais qui prend le risque de réduire l'entreprise à un simple répertoire de pratiques et d'objets ? Ou s'agit-il, dans une perspective plus anthropologique, de questionner la part subjective ou symbolique de l'expérience, les appréciations ou le sens que les individus donnent au monde qui les entoure ? Dépassant le strict domaine du culturel, elle serait alors un regard porté sur l'ensemble des réalités sociales, dont la culture serait en quelque sorte l'expression structurante. Les deux approches, bien sûr, seront toujours imbriquées, mais en clarifier les visées permettrait peut-être de retrouver les voies d'une histoire plus globale, que Guizot définissait déjà en 1828 comme le produit de l'interaction entre un «état moral» et un «état social». http://www.liberation.fr/page.php?Article=263566 © Libération |
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