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Agnès 03/05/2005 04:59 |
re : Hommage à Poésie sur parole |
En 1913 paraissait un texte à tout jamais insolite et neuf, dans sa forme poétique comme dans sa forme matérielle. Publié aux éditions « Des hommes nouveaux » par l’auteur soi-même, génial, torturé, fauché, auteur, sujet et éditeur d’un ouvrage qui allait provoquer dans le petit milieu parisien un scandale dû avant tout à l’incompréhension, au préjugé et à l’ignorance : « le premier poème simultané », annonçait le prospectus, mince bande de papier peinte au pochoir par Sonia Delaunay, née Terck, russe d’origine et amie de Blaise Cendrars, car c’est de lui qu’il s’agit. « La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France », immense dépliant de 2m de long sur 36 cm de large, prévue pour être tirée à 150 exemplaires, l’édition originale atteignant ainsi la hauteur de la Tour Eiffel. A droite, le texte, imprimé en divers caractères colorés de tailles diverses, à gauche, un ruissellement de couleurs, une composition, transposition colorée inspirée à Sonia Delaunay par le récit d’un voyage initiatique. La traversée en Transsibérien de la Russie à feu et à sang pendant la guerre russo-japonaise de 1904/5 par un adolescent à feu et à sang, qui trouvera dans le poème son nom et son écriture. J’ai découvert ce texte adolescente dans l’anthologie de Seghers. Depuis, il ne m’a plus quittée. J’ai eu la chance de le voir « en vrai » : immense dépliant, poème tableau, « ruissellement de couleurs » « bariolé / comme ma vie », dit le poète. 449 vers, si j’ai bien compté cet accordéon rythmique hanté par le rythme du train, du monosyllabe au verset de plus de 50 syllabes, de Moscou à Kharbine, puis à Paris, de l’adolescence tourmentée à un âge d’homme plus apaisé. C’est en poésie-Gallimard, in « Du monde entier », il n’y reste rien de la magie du livre originel, mais la musique du poème y vibre avec toute sa force. Blaise CENDRARS PROSE DU TRANSSIBERIEN ET DE LA PETITE JEANNE DE FRANCE Dédiée aux musiciens En ce temps-là j’étais en mon adolescence J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours Car mon adolescence était alors si ardente et si folle Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple d’Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou Quand le soleil se couche. Et mes yeux éclairaient des voies anciennes. Et j’étais déjà si mauvais poète Que je ne savais pas aller jusqu’au bout. Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare Croustillé d’or, Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches Et l’or mielleux des cloches... Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode J’avais soif Et je déchiffrais des caractères cunéiformes Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s’envolaient sur la place Et mes mains s’envolaient aussi, avec des bruissements d’albatros Et ceci, c’était les dernières réminiscences du dernier jour Du tout dernier voyage Et de la mer. Pourtant, j’étais fort mauvais poète. Je ne savais pas aller jusqu’au bout. J’avais faim Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres J’aurais voulu les boire et les casser Et toutes les vitrines et toutes les rues Et toutes les maisons et toutes les vies Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés J’aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaives Et j’aurais voulu broyer tous les os Et arracher toutes les langues Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m’affolent... Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe... Et le soleil était une mauvaise plaie Qui s’ouvrait comme un brasier. ... ![]() |
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